Rare sont les médias télévisuels à mettre l’intelligence économique à l’honneur. Et pourtant, ce mardi 27 juin, Arte diffuse le nouveau documentaire du tandem David Gendreau et Alexandre Leraître, La Bataille d’Airbus. À cette occasion, le Portail de l’IE s’est entretenu avec les deux réalisateurs.
Le documentaire est visible ici.
Portail de l’IE (PIE) : Après le succès de votre premier documentaire sur l’affaire Alstom, vous revenez avec un nouveau film sur un cas de guerre économique, celui d’Airbus, comment et pourquoi avez-vous choisi ce sujet ?
Alexandre Leraître (AL) : Nous n’avons pas choisi ce sujet, c’est le sujet qui nous a choisi. En réalité, les deux films sont véritablement liés l’un à l’autre. On avait entendu dire à l’époque que l’une des prochaines entreprises visées serait Airbus, donc il y avait déjà eu des allusions. On pourrait donc dire que La Bataille d’Airbus est en quelque sorte la suite de la Guerre fantôme, il y a vraiment une continuité directe. Beaucoup de gens l’avaient vue, y compris des personnes d’Airbus qui se sont reconnues dans ce qu’elles vivaient, tant au niveau des procédures que des enquêtes internes au groupe. Des gens nous ont donc contactés pour nous parler de cette affaire et c’est ainsi que nous nous y sommes intéressés. Nous avons pris des notes et avons élaboré un projet à proposer à des chaînes ou à des sociétés de production. Cela nous a pris deux ans pour que le projet soit validé par une société de production. C’est vraiment lié à la fois thématiquement à notre précédent film, car on ne peut comprendre l’affaire Airbus sans avoir en tête l’affaire Alstom, car le second n’est rien d’autre qu’une réaction à ce qui s’est passé dans le fiasco du premier. Pourtant, au fur et à mesure de notre enquête, nos opinions ont beaucoup changé. Cela se ressent dans le film, et je pense que c’est plutôt une histoire qui se termine bien.
PIE : Par quel cheminement personnel êtes-vous arrivés à l’IE et à la guerre économique ? Comment en arrive-t-on à réaliser des documentaires sur des sujets aussi spécifiques ?
David Gendreau (DG) : C’est une excellente question. Il est vrai que nos parcours sont différents mais se rejoignent. Alexandre possède un parcours plus universitaire axé sur l’intelligence économique et la géopolitique. Quant à moi, j’ai une formation davantage axée sur l’audiovisuel, avec un diplôme d’opérateur de prise de vue. Cependant, ce qui nous intéresse tous les deux dans le domaine de l’intelligence économique, c’est le lien entre la géopolitique, l’économie, la stratégie et l’espionnage. Cela englobe toute une série de sujets qui nous passionnent. De plus, la question de la souveraineté, notamment dans l’affaire Alstom, est un élément clé du film. La souveraineté était véritablement le mot d’ordre de notre projet.
AL : En ce qui concerne l’affaire Alstom, c’est David qui l’avait découvert à l’époque, car il avait assisté à une conférence sur le sujet. Il m’a alors passé un coup de fil, puis m’a envoyé un rapport d’environ quarante pages provenant d’un think tank appelé le CF2R, qui avait travaillé sur cette question. Cela m’a permis de prendre connaissance rapidement du sujet, sans nécessairement me plonger immédiatement dans le livre de 350 pages de Jean-Michel Quatrepoint, qui est très bon, par ailleurs. En prenant connaissance de cette affaire, nous avons réalisé qu’elle englobait plusieurs de nos centres d’intérêt, tels que l’actualité, la géopolitique et le renseignement. Nous avons également perçu le potentiel en termes d’image, étant tous les deux sensibles à la culture visuelle.
David évolue dans le domaine du cinéma et de l’audiovisuel, tandis que je me concentre davantage sur l’illustration, le dessin et la bande dessinée, mais nous partageons tous deux un intérêt pour le cinéma. Étant donné que nous nous connaissons depuis le lycée, nous partageons donc une culture visuelle commune. Dans l’affaire Alstom, au-delà des thèmes graves qui traversent le sujet, nous nous disions que cela pourrait être un thriller captivant, une histoire qui ferait un bon film, presque un scénario de fiction tellement cela paraît surréaliste pour certains esprits. Ainsi, il y a aussi cet aspect visuel qui fait que nous ne voulions pas seulement aborder ces sujets, mais aussi les traiter de manière créative.
PIE : L’IE étant une discipline assez peu connue, a-t-il été difficile de convaincre Arte de vous suivre dans cette aventure ? Le caractère européen d’Airbus a-t-il facilité les choses ?
DG : C’est pertinent de poser la question dans cette perspective, car la réponse se trouve déjà dans la question. En effet, lors de la réunion que nous avons tenue à Strasbourg, on nous a clairement indiqué qu’Arte est une entreprise européenne, et donc il était important de traiter le sujet d’Airbus de manière adéquate. Il y avait des représentants français, allemands d’Arte autour de la table, et on nous a affirmé qu’un sujet sur Airbus était nécessaire, car c’est une entreprise européenne. Ainsi, le documentaire est coproduit par toutes les entités d’Arte : la française, la strasbourgeoise et l’allemande. C’est assez exceptionnel ! Je pense qu’ils ont perçu que c’était un sujet d’actualité. L’affaire Alstom a eu un impact considérable, au-delà même de notre film. En effet, il y a eu le témoignage de Frédéric Pierucci et la sortie de son livre, qui ont eu un énorme retentissement. Il y avait donc un contexte favorable et une réelle appétence pour le sujet de la guerre économique. Ils ont senti qu’il y avait quelque chose à explorer.
AL : D’autant plus, qu’ils étaient à la recherche d’une importante coproduction franco-allemande avec un format quelque peu novateur à l’époque. Au départ, c’est Arte qui a exprimé son intérêt pour un sujet sur la guerre économique, mais sans plus de précision. C’est à ce moment-là que nous avons proposé le sujet d’Airbus. Le fait que notre sujet était, pour ainsi dire, franco-allemand, a suscité un réel intérêt et a bien fonctionné de ce côté-là.
PIE : Vous prenez le cas d’Airbus pour évoquer toutes les grandes affaires de guerre économique de ces vingt dernières années, pourquoi avez-vous ressenti le besoin de rappeler ces défaites européennes ? Par souci de pédagogie ? Pour montrer en détail la manière dont les Américains pratiquent la guerre économique ?
DG : En tant qu’enquêteurs et documentaristes, nous sommes confrontés à cette problématique selon laquelle des événements scrutés de près peuvent être interprétés de manière radicalement différente lorsqu’ils sont observés de loin. Lorsque nous examinons ce qui se passe chez Airbus, il est essentiel de toujours prendre en compte ce qui se déroule en dehors d’Airbus. Car, en réalité, Airbus n’est que la continuation d’événements passés qui sont d’ailleurs interprétés par les acteurs eux-mêmes. Les acteurs au sein d’Airbus ont produit des notes, des documents que nous présentons parfois dans le film, qui font référence à Alstom ou à Siemens. Nous devons donc expliquer pourquoi ils évoquent ces éléments, car c’est uniquement grâce à une vision globale que nous pouvons comprendre ce qui se déroule à l’intérieur d’Airbus. Par conséquent, le film effectue des allers-retours constants entre ce qui se passe chez Airbus et ce qui se passe à l’extérieur d’Airbus, que ce soit chez Siemens, chez Alstom, au sein des services de renseignements français, au sein de l’État français ou encore dans le système judiciaire français.
AL : En effet, il était nécessaire de résumer l’affaire Airbus car c’est largement une réaction à tous les événements qui ont eu lieu il y a 15 ans. Que ce soit parmi les employés qui craignent de voir des documents quitter l’entreprise, ou parmi les cadres dirigeants qui redoutent une amende colossale ou une ingérence pouvant mener à des incarcérations. Cela concerne également les procureurs français qui ne souhaitent pas une nouvelle affaire Alstom, et cela implique l’exécutif également, car il ne s’agit pas uniquement des procureurs, mais cela a été présenté comme une préoccupation de la présidence elle-même. C’était vraiment l’enjeu majeur, le sujet épineux qui les a hantés et qui était constamment présent. Ainsi, l’affaire Airbus est largement une réaction à ces événements passés. Toutes les personnes impliquées dans cette affaire réagissent à ce qui s’est passé précédemment, parfois de manière excessive, voire paranoïaque.
DG : Mais même au-delà de ça, on commence le film en racontant l’histoire d’Airbus. En effet, elle offre une perspective globale sur la façon dont ces affaires sont perçues au sein de l’entreprise. Airbus est un groupe qui s’est constitué en réaction au monopole américain. Avant la création d’Airbus, les Américains, à travers Boeing, Lockheed et les différentes entreprises qu’ils possédaient, détenaient 90 % du marché aéronautique. En l’espace de 40 à 50 ans, Airbus a réussi à leur prendre 50 % de ce marché. Cette entreprise a été créée dans le but de contester le monopole américain. Ainsi, lorsqu’une entreprise représente une telle menace pour les Américains, d’autant plus quand elle fabrique des missiles nucléaires, des hélicoptères de combat et de l’électronique de défense, il y a une crainte tant au sein d’Airbus qu’au sein de l’État français et des services de renseignement. Il est clair que même l’histoire d’Airbus met en lumière l’affaire Airbus, et au-delà, les affaires Siemens et Alstom.
PIE : Le droit américain – autrement appelé le piège américain – peut s’avérer extrêmement contraignant pour les multinationales, leur imposant des sanctions et amendes records au motif officieux de concurrence économique. Comment une entreprise comme Airbus est-elle en mesure de s’en prémunir ? D’autres législations pourraient-elles l’en protéger ?
DG : Dans cette affaire, Airbus a utilisé à la fois la législation britannique et la législation française. Cependant, de mon point de vue, c’est davantage la législation française qui leur a été imposée par l’État français plutôt que de leur propre initiative. Typiquement, on parle de l’auto-dénonciation auprès des Anglais, car à l’époque il n’existait pas de législation française concernant ce qu’on appelle la justice transactionnelle. Donc, ils se sont tournés vers les Anglais pour éviter les Américains, puis les Français ont fini par prendre les devants en votant une initiative de leur propre chef. Effectivement, il y a un jeu législatif qui peut sembler un peu fastidieux sur le papier. Mais en réalité, dans le film, nous avons essayé de le raconter de la manière la plus intéressante possible, la plus stratégique possible. En fait, c’est un jeu d’échecs. On choisit une pièce qui se rend en Angleterre pour détourner l’attention, puis ensuite la pièce française entre en scène. C’est pourquoi nous utilisons abondamment le motif du jeu d’échecs dans les animations, qui rappelle un peu l’esthétique de Game of Thrones.
AL : Cette affaire est complexe en raison des nombreuses évolutions législatives qui ont eu lieu pendant l’affaire Airbus, ainsi que des nouvelles lois qui ont été promulguées. Par exemple, la Loi Sapin 2, la loi française contre la corruption, a été mise en place pratiquement au milieu de l’affaire Airbus, vers 2016. Il y a une concomitance entre ces événements. La Loi Sapin 2 était prévue depuis environ un ou deux ans et elle était liée à l’affaire Alstom mais le hasard du calendrier a fait que l’auto-dénonciation d’Airbus a eu lieu environ 4/5 mois après la promulgation de la loi Sapin 2. Les procureurs français, notamment le Parquet National Financier, ont vu l’affaire Airbus comme une opportunité d’expérimenter l’application de cette loi. C’était un peu comme un test, pour voir comment elle fonctionnerait. En fait, l’auto-dénonciation a été une surprise pour les autorités françaises, car elles n’étaient pas au courant. Ce sont en réalité les Britanniques qui les ont informés que leur propre groupe s’auto-dénonçait chez eux. Cela montre le niveau de renseignement. Pour conclure sur cette question de loi, cela peut sembler un peu aride, mais c’est véritablement crucial pour comprendre l’affaire. De plus, ces lois évoluent, ce qui a compliqué notre enquête au début.
PIE : Vous consacrez une partie du documentaire à la grande frilosité de l’Allemagne (aussi bien pour des raisons économiques que morales) vis-à-vis de toute lutte économique contre les États-Unis, est-ce là une faiblesse de tout projet européen d’ampleur ? Pour quelle(s) raison(s) selon-vous ?
DG : Effectivement, cela a été l’une des grandes inconnues et des plus grandes difficultés dans le film. Tout d’abord, il y a un aspect lié à la production, car la partie allemande d’Arte devait diffuser le film en Allemagne. Par conséquent, il fallait prendre en compte le traitement allemand du sujet. Cependant, les Allemands ne sont pas directement impliqués judiciairement dans l’affaire, ils sont simplement actionnaires d’Airbus. Il existe des arguments juridiques mais également d’autres raisons, telles que des raisons économiques et géopolitiques.
Les Allemands sont beaucoup plus favorables à l’atlantisme que nous, ils laissent les Américains agir sans se poser de questions. Ainsi, lorsque l’on évoque les procédures extrêmement intrusives des Américains dans la lutte anticorruption, les Allemands ne voient pas de problème majeur. En Allemagne, il y a une relation économique étroite avec les États-Unis, ce qui explique pourquoi, dans le film, les intervenants allemands mentionnent que c’est en raison de cette relation économique et de l’atlantisme allemand envers les Américains qu’ils n’ont pas réagi. En contraste, en France, nous sommes plutôt méfiants vis-à-vis des Américains, bien que certaines personnes estiment que nous sommes très atlantistes.
En réalité, il y a des pays en Europe qui sont bien plus atlantistes que nous, et l’Allemagne en est un exemple. Cette divergence de position entre la France et l’Allemagne a été une réelle difficulté au sein de la production et dans le traitement du film. Il est légitime de se poser la question de pourquoi les cofondateurs d’Airbus et les principaux actionnaires allemands, en plus des Français, n’ont rien fait. Malheureusement, nous n’avons pas de réponse officielle à cette question et ne pouvons que spéculer. Les intervenants allemands présents dans le film font également des suppositions, en expliquant que les Allemands sont étroitement liés aux Américains sur les plans économique, géopolitique et militaire, et qu’ils ne veulent absolument pas s’opposer à eux.
AL : En réalité, la majeure partie des enquêtes anticorruption ont eu lieu en France, plus précisément dans le fameux SMO situé à Suresnes. Aucune structure allemande du groupe n’a été impliquée dans des actes de corruption, ou du moins, nous n’en avons pas connaissance. Certains Français nous ont dit que les Allemands étaient bien plus corrompus que les Français, suggérant ainsi un complot contre la France. Nous avons suivi ces pistes, mais nous n’avons pas pu les confirmer. En ce qui concerne les autres raisons, effectivement, les Allemands veulent vendre leurs produits aux Américains. Ils sont terrifiés par d’éventuelles mesures protectionnistes de la part des États-Unis. Cela s’est clairement manifesté sous l’administration de Trump, avec Merkel qui exprimait son mécontentement dès que Trump prenait des décisions.
Les Allemands dépendent fortement du marché américain, et la défense européenne, en réalité, est américaine, c’est-à-dire otanienne. Bref, nous observons un réel décalage. Même d’un point de vue académique et théorique universitaire, nous avons constaté que le concept de guerre économique n’est pas du tout discuté ni présent dans le lexique en Allemagne. Ce n’est tout simplement pas un débat outre-Rhin. Ce concept même les dérangeait parfois pendant la production. Nous avons donc dû faire face à un décalage culturel. L’idée que ce sujet était pertinent était parfois difficile à faire comprendre car après tout, les Américains sont nos alliés, et cela ne fait aucun doute. En réalité, le concept même de guerre économique n’est pas du tout intuitif pour de nombreux Européens. Nous avons réalisé cela, en particulier concernant les Allemands.
PIE : Vous terminez le documentaire avec l’ombre planante de la Chine qui a attentivement observé la lutte que se livraient les Occidentaux et s’est inspirée de ce qui se faisait de mieux en matière de législation anti-corruption, comment, selon vous, la menace de Pékin dans ce domaine s’exercera-t-elle dans les prochaines années ?
DG : Pourquoi les États-Unis peuvent imposer ce qu’ils imposent ? Grâce à leur poids économique et à leur influence militaire. Par conséquent, par mimétisme, nous nous demandons quelle autre puissance économique pourrait exercer une influence similaire sur le plan judiciaire. Nous nous tournons alors vers la Chine, qui a effectivement adopté des lois extraterritoriales, non pas axées sur la lutte contre la corruption, mais plutôt sur les embargos et le contrôle des exportations, en particulier le suivi des équipements de fabrication chinois. Ils ont ainsi voté des lois à la fois offensives, calquées sur le modèle américain, et défensives, inspirées de nos propres actions.
En réalité, nous constatons qu’ils suivent les événements, qu’ils adoptent des lois offensives et défensives, et que leur poids économique est en augmentation. C’est pourquoi, dans le film, nous abordons cette question à la toute fin, et cela représente uniquement une perspective à long terme. De plus, il y a une autre donnée à prendre en compte : la montée en puissance de la Chine dans le domaine de l’aéronautique pure, avec l’ascension de Comac, qui fait concurrence à Airbus et Boeing, les deux principales sociétés duopoles à l’échelle mondiale. En rassemblant tous ces éléments, il est évident que l’avenir de l’extraterritorialité, voire de l’aéronautique elle-même, doit se tourner vers la Chine. À un certain moment, cela deviendra une réalité.
AL : Pour l’instant, la Chine n’a encore rien fait de significatif. Ils ont adopté des lois défensives et des lois en miroir, tout comme nous. Il reste à voir s’ils ont une réelle volonté hégémonique ou prédatrice. Beaucoup de personnes le pensent, mais d’autres en sont moins convaincues. Ce qui est certain, c’est qu’ils ne disposent pas du même soft power que les États-Unis. Personnellement, j’attends de voir. De plus, ils n’ont pas eu besoin de l’extraterritorialité pour progresser.
Ce qui me frappe, c’est que le C919 de Comac ressemble beaucoup à l’A320 d’Airbus, mais ce n’est pas grâce à l’extraterritorialité qu’ils ont réussi, c’est grâce à des accords conclus au début des années 2000 pour délocaliser nos usines chez eux, avec des transferts de technologie assez clairs. Les Américains peuvent parfois être un peu brutaux pour obtenir ce qu’ils veulent, mais nous, je trouve que nous sommes plus naïfs. Lorsqu’il s’agit d’investissement étranger, les Chinois investissent dans de nombreuses entreprises, ce qui est moins de la prédation que le fruit de nos propres législations qui le permettent. C’est en grande partie notre faute si la puissance chinoise se renforce.
La Chine monte en puissance et seul l’avenir nous dira si cela est préjudiciable pour le monde ou non. Mais on constate que la majeure partie de leur industrie, de leur technologie, tout ce qui est copié – oui, il y a une part d’espionnage avérée, nous le savons – est issu de 30 ans de délocalisations qui ont détruit notre tissu industriel. Il ne faut pas pleurer non plus, c’est largement notre responsabilité également.
PIE : L’exemple d’Alstom et le succès de votre précédent documentaire ont fait découvrir l’IE et fait naître des vocations, espérez-vous que La Bataille d’Airbus connaisse le même sort ? Quel regard portez-vous sur votre rôle de vulgarisateurs de l’IE ?
DG : L’affaire Airbus est très différente de l’affaire Alstom. Cette dernière était bien plus exaspérante et je ne pense pas que l’affaire Airbus suscitera autant de médiatisation et d’engagement. Cependant, je pense que l’affaire Airbus permettra de sensibiliser un certain nombre de personnes qui n’ont pas suivi ce genre de dossier au quotidien. Ce dossier offre beaucoup plus de complexité, de nuances et de profondeur que l’affaire Alstom. Mais je pense que le potentiel émotionnel est plus élevé dans l’affaire Alstom. À cet égard, c’est le cinéaste, le réalisateur, qui l’affirme.
AL : David a donné une excellente réponse, et je partage également son point de vue. Je pense que La Bataille d’Airbus intéressera davantage des spécialistes qui avaient déjà une certaine expertise. Ce film suscitera peut-être un débat direct sur la place de la compliance en France et sur le rôle des cabinets d’avocats, que ce soit en termes de préférence pour des professionnels français ou américains. Les personnes qui souhaitent se lancer dans ce domaine se poseront sans doute des questions auxquelles elles n’avaient pas pensé auparavant, ce qui ne peut être préjudiciable à personne. Quant à la vulgarisation, ce n’était pas notre objectif initial lorsque nous avons réalisé le film sur Alstom. Cependant, après quelques mois, nous avons réalisé que le film était utilisé par des entreprises, des écoles, voire des services de renseignements, cela vaut ce que cela vaut, mais nous le savons. Même à l’étranger, des établissements scolaires diffusent notre film et nous avons reçu des courriels, des sollicitations et des demandes de sous-titres. Nous avons ainsi constaté qu’il possédait un potentiel pédagogique réellement fort.
PIE : Les grandes sagas cinématographiques sont souvent des trilogies. Après Alstom et Airbus, un prochain documentaire est-il prévu ?
AL : Nous aimerions beaucoup poursuivre la réalisation de films à l’avenir. Cependant, il est essentiel de disposer de cette période de respiration pour tester de nouvelles approches et découvrir de nouveaux talents. La plupart des personnes que nous avons engagées pour travailler sur Airbus dans le domaine du graphisme sont des individus que nous avions repérés lors de petits projets réalisés pour des entreprises. Ce processus agit comme une source d’idées et nous permet d’explorer différentes possibilités de manière plus libre. Nous avons donc besoin de cet espace-temps pour éviter de nous répéter et pour ne pas stagner. C’est pour cela que nous avons récemment fondé une petite agence de communication appelée Tribann Sécurité. Nous proposons des services vidéos aux entreprises pour les sensibiliser aux risques, en particulier dans le domaine de la cybersécurité, comme nous l’avions déjà fait auparavant. Cependant, nous souhaitons étendre notre champ d’action à d’autres domaines tels que la conformité et l’intelligence économique, afin d’aider les entreprises à sécuriser leur patrimoine et à prendre conscience des risques. De nombreuses personnes nous ont déjà témoigné que nos films les avaient aidées dans cette démarche. C’est pourquoi nous explorons cette voie plus en profondeur afin de fournir des services encore plus pertinents.
DG : La réalisation d’un film peut prendre jusqu’à trois ans, et convaincre une chaîne peut durer deux ans. Par conséquent, nous sommes intéressés par des projets plus courts, tels que des films institutionnels ou des vidéos corporatives. Ces projets nous permettent de travailler sur des sujets intéressants, d’expérimenter de nouvelles approches et de découvrir d’autres acteurs que ceux de la télévision, en interagissant avec les entreprises et en comprenant leurs besoins spécifiques. Cela nous permet également d’évoluer, d’explorer différents styles et de collaborer avec d’autres experts techniques. En fait, nous avions déjà réalisé des films d’entreprise sur la cybersécurité entre les projets Alstom et Airbus, ce qui nous avait permis non seulement d’approfondir les sujets abordés, mais aussi de tester de nouvelles techniques graphiques et de collaborer avec d’autres professionnels. Ainsi, il est fort probable que nous nous engagions dans une période consacrée à la création de vidéos d’entreprise axées sur la sécurité informatique.
Propos recueillis par Simon Rousselot
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