Face à l’évolution des menaces maritimes et géopolitiques, le vieillissement de l’avion de patrouille Atlantique 2 a conduit la France à adopter un nouvel appareil : l’A321 MPA. Ce choix vise à renforcer l’autonomie de la France en matière de défense maritime, tout en soutenant les ambitions de coopération européenne.
Fin d’une ère : l’Atlantique 2 remplacé par l’A321 MPA
L’Atlantique 2 (ATL2), développé par Dassault-Breguet Aviation, est entré en service en 1989. Doté d’une autonomie de 8 000 km, soit environ 12 heures de vol, il est le fer de lance de la lutte anti-sous-marine et de la protection de la souveraineté des zones maritimes nationales. Actuellement, 22 appareils sont en service, dont 18 modernisés au standard 6. Stationnés à la base aéronavale de Lann-Bihoué dans le Morbihan, ils opèrent au sein des flottilles 21F et 23F.
Les qualités qui faisaient autrefois la force de l’ATL2 se révèlent aujourd’hui insuffisantes. Son autonomie, adaptée à son époque, est désormais trop limitée pour des opérations à longue distance. Par ailleurs, son radar Searchmaster, basé sur une technologie AESA (radar à antenne active) rotative, peine à rivaliser avec les performances des radars à panneaux fixes plus récents. L’absence de systèmes infrarouges avancés est un autre point négatif. C’est dans cette optique que le ministère des Armées a choisi de remplacer cet appareil par l’A321 MPA (Maritime Patrol Aircraft) d’Airbus Defence and Space, dévoilé lors du salon Euronaval 2024. Ce choix s’inscrit non seulement dans une modernisation technologique, mais aussi dans une volonté de renforcer l’autonomie stratégique de la France et de l’Europe face aux grandes puissances maritimes.
Pourquoi remplacer l’Atlantique 2 ?
Les ATL2, bien qu’excellents pour leur époque, ne répondent plus aux exigences actuelles. La sophistication croissante des sous-marins modernes et l’extension des zones d’intérêt géopolitique, comme en Arctique et en Indo-Pacifique, exigent des capacités de surveillance accrues. Parallèlement, l’environnement maritime militarisé intensifie les rivalités entre puissances. La protection des approches maritimes françaises et de la Force océanique stratégique (FOST) est donc extrêmement importante. En outre, les innovations technologiques, notamment dans les drones ROV (remotely operated underwater vehicle) et les sous-marins autonomes, révèlent les limites de l’ATL2. Enfin, la Marine nationale doit également faire face à des enjeux d’interopérabilité croissantes avec les forces de l’OTAN, où des plateformes modernes comme Thales permettent d’intégrer des informations en temps réel au sein de structures multinationales.
L’A321 MPA : une solution innovante
L’A321 MPA, dérivé de l’A321 XLR (Extra Long Range), est une plateforme de nouvelle génération qui allie polyvalence et technologies avancées. Conçu pour des missions de surveillance maritime et de lutte anti-sous-marine, il intègre des radars de dernière génération, des capteurs infrarouges, et permet le lancement de torpilles MU90 et de missiles Exocet AM39. De plus, cette plateforme se distingue par une capacité d’emport plus importante, avec à la clé plus d’autonomie et une certaine facilité à mener de longues missions de vol.
Son principal concurrent, le Falcon 10X de Dassault Aviation, n’a pas répondu aux cahiers des charges imposés par la DGA, et ce malgré une impressionnante autonomie de 14 000 km. Cela s’explique majoritairement par ses possibilités limitées en matière d’intégration d’armement, de systèmes de lutte anti-sous-marine et de surveillance aérienne. Les principales exigences portaient sur un appareil multi-rôle viable sur le long terme, notamment en ce qui concerne son coût d’exploitation. Au-delà de ses dispositions opérationnelles, l’A321 MPA est aussi un choix stratégique pour la France, visant à renforcer la compétitivité de l’industrie aéronautique européenne. Ce choix permet de réduire la dépendance technologique vis-à-vis des puissances étrangères, tout en renforçant l’industrie et les capacités de défense de l’Europe.
P-8A Poseidon vs A321 MPA : l’enjeu d’une souveraineté européenne
L’A321 MPA ne se limite pas à succéder à l’ATL2. Il représente aussi une alternative européenne crédible face au Boeing P-8A Poseidon, référence américaine dans la patrouille maritime. Il est utilisé par l’OTAN et plusieurs pays partenaires des États-Unis, notamment le Royaume-Uni et l’Allemagne. Si le patrouilleur américain est un appareil performant, largement standardisé au sein de l’Alliance atlantique, le choix de l’A321 MPA s’inscrit lui dans une volonté de l’Europe de ne pas se laisser imposer une solution étrangère, et de maintenir une autonomie stratégique.
L’A321 MPA se distingue aussi par sa capacité à s’adapter aux besoins spécifiques des marines européennes, là où Boeing est un système plus centralisé et étroitement lié à la doctrine militaire américaine. En effet, cela découle de sa conception initiale pour répondre aux besoins de projection de puissance de l’US Navy. Optimisé pour des opérations globales, il s’intègre dans une architecture centrée sur la domination maritime, avec des capteurs de pointe et des capacités d’armement standardisées (radar AN/APY-10, torpilles Mk54).
Un catalyseur pour l’Europe de la défense
Le remplacement de l’ATL2 par l’A321 MPA va bien au-delà des enjeux opérationnels. Il incarne une vision stratégique, renforçant l’autonomie de la France tout en consolidant l’ambition européenne d’une défense commune. Un exemple concret de cet impact pourrait être l’opération Atalante, menée par l’Union européenne pour lutter contre la piraterie en Somalie. L’A321 MPA, avec ses capacités de surveillance et d’intervention renforcées, pourrait jouer un rôle central dans la sécurisation des routes maritimes au large de la Corne de l’Afrique, contribuant ainsi à une réponse plus autonome et réactive de l’UE aux crises mondiales. Sur le plan industriel, ce programme constitue donc un levier pour la compétitivité de l’industrie aéronautique européenne.
A321 MPA : un pari pour l’avenir entre ambition et pragmatisme
Le remplacement de l’Atlantique 2 par l’A321 MPA marque une nouvelle ère pour la Marine nationale. Ce choix combine des avantages technologiques, stratégiques et industriels, tout en répondant aux enjeux contemporains de souveraineté. Cependant, des difficultés subsistent, notamment en matière de transition opérationnelle et de financement. Néanmoins, en investissant dans l’A321 MPA, la France réaffirme son ambition de demeurer une puissance maritime de premier plan.
Julien Chaintreuil pour le club Défense de l’AEGE
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