Alliance des États du Sahel : le Togo et la Russie sur le point de redéfinir l’avenir du Sahel

L’Alliance des États du Sahel (AES), fondée en 2023 par le Mali, le Burkina Faso et le Niger, incarne une ambition d’unité sous la devise « Un espace, un peuple, un destin ». Pourtant, les tensions internes fragilisent cette cohésion, tandis que l’idée d’une adhésion du Togo, évoquée par Robert Dussey, brouille davantage les équilibres. En opposition frontale à la CEDEAO et soutenue par Moscou, l’AES creuse la fracture géopolitique dans la région.

Les fondements de l’AES, symbolisme et réalités politiques

La formation de l’AES survient dans un contexte de bouleversements au Sahel, après des années d’instabilités marquées par des coups d’État successifs. De 2020 à 2023, le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont vu leurs régimes démocratiquement élus renversés par des autorités militaires. Ces changements ont engendré une redéfinition des alliances géopolitiques et une volonté de s’émanciper des influences extérieures, particulièrement de la France. Assimi Goita, Ibrahim Traoré et Mohamed Bazoum ont tous exprimé leur désir de redéfinir leur avenir en dehors de l’ombre occidentale, cherchant à bâtir une nouvelle solidarité régionale. Malgré ces déclarations, des divergences internes demeurent. Le Mali, sous Goita, adopte une ligne plus radicale vis-à-vis de l’Occident, tandis que le Burkina Faso peine à gérer l’intensification de la menace jihadiste. Quant au Niger, après une tentative initiale de conciliation avec les puissances occidentales, il se trouve pris entre des pressions internes et externes, ce qui complique la gestion de l’alliance.

La coopération sécuritaire et l’économique comme ambition

Les ambitions de l’AES sont principalement orientées vers la sécurité et l’économie. Tous s’accordent sur la nécessité de renforcer la sécurité régionale, mais les stratégies divergent. Certains privilégient l’intégration économique pour attirer les investissements et stabiliser leurs économies fragiles tandis que d’autres se concentrent avant tout sur la lutte contre les groupes armés. Cette divergence entre sécurité et développement risque de fragiliser la cohésion interne.

Malgré la création d’une force conjointe de 5 000 soldats pour lutter contre les jihadistes, les approches sécuritaires varient. Certains membres optent pour des alliances avec la Russie ou la Chine, d’autres préfèrent une intervention militaire directe ou la mise en place de forces locales. Ces choix divergents montrent que, bien que l’objectif de sécurité soit partagé, les moyens pour y parvenir diffèrent.

En matière économique, l’AES souhaite stimuler les échanges intra-régionaux et développer des projets d’infrastructure communs. Cependant, ces ambitions se heurtent à des obstacles majeurs, comme le manque de financements et des infrastructures insuffisantes. Les différences politiques compliquent également la réalisation de ces objectifs, laissant la devise « un espace, un peuple, un destin » comme une aspiration difficile à concrétiser face à la diversité des réalités internes.

Le Togo : une nouvelle dimension pour l’AES

La récente déclaration de Robert Dussey, ministre des Affaires étrangères du Togo, sur la possibilité d’une adhésion du pays à l’AES, pourrait redéfinir les dynamiques régionales. Une telle adhésion offrirait à l’AES un accès stratégique à l’océan Atlantique via le port de Lomé, crucial pour les échanges commerciaux des pays enclavés du Sahel. Ce renforcement de l’intégration économique semble prometteur, mais soulève des interrogations. Les relations diplomatiques du Togo avec la CEDEAO, notamment, sont divergentes de celles des membres de l’AES, ce qui pourrait nécessiter des ajustements stratégiques au sein de l’alliance.

L’influence russe, soutien stratégique ou ingérence contestée

L’implication croissante de la Russie, notamment via le groupe Africa Corps (anciennement Wagner), ajoute une nouvelle complexité à la géopolitique de l’AES. Moscou, en soutenant les régimes militaires du Sahel, se positionne comme une alternative aux puissances occidentales, en particulier la France. Cependant, cette ingérence soulève des questions sur l’autonomie réelle de l’alliance, qui semble de plus en plus influencée par des acteurs extérieurs. Cette dépendance à la Russie pourrait compliquer les relations diplomatiques de l’AES sur la scène internationale, aggravant les tensions avec les puissances occidentales et conduisant potentiellement à un isolement diplomatique croissant. La difficulté pour l’AES de se définir comme une entité indépendante, libre des influences extérieures, devient ainsi un enjeu majeur pour sa consolidation à long terme.

Une rupture avec la CEDEAO aux conséquences profondes

La rupture avec la CEDEAO s’est accentuée après que l’AES a rejeté la prolongation de six mois accordée par cette organisation, qualifiant la mesure de tentative de manipulation politique. Les pays membres de l’AES ont ainsi exprimé leur volonté de se libérer de la tutelle de la CEDEAO et de suivre leur propre trajectoire. Cette rupture a des conséquences considérables. D’un côté, l’AES risque de se retrouver isolée de la CEDEAO, une organisation clé pour la stabilité et la coopération en Afrique de l’Ouest. Cela pourrait limiter les financements, les échanges et le soutien diplomatique, fragilisant ainsi l’intégration économique et la coopération sécuritaire régionales.

De l’autre côté, la CEDEAO se trouve face à un défi de taille : comment maintenir son autorité face à des régimes qui rejettent ses résolutions ? La rupture remet en cause l’efficacité de ses mécanismes de gestion des crises, et pourrait affaiblir son influence sur la scène internationale. Cette dynamique redéfinit les rapports de force en Afrique de l’Ouest et pourrait entraîner un isolement croissant pour l’AES. Une telle rupture marque un tournant stratégique, avec des conséquences qui risquent de remodeler l’équilibre géopolitique de la région pour les années à venir.

Oscar Lafay 

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