Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Compte-rendu de la table ronde à Dauphine : qui domine l’Internet ?

Le Mardi 20 Octobre 2015, la Chaire Intelligence Economique et Stratégie des Organisations de l’Université Paris-Dauphine organisait une table ronde réunissant Olivier Kempf, spécialiste de la cybersécurité, François Bourdoncle, co-fondateur d’Exalead et Henri Isaac, professeur à Dauphine, autour de la problématique « Qui domine l’Internet ? ».

La gouvernance d’Internet est un enjeu prégnant de la société d’information puisqu’Internet est à la fois créateur et organisateur de flux informationnels et commerciaux. Il valorise l’information disponible et crée par lui-même une valeur informationnelle. L’enjeu de la maîtrise de cet espace immatériel est considérable car celui qui domine l’internet maitrise l’information… dans une certaine mesure.

 

Peut-on parler d’un Internet mondial, ou des internets ?

Intervention d’Henri Isaac, Maître de conférences et Vice Président en charge du numérique de l'Université Paris-Dauphine.

 

Internet est un espace protéiforme, dont les Etats-Unis ne dominent indiscutablement qu’une partie, l’architecture du réseau, dont l’agence fédérale ICANN est l’institution centrale.

Internet est également un espace physique nécessitant des câbles sous-marins,  des serveurs, des routeurs… L’infrastructure physique du réseau est le fruit de dynamiques internationales qui ne se limitent pas aux Etats-Unis. Or, la maitrise de l’infrastructure physique est déterminant stratégiquement pour le contrôle du cyberespace.

Si les  entreprises américaines dominent les marchés des applications, des softwares et  des hardwares, certains géants locaux parviennent à émerger. Porté par le marché du e-commerce chinois (le plus important au monde), Alibaba pèse désormais plus lourd qu’Amazon tandis que Renren et Baidu équivalent à Facebook et Google sur le périmètre Chinois. Le phénomène n’est pas périphérique : Leboncoin.fr suscite quotidiennement 4 fois plus de pages vues qu’Ebay en France.

De nombreux acteurs historiques ont disparu de la toile : Netscape, Myspace, Friendster, AOL, Altavista… Actuellement, Facebook, Twitter, Snapchat sont incontournables… Mais pour combien de temps ? Dans un monde d’innovation radicale et structuré en réseau, une domination ne peut être définitive.

Internet évolue principalement vers le mobile, le cloud, le big data et les objets connectés. Ces lames de fond constituent autant d’opportunités pour les challengers de remettre en cause la domination américaine. On compte ainsi en 2015 2,5 fois plus d’utilisateurs d’IOS et d’Android que de PC, remettant en cause la domination américaine sur un marché hardware versatile et ouvert.

 

Deuxième partie : les Etats doivent-ils et peuvent-ils réguler les activités d’Internet ?

Par Olivier Kempf.

 

Le  cyberespace remet en cause la puissance des Etats, car le flux d’informations qu’il permet est étranger au contrôle étatique. Cependant, Internet sert de support à des activités hautement répréhensibles comme le djihadisme ou la pédophilie, que la puissance régalienne ne saurait tolérer. Les Etats régulent donc l’Internet selon deux sphères distinctes, interne et externe.

En matière d’ordre interne, les Etats libéraux poursuivent un idéal ambivalent : respecter les libertés individuelles, mais veiller à l’ordre public. La protection des citoyens implique la lutte contre la cybercriminalité (menaçant les libertés à titre individuel), et  la défense contre les radicaux terroristes (menaçant les libertés à titre collectif). Les dispositifs de surveillance technique de type « lois de renseignement »  organisent un contrôle non individué du cyberspace. La Chine a pris quant à elle le parti de maitriser les aspects physiques de son réseau de 600 millions d’internautes avec des moyens de censure très puissants : Pékin peut par exemple bannir des mots clés, et contrôle ainsi l’opinion.

La mise en place d’un ordre d’internet externe aux Etats donne lieu à une guerre normative. La Russie, la Chine et certains pays émergeants souhaiteraient légitimer leur recours à la censure et à la cybersurveillance des opposants. Les traités bilatéraux de coopération sont donc le modus operandi privilégié. La Chine collabore ainsi avec la Russie, et depuis début octobre avec les Etats-Unis en matière de cybersécurité.

Les stratégies locales de cybersécurité donnent des résultats partiels, dont il faudra se contenter pour le moment. Les Etats-Unis demeurent le seul Etat à disposer d’une capacité d’intervention globale sur le cyberespace, domination dont la Chine tente de s’affranchir. L’Europe a-t-elle la taille critique pour en faire autant ? C’est possible, à condition de s’entendre  sur des normes de confidentialité en droit des affaires et sur la stratégie de protection des citoyens.

 

3) Quel est le futur d’Internet souhaitable pour les citoyens et les entreprises ?

Par François Bourdoncle.

 

L’enjeu prégnant d’Internet pour les citoyens réside dans l’accessibilité aux données personnelles : les Etats se réservent un droit discrétionnaire, dont ils tentent de priver les entreprises, d’où des conflits à la clé. Google ne vend presque rien de physique, les données personnelles sont sa matière première.

Aux Etats-Unis, on parle de la gestion des données comme d’une activité business tandis que l’approche européenne est beaucoup plus dogmatique…. Mais l’Europe utilise massivement les technologies et applications américaines !

Nous assistons actuellement à une révolution capitalistique : les start-up des années 1990 étaient financées en millions de dollars, désormais on parle en milliards. Les capacités financières des start-up équivalent à celles des groupes industriels. Les start-up se financent auprès des marchés et des banques sans la moindre difficulté, alors que les industries doivent rendre des comptes beaucoup plus lourds sur leurs activités et adopter des logiques très différentes. Le risque économique est en train de se polariser du coté du marché des technologies d’Internet, alors que les porteurs de capitaux dans l’industrie lourde conservent une forte aversion pour le risque.

Apple dispose désormais d’autant de réserves en devise que le gouvernement fédéral américain, SpaceX impose à Ariane de revoir son business model… Les Etats traitent désormais avec des entreprises disposant d’une puissance comparable à la leur. Si l’Europe veut éviter la domination des géants américains de l’Internet, elle ne doit pas chercher à légiférer dans le but de protéger, mais dans celui de favoriser l’émergence d’entreprises européennes rivales.