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La diffusion de l’IE dans les entreprises pourrait être plus soutenue

Le Portail de l’IE poursuit et intensifie son partenariat avec la CCI Paris IDF en publiant l’article de Denis Deschamps, responsable du pôle Innovation / Intelligence Economique qui dresse l’état des lieux de l’intelligence économique dans les PME. Si cette culture connaît une incontestable diffusion, les résultats dans la pratique pourraient encore être améliorés.

Le constat peut paraître rude mais il est malheureusement sans appel : malgré l’émergence réelle en France d’un marché de l’Intelligence Economique (IE), les PME/PMI ne constituent toujours pas en 2016 une cible directe pour des prestations spécialisées en IE, sauf dans le cas où ces celles-ci seraient proposées dans le cadre d’actions publiques « collectives », c’est-à-dire avec un très fort ticket modérateur jouant sur leur coût.

Parmi les professionnels en IE recensés aujourd’hui dans notre pays, les principaux prestataires comme  l’ADIT et la CEIS travaillent ainsi essentiellement avec des grands comptes (CAC 40 ou grandes administrations),  ou bien avec des grandes collectivités publiques (en particulier, les régions) lorsqu’elles proposent des programmes d’accompagnement en IE (constitués principalement des missions ponctuelles de renseignement économique) visant les PME/PMI.

S’agissant plus spécifiquement des entreprises innovantes / « startups » de la « French Tech », c’est aussi dans la logique collective des pôles de compétitivité ou des IPHE (incubateurs, pépinières et hôtels d’entreprises) qu’il faut envisager la diffusion et la mise en œuvre opérationnelle de l’IE par les PME/PMI.

En effet, par-delà même la nécessaire démonstration de la rentabilité économique indéniable de l’IE pour les PME/PMI qui investissent dans sa pratique, une impulsion politique / publique est toujours indispensable pour permettre à ces entreprises à fort potentiel de croissance de devenir encore plus autonomes, grâce à des méthodes et outils simples et robustes, qui sont le plus souvent issus des ressources de la digitalisation.

La culture de l’IE se diffuse certainement, mais la pratique ne suit pas dans les PME/PMI.

D’une édition à l’autre, les résultats de l’enquête pilotée par la CCI Bretagne sur les pratiques de veille et d’IE des entreprises (en 2015, la 8ème édition de l’enquête bretonne a été étendue aux entreprises de Bretagne, Normandie, Bourgogne, Centre et de la région Rhône-Alpes) paraissent plus encourageants : 80% des PME/PMI interrogées voient ainsi l’IE comme un moyen de renforcer leur capacité d’anticipation pour définir leur stratégie.

On peut très certainement attribuer cela de positif à l’Internet, qui a permis un accès plus aisé de tout un chacun -comme les PME/PMI- à l’information (extension du champ des sources / Open Data[1]…), à son traitement automatisé et aux possibilités accrues pour son exploitation (dispositifs de veille simplifiés / agrégateurs de flux d’information / outils de publication), en même temps qu’à une nouvelle forme d’organisation du travail en entreprise (développement des outils collaboratifs / réseaux sociaux professionnels).

Mais si les PME/PMI ont maintenant une meilleure perception de l’IE (Veille / Sécurité / Influence) et de son usage possible (exploitation de l’information qualifiée pour Anticiper / Développer / Surveiller), elles sont encore bien loin de la mettre quotidiennement en pratique :

–       Une moitié des entreprises (55,3%) déclare avoir mis en place une démarche de veille, mais sans en faire pour autant un réel levier pour le développement. Par manque de temps ou de compétence, les PME/PMI ne savent en effet pas comment analyser/traiter l’information qu’elles ont rassemblée.

–       Moins de la moitié des entreprises (44,2%) dit avoir mis en place une démarche de protection, mais le plus généralement seulement après avoir rencontré un problème majeur de sécurité (comme, par exemple, la fuite d’information).

–       Près des deux-tiers des entreprises (62,6%) ne mènent aucune action d’influence ou de lobbying.

Au regard de ces résultats pour le moins « nuancés », on peut aisément comprendre que la mise en œuvre opérationnelle de l’IE par les PME/PMI ne peut être accentuée que si elle est régulièrement promue sur le terrain par des acteurs qui fédèrent et accompagnent les entreprises, comme les chambres consulaires et les syndicats professionnels ; et ce autant que possible avec le soutien des pouvoirs publics (Etat, agences spécialisées et collectivités territoriales) dans le cadre de programmes « collectifs ».

Lorsqu’on s’intéresse de plus près aux  entreprises innovantes  (« startups » et/ou entreprises à fort potentiel de croissance), le vecteur de diffusion de l’IE paraît ainsi revenir aux pôles de compétitivité et aux IPHE (incubateurs, pépinières et hôtels d’entreprises) qui pourraient largement montrer la voie aux PME/PMI qu’ils accompagnent..

En matière d’IE, les pôles de compétitivité et les IPHE sur la voie de l’exemplarité.

Si l’on met de côté les programmes d’actions collectives qui sont portés par certains pôles de compétitivité et qui permettent aux PME/PMI adhérentes de bénéficier, dans les meilleures conditions tarifaires, de prestations d’IE spécialisées (c’est-à-dire essentiellement des missions ponctuelles de renseignement économique), on constate que les pôles ne constituent pas toujours des modèles en matière d’IE.

Et pourtant, cela devrait. Parce qu’ils sont des acteurs-clefs pour le développement économique, au travers plus particulièrement des technologies d’avenir qu’ils couvrent et des collaborations qu’ils mettent en place en faisant circuler de l’information sensible, les pôles de compétitivité sont en effet exposés à des risques d’ingérence très importants.

Aussi, lorsqu’ils accompagnent les PME/PMI au développement sur le marché, en France comme à l’international, les pôles devraient appuyer celles-ci sur chacun des trois volets de l’IE (Veille / Sécurité / Influence) afin de leur assurer les meilleures conditions possibles pour favoriser leur expansion.

Or, comme le souligne le rapport Claude REVEL (D2IE, juin 2015), les pratiques des pôles de compétitivité en matière d’IE sont très « hétérogènes ». On peut a priori regrouper celles-ci en trois caractéristiques principales :

–       Mise en place d’une veille collective (mais sans veilleur dédié à plein temps), très généralement centrée sur la technologie, mais qui ne permet pas de surveiller le marché ou bien d’anticiper les évolutions socio-économiques ; et donc qui n’est pas en mesure de répondre aux demandes ciblées des entreprises membres du pôle, particulièrement quand celles-ci veulent aller à l’international.

–       Mise en place d’une plateforme collaborative sécurisée, mais qui peut être rapidement abandonnée parce que trop difficile d’utilisation par les membres du pôle. Aussi, les comportements de ces derniers ne correspondent généralement pas à ce qu’on pourrait attendre d’eux en matière de sécurité.

–       Pas d’action d’influence / lobbying pour favoriser notamment le développement de l’image du pôle. Il apparaît ainsi que les pôles de compétitivité se retournent encore et toujours vers l’Etat pour les défendre devant les instances communautaires et internationales.

De même, les IPHE (incubateurs, pépinières et hôtels d’entreprises), s’ils déclarent en 2015 connaître les besoins en information des entreprises qu’ils hébergent ou accompagnent (en particulier, lorsqu’il s’agit d’entreprises exportatrices ou qui souhaitent être présentes à l’international), sont proportionnellement encore trop peu nombreux à mettre en œuvre des actions spécifiques en IE. Celles-ci sont principalement les suivantes :

–       Organisation ponctuelle d’ateliers de sensibilisation à l’IE (avec recours à un prestataire extérieur).

–       Regroupement de l’information avec mise en place d’outils partagés (carnet d’adresses, agenda…), mais généralement sans que des mesures soient prises en matière de protection du patrimoine immatériel et du savoir-faire.

–       Mise en place éventuelle d’une plateforme de veille partagée (à condition toutefois que l’IPHE soit thématique), mais avec une prise en compte très basique des questions de sécurité informatique.

Le manque de moyens, de temps et surtout de compétences sont bien entendu autant de facteurs d’explication de la modestie opérationnelle des IPHE comme des pôles de compétitivité en matière d’IE.

Les pouvoirs publics (Etat, agences spécialisées, collectivités territoriales) ont donc encore un rôle majeur à jouer pour soutenir et renforcer l’intervention de ces acteurs importants du développement économique, en les aidant à proposer aux PME/PMI qu’ils accompagnent des dispositifs simples et résolument adaptés à leurs besoins.

Quelques pistes à envisager pour favoriser l’intervention des pôles de compétitivité et des IPHE en matière d’IE.

–       Incitation à la désignation « volontaire » d’un référent IE au sein du pôle / IPHE. Celui-ci sera responsable notamment de la sécurité / gestion des informations sensibles et de la conservation des données. Il diffusera en particulier un Vademecum IE simplifié (méthodes, bonnes pratiques) auprès des PME/PMI.

–       Incitation à l’organisation de permanences physiques régulières avec les services spécialisées en sécurité économique (Gendarmerie, Police / DGSI) et également en propriété industrielle (INPI). Dans ce cadre, incitation des PME/PMI à faire un diagnostic de sécurité économique, pour les aider à déceler leurs vulnérabilités et envisager avec les organismes compétents les meilleures parades pour y remédier.

–       Organisation à échéance périodique (fréquence semestrielle, sur une thématique spécifique définie pour chaque réunion) de formations en IE (veille, e-réputation, sécurité) in situ, ou bien au travers d’outils en ligne (modules E-Learning sur : veille / renseignement économique ; sécurité / protection de l’information ; influence / e-réputation).

–       Soutien (ingénierie et mise en place possible d’une « hot-line ») à la mise en place par les PME/PMI de dispositifs simples et robustes (et à coût modique) de veille stratégique individualisée (avec accès aux données marché pour assurer la croissance du business), complémentaire aux mécanismes collectifs existants au sein de la structure (pôle ou IPHE) pour la mobilisation et le partage de l’information.

–       Elaboration dans le cadre des formations IE, de modèles de cartographie d’acteurs et de documents clefs de position pour pouvoir envisager l’organisation d’actions d’influence.

 

Parce qu’elle se fonde essentiellement sur l’implication des acteurs de terrain, qu’il s’agisse des PME/PMI ou bien des structures qui les accompagnent dans leur développement, la diffusion de l’IE suppose ainsi, au-delà de la logique première d’intérêt économique immédiat pour les entreprises (ROI- retour sur investissement), une impulsion politique / publique pour affermir leur volonté et transformer l’IE en action sur le long terme.

Denis DESCHAMPS

 


[1] Pour autant, 80% des PME n’auraient pas pleinement conscience du potentiel de transformation et de croissance représenté par le Big Data (cf. livre blanc 2016 BPI France / Aremus & Associés Capital innovation – « Modèles, Data et Algorithmes : les nouvelles frontières du numérique »).