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« Faire face au risque de crue de la Seine » – Compte Rendu

Partager les enseignements tirés de l’exercice EU Sequana et de la crue du mois de juin 2016 : tel était l’objectif de la conférence du 11 janvier 2017 organisée par l’association CAPRM du Master II Gestion Globale des Risques et des Crises. Axée sur la coopération public/privé, elle a eu le plaisir d’accueillir des acteurs de premier plan : le Secrétariat Général de la Zone de Défense et de Sécurité (SGZDS), représenté par le chef du bureau exercices Stephan Portier, et le groupe de distribution Monoprix, représenté par Michaël Bettan, directeur sûreté et Marion Maillard, responsable sûreté.

            

La Seine est un long fleuve tranquille. Voilà en substance ce que ressent une majorité de Parisiens et par extension les habitants d’Ile-de-France. Les photos en noir et blanc de Parisiens se déplaçant sur des planches  de bois ou en barque lors de la crue de 1910 font aujourd’hui  davantage  sourire que réagir et ne sont pour beaucoup qu’un lointain souvenir. Ces images à première vue cocasses ne doivent pas faire oublier qu’une situation type crue 1910 peut se reproduire à tout moment, avec des conséquences importantes. C’est en réponse à ce risque que la Préfecture de Police de Paris a organisé au mois de mars 2016 l’exercice EU Sequana, dans une optique d’amélioration de la réactivité et de la coordination des acteurs publics et privés. La crue du mois de juin 2016 qui a suivi cet exercice n’a fait que confirmer la réalité de ce risque.

 

I/ Le risque d’inondation en IDF – Causes, impacts, enjeux pour les autorités et les acteurs privés

« Nous sommes tous concernés directement ou indirectement par ce risque d’inondation. » – Stéphan Portier

Le risque d’inondation est le premier risque naturel majeur en Ile‐de‐France. Il est particulièrement élevé de novembre à mars et est un phénomène relativement lent avec une montée des eaux comprise entre  10-­15 jours en moyenne. La décrue d’un tel phénomène serait tout aussi longue, soit une quinzaine de jours.

Les impacts d’une crue majeure en Ile‐de‐France seraient amplifiés par la forte densité de population et d’urbanisation de la région, mais aussi par l’interconnexion/interdépendance des réseaux  (électriques, d’eau, d’assainissement, de transports, de télécommunications etc.).

L’OCDE a chiffré à 30 milliards d’euros le montant des dégâts occasionnés par une potentielle crue type 1910. Economiquement, une   crue majeure en Ile‐de‐France aurait alors des conséquences bien supérieures à n’importe quel risque actuel.

En termes de bilan humain, la prévision à trois jours de la crue donnerait le temps aux autorités et services météorologiques d’informer la population. Comme en 1910 (1 décès), il y aurait donc sans doute peu de victimes directes mais de potentielles victimes indirectes : malaises, chutes dans des plaques d’égouts, brûlures dues à des hydrocarbures si les habitants se déplacent sans protection adéquate dans l’eau polluée, coupures et contusions dues aux objets charriés par l’eau etc.

La vie quotidienne des franciliens serait certes fortement perturbée pendant la crise mais aussi lors de la phase de retour à la normale. Ainsi, comme l’a souligné Stéphan Portier, « si la population comprendrait la coupure des réseaux et la paralysie de la région pendant la crise, il n’en serait certainement pas de même une fois la décrue passée ». Comment faire comprendre à la population que le retour à la situation pré-­‐crue prendrait des  jours  (redémarrer  ce  qui  peut  l’être),  des  semaines  (séchage,  nettoyage),  des mois (remise en état des différents réseaux) voire des années (destruction/reconstruction) ?

Pour les pouvoirs publics, et la Préfecture de Police de Paris en premier lieu, les défis seraient multiples : organisation de la vie quotidienne (approvisionnement, assistance aux personnes vulnérables etc.), protection des biens et des infrastructures critiques (ordre public, surveillance et sécurisation), remise en état des biens après la phase de crue (pompage, dépollution, séchage, travaux de voirie), retour de la population.

Les acteurs privés seraient tout aussi touchés par ce scénario de crue majeure. Le groupe de distribution Monoprix fait partie, de par son activité et la localisation de ses sites d’implantation (magasins et dépôts), des acteurs privés concernés par le risque de crue en Ile-de-France.

 

Avec 338 points de vente aux formats variés à Paris et sa banlieue (Monoprix, Monop’, Naturalia, Ware House), Monoprix est un groupe exposé aux conséquences multiples d’une crue majeure. Il suffirait d’une défaillance pour qu’un magasin  ferme : inaccessibilité du magasin, coupure d’électricité, rupture des installations frigorifiques, conditions de sécurité non assurés, absence du personnel, rupture de la chaîne d’approvisionnement (axes de communication coupés). De même, comme l’a souligné Michaël Bettan, que faire lorsqu’un magasin doit rester fermé ? Evacuer la marchandise ? Si oui vers où ? Vers des dépôts ou d’autres magasins, pas forcément accessibles ? Comment gérer le gardiennage et l’entretien d’un site inaccessible ? Tout comme pour les acteurs publics, la remise en état des biens des points de vente par les acteurs du secteur de la distribution prendrait un certain temps.

Ces problématiques ne sont pas propres à Monoprix et concernent tous les acteurs de la distribution et par extension les entreprises d’IDF.

Face à ces impacts qui pourraient survenir en cas de crue majeure et afin de préparer et sensibiliser les populations, mais aussi les acteurs publics et privés, un exercice régional avec le soutien de l’Union européenne a été organisé en mars dernier : l’exercice EU Sequana 2016.

 

II/   La nécessité d’un exercice à grande échelle

Organisé avec le soutien de l’Union européenne et quatre pays membres, l’exercice a réuni 150 partenaires publics et privés. L’objectif général de l’exercice était de tester la coordination entre les différents acteurs de la gestion de crise. Pour la Préfecture de Police de Paris, plusieurs objectifs intermédiaires découlaient de l’objectif général :

  • Tester les chaînes de commandement

  • Tester certains plans

  • Déployer des moyens sur le terrain

Chaque partenaire avait ensuite ses propres objectifs. Dans le cas de Monoprix, il s’agissait notamment d’assurer une continuité d’activité efficace et une pérennité de l’activité au-delà d’une crise. Il s’agissait également, comme pour tous les autres partenaires, de profiter de cet exercice pour apprendre vis-à-vis des autres participants et de tester la communication avec les autorités. L’enseigne a pu échanger tout au long de l’exercice avec les réseaux de transports (RATP et SNCF), les communes (Ville de Clichy) et les départements (Préfecture des Hauts-­‐de-­‐Seine). Monoprix a  également pu travailler en concertation avec le Ministère de l’Agriculture, de l’Environnement et des Forêts afin de s’’inscrire dans une démarche de secours à la population, avec mise à disposition de produits de première nécessité, de vêtements ou d’eau.

Egalement, à l’image des autres partenaires privés, Monoprix a dû former les différents collaborateurs impliqués dans l’exercice. Ceci a eu trois avantages : permettre une interaction riche entre les Directions avec des points de réflexion variés, assurer la réalisation d’un RETEX (retour d’expérience), et former des personnes de terrain tout en faisant un point sur le niveau d’organisation de chaque entité. Cet exercice a permis à chacun de connaitre l’existence des documents de gestion de crise (plan de continuité d’activité (PCA), fiches réflexes) et de les consulter à minima pour en connaitre le contenu et les enjeux.

Comme pour les autres acteurs de l’exercice, la préparation de l’exercice s’est faite avec le « cahier du partenaire » émis par la Préfecture. Ce document informait les acteurs sur la préparation de l’exercice, les différentes étapes à venir et la construction des scénarii. La Préfecture de Police a également mis en place le logiciel CrisORSEC qui a pour but de favoriser les échanges durant la crise entre elle et les entreprises privées. Le groupe de travail Monoprix a été formé à l’utilisation de ce logiciel durant la phase de préparation de l’exercice.

A la fin de l’exercice EU Sequana 2016, chaque acteur a tiré son propre bilan tout en donnant son ressenti à la Préfecture via un questionnaire. De même les données collectées en interne par Monoprix ont permis de savoir que :

  • 100% des participants accepteraient de refaire un exercice du même type

  • 87% des participants ont trouvé riches les échanges avec les autres entreprises participantes

  • 75% des participants ont préféré le format « stress » du premier jour. En résumé, l’exercice EU Sequana a permis :

  • De sensibiliser la population

  • De tester les dispositifs de secours des autorités

  • De sensibiliser et préparer les entreprises au risque de crue

  • D’évaluer la coopération entre acteurs publics et privés

L’amélioration des dispositifs de gestion de crise et la poursuite de la sensibilisation au risque de crue reste maintenant à la charge de chaque acteur.

III/ La crue du mois de juin 2016 : Quelles similarités et quelles différences entre la fiction (scénario Sequana) et la réalité (crue juin) ?

Qui aurait pu imaginer qu’une crue réelle d’une ampleur inédite depuis de nombreuses années se produirait quatre mois seulement après l’exercice Sequana ? Quoiqu’il en soit, si certains étaient encore dubitatifs face à la réalisation d’un tel phénomène majeur, cette crue a mis fin – au moins le temps du souvenir – à leur incrédulité.

Cependant, la crue du mois de juin 2016 a surpris bon nombre d’acteurs. Souvenez-­‐vous, la probabilité d’occurrence d’une crue majeure se situe statistiquement entre novembre et mars ! En cause, un hiver extrêmement pluvieux qui a provoqué la crue de la Seine et de ses affluents.

Entre l’exercice EU Sequana 2016 et la crue du mois de juin, des événements (ou « inputs ») attendus se sont réalisés et inversement. D’autres événements non prévus ont eu lieu. En voici quelques exemples.

Exercice EU Sequana 2016

Inputs réalisés

  • Un risque bactériologique dans les lacs de Vitry et Grigny dû à l’eau de la Seine.

  • Déclenchement du plan de prévention de la SNCF pour le RER C qui longe la Seine.

  • Mise à l’abri d’œuvres d’art au Musée du Louvre et au Quai d’Orsay.

  • Fermeture préventive de deux stations de métro par la RATP.

Inputs non réalisés

  • Invasion de rats (cas de leptospirose).

  • Coupure de télécom.

  • Défaillance du fiduciaire.

  • Trouble à l’ordre public.

  • Appel au Mécanisme Européen de Sécurité Civile.

Evénements non prévus

  • Défaillance de la station hydrologique Paris Austerlitz qui a faussé les données de Vigicrues.

  • Problématique des groupes électrogènes pour les acteurs privés car la plupart ont été réservés par les organismes publics.

  • Un « deuxième zouave à Paris » : la vue d’un journaliste en direct à la télévision a renvoyé une image désastreuse de la situation et a incité d’autres personnes à faire de même.

 

Bien que surprenante pour un mois de juin, cette crue n’a pas pris les acteurs au dépourvu. Pour Monoprix, cela a permis de tester les réactions et les mesures mises en place pour protéger les sites de l’enseigne. Cette crue aura ainsi constitué une occasion pour le groupe d’appliquer les enseignements tirés de l’exercice EU Sequana 2016.

Si la crue du mois de juin a réactivé la mémoire du risque de crue chez la population de la capitale, un défi majeur reste à relever aujourd’hui : réussir à entretenir cette synergie sur le long terme et que l’ensemble des acteurs d’IDF (population, acteurs publics et privés, partenaires européens) soient prêts à réagir de manière efficiente à une crue importante. C’est en réponse à ce risque que la préfecture de police de Paris, l’UE, Paris, les acteurs privés (Monoprix) ont organisé, au mois de mars 2016, l’exercice EU Sequana, dans une optique d’amélioration de la réactivité et de la coordination des acteurs publics et privés. La crue du mois de juin 2016 n’a fait que confirmé l’utilité d’un tel exercice. Ce dernier, et la crue du mois de juin qui a suivi ont permis de rappeler qu’une crue de grande ampleur pourrait resurgir un jour en région parisienne. Grâce à ces deux crues, l’une fictive et l’autre réelle, la population, les entreprises ont à nouveau pris conscience de l’existence de ce risque. L’enjeu est maintenant d’entretenir cette culture du risque afin que les photos en noir et blanc des parisiens se déplaçant en barque ne redeviennent pas à nouveau un lointain souvenir…

Mathieu Grasset


Pour aller plus loin :
Dessous des carte Crues de la Seine : risque régulier, risque oublié
Étude de l’OCDE sur la gestion des risques d’inondation
EU Sequana 2016