Comment la France doit mener sa guerre économique contre la Chine en Afrique ?

A l’heure où l’Inde et la Chine investissent de plus en plus sur le continent africain il s’agit de reconstruire une grille de lecture et de comprendre l’avenir qui l’attend. La France dispose de leviers forts : ses acteurs privés, ses start-ups et chancelleries orientées vers les secteurs d’avenir (énergies vertes, infrastructures de télécom’, moyens de paiement), et non plus “uniquement” son histoire commune ou sa présence « diasporale ».

La conjoncture nous livre encore une fois un cas d’école d’incapacité à projeter une puissance économique et diplomatique suffisante pour contrer la concurrence. C’est ainsi que dernièrement une entreprise chinoise remportait à Mambila (Nigéria) un contrat de 5.8 milliards de dollars pour la construction d’un barrage hydroélectrique. "C'était un contrat taillé pour nos grands groupes mais nous n'avons même pas pu batailler (…) Il n'y a d'ailleurs aujourd'hui rien à faire face à ces multinationales chinoises à la puissance financière illimitée et aux procédés parfois douteux" développe un diplomate sous couvert d’anonymat répondant à Challenge[1]. Cette situation n’est pas nouvelle, rappelons le contrat Inga III en RDC, de même nature portant sur des infrastructures hydroélectriques et remporté par un consortium chino-hyspanique…

Derrière ces victoires économiques se cache évidemment une puissance politique et organisationnelle qu’il s’agit de comprendre. La force de la puissance chinoise en Afrique est un sujet vastement documenté et il est aisé d’en saisir l’incroyable organisation, financière et quasi managériale, qui permet à l’empire du milieu de s’étendre au sud. Nous ne citerons pour exemple qu’une part de ce maillage politico-économique : l’impact du soutien de la finance chinoise avec comme tête de pont Eximbank et CDB ainsi que la plateforme de partenariat public-privé China-Africa Industrial Capacity Cooperation Fund Company Limited (qui a vocation à prendre le relais des banques dans une volonté d’interaction Sud-Sud)[2]. Retenons encore la Chinca[3], association internationale des constructeurs chinois, ainsi que la ZCCZ (zone de coopération économique et commerciale sino-zambienne), ouverte en 2009[4] par le ministre chinois du commerce Chen Deminz. Zone trouvant son pendant égyptien, nigérian, éthiopien… Jusqu’à compter 7 zones de ce type en Afrique. Chaque zone ayant alors un intérêt et une production principale : cuivre, textiles etc… [5]

Sans aller plus avant dans l’exposition des leviers de puissances chinois sur le continent il s’agit d’identifier ce que sont les nôtres. La France dispose encore, malgré la conjoncture, de relais forts en Afrique. Sans citer les multiples relations historiques que Paris entretient avec les capitales africaines, il convient de se rendre compte de la position que l’on occupe.

Le premier atout utilisable pourrait être le temps. En effet la stratégie chinoise est orientée vers la consommation, il est ainsi courant de considérer la Chine comme paradoxalement dépendante de sa capacité à produire afin de faire tenir son modèle. Dépendance que nous n’avons pas, et sur laquelle, nous pouvons jouer par la construction de véritables partenariats de production et d’exploitation de matières.

Du point de vue des organisations privées, l’observation des mouvements stratégiques des grands groupes français, impliqués dans les énergies et les infrastructures, laisse entrevoir des possibilités de conquêtes de marché. Pour exemple Engie, réorganise son portefeuille d’actifs vers les énergies vertes[6] et Total inclut les énergies renouvelables dans ses orientations stratégiques[7]. Il s’agit alors de passer « Du déficit aux opportunités » selon la formule consacrée par Marion Monein et Thibault Chanteperdrix experts en Intelligence Economique[8].

Revenons aussi sur l’importance du droit OHADA. Axe de développement de puissance qui permet d’unifier et de simplifier les démarches de Partenariats Publics-Privés. Partenariats que l’on sait être un vecteur de développement des relations long terme dans des pays africains qui cherchent à développer leurs capacités à produire et à transformer. Cette arme qu’est le droit peut aussi revêtir une autre forme lorsqu’il sert de législation sur les conditions de travail et les normes qualités qui sont des moyens attendus par nos entrepreneurs pour bloquer l’avancer chinoise.

Enfin, la diplomatie, qui ne peut être occultée, reste un levier si elle est capable de se réinventer (et si on la laisse faire), nous renvoyons pour cela aux analyses de Badr Bakhat pour la Tribune Afrique sur la diplomatie, les EnR et l’accroissement de puissance sur le continent africain.

Il s’agit de souligner enfin les évolutions récentes qui laissent entrevoir une modification dans la stratégie française en Afrique, la création du Conseil Présidentiel pour l’Afrique[9] en est un exemple. Résolument tournée vers l’entreprenariat et sous l’autorité et le patronage de l’Agence Française du Développement il va être intéressant de suivre de façon attentive les actions de ce conseil.

C’est dans ce cadre de réponse agile, moderne et entrepreneuriale que doit se trouver la réponse française sur les marchés africains.

Jean-Baptiste Loriers

 


[5] Ibid.

[8] Ibid.