« Nouvelle » Route de la Soie chinoise : menace ou opportunité ?

Le 28 septembre 2017 se tenait une conférence portant sur les enjeux géopolitiques et géoéconomiques autour du projet chinois « Belt And Road Initiative » dans l’enceinte de l’Université Panthéon-Assas, organisée par le Centre Thucydide, le Forum du Futur et Synopia.

A cette occasion, les organismes organisateurs ont regroupé un panel d’experts du sujet :

  • Yves Boyer, Directeur du Forum du Futur
  • Michel FOUCHER, géographe, ancien ambassadeur titulaire de la chaire de géopolitique appliquée au Collège d’études mondiales de la Fondation Maison des Sciences de l’Homme
  • Julien THOREZ, géographe, chargé de recherche au CNRS, membre de l’unité de recherche « Monde iranien et indien » à l’INALCO
  • Pierre RAZOUX, Directeur de recherche à l’IRSEM, ancien directeur du Programme Afrique du Nord – Moyen Orient au Collège de Défense de l’OTAN
  • Jean-Paul Pancracio, Professeur des Universités
  • Markus KERBER, professeur de finances publiques à l’Université technologique de Berlin, Président d’Europolis
  • Dorothée SCHMID, Directrice du programme Turquie contemporaine et Moyen-Orient de l’IFRI
  • Isabelle FACON, Maître de recherche à la FRS, Maître de conférences à l’École polytechnique

« One Belt One Road », une illusion de paix fondée sur la coopération économique ?

Les trois intervenants du premier module se sont employés à définir les grands enjeux sous-jacents au projet. Seul pays ayant un projet basé sur une vision d’ensemble du continent, la Chine exerce une véritable diplomatie d’influence. Xi Jinping est d’ailleurs le premier Président chinois à proposer deux projets distincts : « Le Rêve Chinois » constitue le renouveau de la politique intérieure, tandis que « Yídài Yílù » (« Une ceinture, une route… ») représente le fondement de sa politique étrangère.

Il s’agit d’un « projet géographique de connectivité réalisée », basé sur le concept chinois « Hu Lian Hu Tong » (relier des fils de soie et se mettre en mouvement). L’initiative est placée sous le contrôle d’un petit groupe de dirigeants issus des plus hautes sphères du Parti Communiste Chinois :

  • Zhang Gaoli, 1er Vice Premier Ministre et membre du Comité Permanent du Bureau Politique du PCC
  • Yang Jiechi, ancien Ministre des Affaires Étrangères et membre du Comité Central du PCC
  •  Ou Xiaoli, Commission Nationale du Développement et Bureau de Promotion des Initiatives (en charge du projet)
  • Wang Huning, membre du Bureau Politique, à l’origine de la formulation du projet

« Yídài Yílù » est un label, il n’y a d’ailleurs pas de carte précise. C’est la marque d’une diplomatie d’influence : la Chine lance un projet, qui se veut inclusif et intégrateur du projet des autres pays, et observe les réactions. Ainsi, le dialogue varie selon le pays interlocuteur.

Toutefois, le projet chinois est contestable et contesté sous plusieurs aspects. D’abord d’un point de vue opérationnel, le projet, qui représente 1 000 milliards de dollars, induit un réel problème de sécurité. En effet, si 36% des 10 plus grands ports internationaux sont opérés par des firmes chinoises, on estime à au moins 13 000 le nombre d’hommes nécessaires pour garder un seul port.

Ensuite, le projet modifie le cadre conceptuel pour les décideurs internationaux car il réfère à une période faste de transfert, économique, technologique, culturel et de coopération. Or, la pertinence des routes ancestrales de la soie est toujours discutée aujourd’hui par les historiens. De plus, le projet est devenu une référence géopolitique pour les pays d’Asie Centrale, qu’ils soient autocentrés ou plus ouverts. Tous ces États justifient leurs politiques d’aménagement du territoire par le projet chinois.

Enfin, face aux discours optimistes, il est important de s’attacher à la réalité des échanges. D’une façon générale, l’Asie Centrale reste largement en marge des grands convois d’échanges (contribution à 0,5% des échanges mondiaux), même si la région dispose d’importants gisements de matières premières. Ainsi, une Route de la Soie identique à celle connue dans l’Histoire, reste aujourd’hui d’ampleur secondaire.

 

Coopétition ou rivalité : ambitions et inquiétudes autour du projet chinois

Si la dynamique d’ouverture est fondamentale pour les économies centre-asiatiques, les ambitions nourries autour de ces voies ferroviaires restent périphériques par rapport aux enjeux internationaux, notamment parce que le transport maritime reste prépondérant. En outre, il y a de nombreuses difficultés concernant la mise en place des voies, du fait de la topologie des pays traversés et de l’existence de frontières dures.

Malgré la mise en place d’une grande opération de la part des autorités chinoises pour véhiculer une image très positive de la Route de la Soie, un risque très fort d’asymétrie transparaît. Ce risque inquiète ses voisins et potentiels partenaires qui, s’ils voient en ce projet une occasion de développer leur puissance et leur influence, se sentent menacés d’une tutelle économique.

En effet, si l’Asie Centrale apparaît globalement enjouée par l’ouverture économique que le projet propose, le cas iranien, point clé de la stratégie chinoise, est révélateur des craintes nourries à l’encontre de la Chine. Si le pays est favorable au projet, il demeure circonspect vis-à-vis de la politique extérieure chinoise, notamment par sa proximité avec les saoudiens, mais aussi par la relation privilégiée qu’elle entretient avec la Russie, avec laquelle l’Iran à une relation complexe. Enfin, le pays considère toujours l’alternative européenne, pour éviter de tomber dans une dépendance complète, synonyme d’éventuel nouvel embargo. 

La Turquie, autre acteur clé moyen-orientale, souhaite devenir le point de lien entre l’Europe et l’Asie centrale, poste convoité également par le Kazakhstan. La position de la Turquie est toutefois floue. Si elle considère la Route de la Soie comme une opportunité, elle maintient une grande méfiance à l’égard de la Chine. Ses seuls objectifs se cristallisent autour d’une réduction de la dette publique et le positionnement comme pays pivot incontournable, alors même qu’elle n’a de cesse de rappeler que la relation sino-turque ne constitue pas une alternative à l’option européo-atlantiste.

Se pose également la question de la Russie, laquelle semble résolue à s’investir dans le projet chinois, comme en témoigne la présence de Poutine lors du Forum en mai 2017. Cependant, le pays émet des réticences caractérisées par un risque concret de perte d’influence dans son jardin historique qu’est l’Asie Centrale. De plus, l’éventualité d’une perte de souveraineté au profit d’axes dominés par la Chine peine à satisfaire un pays qui se rêve à nouveau comme superpuissance.

Léo Coqueblin