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[CR] Les dessous de la candidature française aux Jeux olympiques 2024

Le 26 avril dernier, l’ANAJ-IHEDN organisait une conférence dédiée à la candidature de Paris aux Jeux Olympiques (JO) 2024. L’objectif ? Détailler la stratégie d’influence française déployée pour obtenir les Jeux.

En apprenant des candidatures malheureuses de la France (JO 2008 et JO 2012 notamment) et en analysant les réussites des candidatures internationales, la France a pu conduire sa nouvelle stratégie avec succès. Elle a par ailleurs utilisé une stratégie d’influence fondée sur l’intelligence économique et une concertation constante avec les élus et les citoyens en France pour rassembler le plus possible.

 

Une stratégie fondée sur les échecs français passés et les candidatures internationales réussies

 

La mise en avant du mouvement sportif

 

Alors que la candidature française pour les JO 2012 avait été menée principalement par le maire de Paris de l’époque, Bertrand Delanoë, la stratégie pour les JO 2024 s’est inspirée de l’ancien concurrent anglais : elle a donc été menée par le mouvement sportif et incarnée par M. Tony Estanguet et M. Bernard Lapasset. Dénués de mandats électifs, ils ont facilité la fédération d’un grand nombre d’acteurs parfois opposés, à commencer par l’État, les syndicats ou les partis politiques qui ont tous soutenu la candidature et sont restés unis.

 

Le choix d’experts internationaux et anglophones : un signe d’ouverture

 

La candidature française pour les JO 2012 avait été certifiée par un ensemble d’experts exclusivement français sur les questions du transport, de sécurité ou encore d’influence, ce qui lui avait été reproché. À l’inverse, la candidature pour 2024 a sollicité l’avis de nombreux experts internationaux, déjà connus par le CIO, à l’image de l’américain Mike Lee pour les relations publiques.

 

Autre signe d’ouverture, la délégation française s’est exprimée en anglais à chaque réunion internationale, notamment auprès des membres du CIO. En effet, même si le français est une langue officielle, seuls 20% de ses membres sont francophones. Le choix de l’anglais a également été utilisé dans les vidéos de candidature, à vocation mondiale, et pour le slogan « Made for sharing », lequel a été décliné dans la plupart des langues pour favoriser la création de liens avec les acteurs internationaux.

 

 

La mise en place de stratégies d’intelligence économique pour influencer les membres votants du CIO

 

« Notre électorat représentait 96 personnes membres du CIO », annonce Alfred Huot de Saint Albin en introduction de son propos. Chargé de mission en intelligence économique au sein de la direction des relations internationales, il réalisait des missions de veille stratégique et d’analyse pour conduire la stratégie française auprès du CIO.

« La veille avait deux intérêts : elle permettait de gagner du temps et d’identifier des opportunités », poursuit-il.

 

Le gain de temps s’effectuait par l’identification d’informations avant qu’elles ne soient largement relayées dans les médias spécialisés ou auprès du grand public. Elles permettaient au comité de candidature français de se préparer ou de réagir en cas de besoin.

 

Quant à l’identification des opportunités, elle s’effectuait notamment à travers la surveillance des candidatures concurrentes et des membres du CIO à convaincre. « Lorsque les Etats-Unis ont adopté une position très ferme sur le dopage et ont demandé à ce que les athlètes russes soient exclus par principe, nous avons adopté une position différente en demandant la condamnation des athlètes sur la base de preuves et non de faisceaux d’indices. Cela nous a notamment permis de maintenir des relations avec les membres russes du CIO ». Autre exemple, après son élection en tant que du Président des Etats-Unis, Donald Trump a choisi de restreindre l’obtention de certains visas en avril 2017. Ce choix a été utilisé par la France comme argument auprès des membres du CIO sensibles à cette question.

 

Enfin, l’identification d’opportunités s’effectuait également par une veille sur les membres du CIO. Elle a permis d’identifier les différents intérêts de l’électorat : « certains représentaient les sportifs, d’autres des comités olympiques nationaux ou des fédérations internationales, d’autres encore détenaient un siège en leur nom. Il fallait les comprendre pour développer la meilleure argumentation auprès d’eux».

Les déplacements internationaux des membres du CIO ainsi que les thématiques auxquelles ils étaient sensibles (comme le développement durable, NDLR) ont été ciblés. « Cela a permis de tisser un lien durable avec les membres lors de compétitions internationales, ce qui nous a permis de marteler les bons messages tout au long de la candidature ». C’est un élément fondamental qui a fait la différence avec la candidature américaine, principale concurrente, puisque les dossiers techniques étaient tous deux jugés très bons.

 

« Chaque jour, nous identifions entre 20 et 30 informations », annonce Alfred Huot de Saint Albin, en conclusion. Elles étaient ensuite diffusées en priorité à la direction des relations internationales et la direction générale, puis à l’ensemble des directions de Paris 2024.

 

En France : co-construction et concertation

 

En France, la stratégie a consisté à co-construire le projet avec les élus et à maintenir une concertation jusqu’au vote final. « Nous y avons passé des milliers d’heures », annonce Sébastien Moreau, directeur des affaires publiques du comité de candidature, en introduction de son propos.

 

La co-construction a commencé bien avant l’annonce officielle du projet et s’est traduite par la réunion de nombreux acteurs autour de la table : communes, départements, régions, État, etc. « L’un des aspects les plus compliqués était de faire comprendre à des élus qu’ils ne devaient pas prendre la parole, même s’ils finançaient une partie du projet, afin de véhiculer l’image de simplicité de la candidature auprès du CIO ».

 

Elle s’est poursuivie par un second objectif : susciter l’adhésion des acteurs économiques, culturels, éducatifs ou encore syndicaux : « Nous avons réussi à réunir sur un même projet, les organisations syndicales de salariés. Certaines ne s’étaient pas parlé depuis 2 ans ; ce n’était pas une mince affaire ».

 

Enfin, elle s’est traduite par l’organisation d’une concertation nationale pour inviter les citoyens au dialogue. Plus de 1000 réunions publiques ont été animées sur la question : promouvoir la candidature et convaincre les citoyens les plus sceptiques de sa pertinence. La concertation citoyenne a amené les citoyens à proposer un certain nombre d’idées. Toutes n’ont pas été retenues, bien sûr, mais elles ont été observées avec attention.

 

En définitive, l’intelligence économique s’est révélée être un vecteur indispensable à la conduite de la candidature pour les JO 2024. Maintenant que Paris a été désignée ville hôte, l’enjeu sera de respecter les engagements pris. Dans ce cadre, elle restera nécessaire, sinon pour mener une stratégie d’influence au moins pour surveiller l’environnement et mener l’organisation dans la sérénité.

 

Aristide LUCET