Lisa Osofsky, ancienne cadre du FBI et du Department of Justice (DoJ), vient d’être nommée directrice du Serious Fraud Office (SFO). Cette quinquagénaire, à la double nationalité américaine et britannique, remplacera, dès le 3 septembre prochain, pour un mandat de cinq ans renouvelable, Mark Thompson, directeur intérimaire du SFO.
Forte d’une expérience de 30 ans dans la lutte contre la corruption aux États-Unis et au Royaume-Uni, Lisa Osofsky aura la lourde responsabilité d’enquêter et de poursuivre toute entreprise suspectée d’acte non-conforme à la législation contre la fraude et la corruption.
Formée au Royaume-Uni et aux États-Unis, pays dans lesquels elle exerce comme avocate, la future directrice du SFO a alterné entre secteur public et privé. Après avoir débutée sa carrière auprès d’un juge fédéral américain, puis auprès d’un procureur, Lisa Osofsky entre rapidement au sein du bureau des affaires internationales du DoJ. Elle en sera notamment la correspondante auprès du SFO. Elle est ensuite recrutée pendant cinq années par le FBI, au cœur du renseignement américain, où, comme directrice juridique adjointe et conseillère déontologique, elle aura la charge d’enquêter sur les « white collar crimes » (crimes économiques). Au total, la future directrice du SFO aura menée plus d’une centaine d’enquêtes pour le compte du Gouvernement américain.
Elle rejoint ensuite le secteur privé, d’abord chez Goldman Sachs International, en tant que directrice de l’Intelligence économique, avant de se rendre chez Control Risks, comme conseillère aux Affaires réglementaires. Elle est actuellement directrice régionale du Moyen-Orient pour Exiger, cabinet de conseil basé à Londres, spécialisé dans la conformité financière et dans la lutte contre la corruption.
Dans un contexte de guerre économique totale menée par les États-Unis, par l’utilisation notamment de leur arme redoutable qu’est l’extraterritorialité de leur droit, cette annonce a une résonnance particulière. Comment ne pas émettre de doutes lorsqu’une ancienne cadre du FBI, passée par le DoJ, s’apprête à prendre les commandes de l’organisme gouvernemental britannique, en charge de poursuivre les entreprises soupçonnées de fraude et de corruption ? Où s’arrêtera donc la « special relationship » ? En dépit des liens étroits entre les deux pays, en particulier au niveau de leur système juridique, cette annonce devrait attirer l’attention et émettre des réserves chez nos voisins d’Outre-Manche. N’ont-ils pas peur de perdre le contrôle de leur institution ? Ne craignent-ils aucune ingérence politique américaine ?
Outre l’attitude que devrait avoir les Britanniques, cette annonce devrait également nous inquiéter, Français et Européens. Alors que Donald Trump nous déclare une guerre commerciale sur l’acier et l’aluminium, nous ne sommes pas prêts d’oublier nos fleurons industriels pillés par les Américains. Après Alcatel, Technip et Alstom, c’est Airbus qui connaît aujourd’hui des difficultés. Visée par une enquête du SFO, depuis juillet 2016, et du PNF, depuis mars 2017, suite à des irrégularités constatées au niveau de la déclaration de ses intermédiaires, Airbus attend son jugement et pourrait connaître la double peine.
L’annonce du changement de direction à la tête du SFO pourrait-elle bouleverser cette enquête ? Si Lisa Osofsky reste, comme son parcours l’indique, très proche des États-Unis, y-a-t-il un risque pour que le DoJ récupère des informations confidentielles ? L’amende du SFO sera-t-elle revue à la hausse ? Le sort d’Airbus sera-t-il désormais entre les mains du DoJ, par l’intermédiaire d’un ancien agent du FBI ? L’on peut légitimement émettre ces hypothèses, tant l’actualité de la justice américaine et de leur renseignement économique est riche.
Cependant, il est une chose que cette nomination remet en cause : la stratégie d’auto-dénonciation d’Airbus. Constatant des irrégularités dans la déclaration de certains de leurs intermédiaires auprès du UK Export Office et, sans doute, par peur d’une amende telle qu’a pu subir BNP Paribas, Airbus, sous l’impulsion de son directeur juridique, John Harrison, a choisi d’aller directement à la rencontre du SFO pour faire patte blanche. Il pensait certainement que les Britanniques, très impliqués dans Airbus, étoufferaient l’affaire. Se dénoncer auprès des Britanniques était aussi à coup sûr un gage donné aux Américains. Cette stratégie est donc aujourd’hui clairement remise en cause, la justice britannique ayant ouvert une longue enquête et ayant démontré, depuis l’annonce de la nomination de Lisa Osofsky, sa porosité avec les juridictions américaines.
C.D.