Dans une note rédigée conjointement par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et la Direction générale de sécurité extérieure (DGSE), les services de renseignement français tirent la sonnette d’alarme sur l’espionnage industriel et technologique massif réalisé par les services de renseignement chinois. Ils dénoncent le manque de culture du renseignement des cadres français des secteurs public et privé.
Le monde ouvert du libre-échange et des réseaux sociaux redéfinit l’approche contemporaine de l’espionnage moderne. Plus diffuse et agressive, la stratégie chinoise en matière de renseignement ne relève plus de la seule prérogative des services dédiés : via LinkedIn et autres réseaux sociaux comme Viadeo, ce sont plus de 4000 cadres français qui auraient été ciblés par les services de renseignement chinois. Coordonnées par le ministère chinois de la Sécurité d’Etat (MSE) – s’appuyant sur 200 000 agents –, le pillage des talents et des données stratégiques se concentre principalement sur les domaines de la santé, de l’informatique, de l’énergie nucléaire, des nanotechnologies et des télécommunications.
500 faux comptes identifiés par la DGSI et la DGSE opéreraient sur LinkedIn, rattachés à une quinzaine de sociétés écrans pour une large part basées à Hong-Kong et à Shanghai. Dédiés à l’identification et à l’évaluation de l’importance des profils occidentaux sur LinkedIn, les faux comptes, gérés par de vrais espions, se livrent à la pratique du « chalutage ». Cette pratique consiste à récolter le maximum d’informations avec un minimum d’investissement, peu importe si des redondances sont présentes entre les comptes ou s’ils contiennent des incohérences.
La prise de contact peut donner lieu à une interaction plus poussée. Les cadres ciblés se voient invités à des séminaires en Chine tous frais payés, puis subissent un chantage de la part des services chinois sur fond de photos compromettantes ou de preuves de transactions financières. Les cadres français « ferrés » sont contraints alors de leur envoyer des notes de synthèses dans lesquelles ils renseignent des informations confidentielles d’entreprises occidentales.
D’autres manœuvres ont pu être déployées par le MSE : l’ingérence – fouille des affaires dans la chambre d’hôtel des équipes d’entreprises innovantes invitées en Chine –, l’infiltration d’agents dans des centres de recherche universitaires par le biais de programmes d’échanges, l’installation de matériels de rétro-ingénierie sur les technologies sensibles.
Les proportions sont telles que les autorités estiment que cette « opération d’espionnage à grande échelle représente une menace majeure pour la souveraineté de l’Etat et met en péril le patrimoine économique de la France ». Américains et Allemands, par le biais de leurs services de contre-espionnage, dénoncent eux aussi les « efforts super-agressifs » et les « tentatives d’infiltration des milieux parlementaires, ministériels et administratifs » par les services chinois. Selon le vice-président de l’université de Bordeaux, Sébastien-Yves Laurent, l’espionnage économique, « aspect caché de la compétition économique internationale », a pris une dimension critique inédite. Principale cause : la volatilité des données induite par Internet depuis le milieu des années 1990.
Dès 2011, un rapport de la Commission du commerce international des Etats-Unis estimait que le pillage des brevets par la Chine se traduisait chaque année par plus de 900 000 emplois incréés aux Etats-Unis. Et ce, malgré les efforts apparents fournis sur le plan légal par les autorités chinoises en matière de respect de la propriété intellectuelle.
Si l’espionnage économique est une pratique relativement courante aujourd’hui, il convient d’apporter des solutions concrètes et prévoir une sensibilisation des salariés et cadres d’entreprises pour la culture du renseignement et les nouvelles pratiques innovantes d’espionnage. Ce à quoi s’attelle l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, en proposant un MOOC à l’usage des entreprises.