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[JdR] – La pratique du Name and Shame dans l’évaluation du risque de réputation

Bad buzz, bad reputation…la tendance actuelle est à la stigmatisation sans sommation des entreprises dont les pratiques, les produits ou les services vont à l’encontre des préoccupations sociétales. Le Name and Shame, pratique importée de la culture anglo-saxonne se propage progressivement en France. Les plus hautes sphères étatiques s’en sont emparées comme d’une nouvelle arme, conscients de l’impact économique et financier que peut avoir la mauvaise réputation sur l’entreprise visée. A l’ère de la divulgation massive et rapide de l’information et de la tripadvisorisation de la société, le Name and Shame est un nouvel impératif à prendre en compte dans la gestion des risques.

La pratique du « Name and Shame » est-elle à l’État ce que l’hashtag « Balance ton porc » est à la société civile : un moyen de dénoncer publiquement une entreprise ou des individus sur les réseaux afin de déclencher la vindicte populaire pour l’un et la mobilisation judiciaire pour l’autre ?

A la différence des hashtags sur Twitter, la portée du Name and Shame en France est limitée à un cercle restreint d’intéressés qui savent où trouver l’information sur les entreprises épinglées publiquement pour manquement grave au respect des lois, notamment fiscales.

S’il est aujourd’hui difficile de mesurer les véritables effets de cette stigmatisation sur les entreprises visées, il semble toutefois urgent pour les sociétés françaises d’inscrire le Name and Shame dans l’évaluation du risque de réputation – c’est-à-dire les risques financiers qui peuvent résulter d’une image de marque ternie, que ce soit par un scandale ou une condamnation judiciaire. L’atteinte à la réputation d’une marque constitue ainsi un véritable risque stratégique pour l’entreprise.

La vulgarisation d’une pratique anglo-saxonne

On parle de vulgarisation du Name and Shame avant tout parce qu'il s'agit d'une pratique courante de l’État. Depuis Xavier Darcos, alors ministre de la Santé, qui l’instrumentalise dans sa lutte contre le stress au travail en février 2010, au gouvernement actuel qui lui donne un caractère légal à travers deux articles dans le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude du 26 septembre dernier, jeter l’opprobre sur une entreprise fait désormais partie des prérogatives de l’Etat.

A travers le site de la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraude), le gouvernement, Bercy en tête, souhaite rendre publiques les sanctions financières des entreprises sur le site de la DGCCRF (Loi Sapin 2), dans la presse locale. De plus, pour « les manquements les plus graves, la publication dans d'autres titres de presse, par exemple spécialisée ou nationale, pourra être imposée par la DGCCRF ».

Parties en croisade contre les « mauvais élèves », Muriel Pénicaud et Marlène Schiappa, respectivement Ministre du Travail et secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, ont eu recours à plusieurs reprises à cette méthode musclée. Emmanuel Macron, lui, l’approuve : « la stigmatisation fait changer les comportements. Et personne n'a envie de porter le bonnet d'âne » déclare-t-il le 8 mars 2018, lors de la journée des droits des femmes. La formule est volontairement choc et n’est pas sans rappeler les origines anglo-saxonnes de cette pratique controversée. En 1850, Nathaniel Hawtorne, romancier américain publie le roman « La Lettre écarlate ».  Son personnage principal, Hester Prynne, évolue dans une communauté puritaine à Boston (Massachussetts) qui l’a marquée au fer rouge car elle est soupçonnée d’adultère. La lettre'A' brodée sur sa poitrine incarne la volonté de rendre visible, aux yeux de tous, la gravité de la faute.

Le contexte est aujourd’hui bien différent et les défenseurs du Name and Shame se targuent d’y avoir recours pour dénoncer la fraude fiscale, le non-respect des délais de paiement mais aussi la discrimination à l’embauche et les inégalités hommes-femmes au sein des entreprises.

Aussi, derrière de nobles aspirations, les conséquences sur le risque réputationnel des entreprises sont colossales. D’une part, le risque étant plus que jamais endogène, la pratique du Name and Shame au niveau étatique vient directement s’ajouter à la longue liste des potentiels risques directs pour l’entreprise (faute ou dénonciation d’un salarié, d’un dirigeant). Dans le même temps,  les risques indirects, soit les plus courants, ne manquent pas non plus (stratégie de la concurrence, faute d’un tiers (vendeurs, fournisseurs), catastrophes naturelles). D’autre part, loin d’être un phénomène de communication temporaire et isolé, le gouvernement s’inscrit dans la tendance générale et culturelle qui fait de la réputation un véritable levier de compétitivité.

 

L’économie de la réputation

En effet, la démocratisation de la pratique du Name and Shame en France est à la hauteur de l’importance croissante accordée par les consommateurs à l’intégrité, la transparence et le respect des engagements affichés par l’entreprise. Selon une étude Havas, plus de 50% des consommateurs Français veulent en savoir plus sur les entreprises qui produisent les produits et services qu’ils achètent.

Ces conditions nouvelles sont entre autres le fruit de la « tripadvisorisation » de la société : à l’instar d’Uber ou de Airbnb, les utilisateurs sont fortement incités à noter les produits et les services fournis par les entreprises et à utiliser ces notes dans leur parcours consommateur comme des indicateurs fiables de la qualité du service rendu. Le schéma est donc désormais le suivant : plus la note d’un service ou d’un produit est élevée, plus la réputation de l’entreprise augmente, plus les bénéfices économiques sont grands, et inversement.

Les entreprises sont notées, jugées à l’aune d’un certain nombre de critères de réputation qui sont aujourd’hui le reflet des préoccupations sociétales : les produits et services, la gouvernance ou encore l’engagement citoyen sont autant d’indicateurs de réputation que des enjeux RSE pour les entreprises.

Le scandale Volkswagen révélé en septembre 2015 est symptomatique de l’intrication croissante entre réputation et consommation. Passée de la 15e à la 149e place du classement du Reputation Institute, la marque de voiture allemande essuie brutalement les frais de sa motorisation truquée. En juin 2016, les marques du groupe accusent une perte de 1,5 point de part de marché sur les voitures particulières neuves en France et de plus d’un tiers à la capitalisation boursière.

 

Gestion de crise

Certains spécialistes automobiles sont pourtant circonspects, si le scandale Volkswagen a entamé l’image de la marque, sa réputation, elle, n’aurait pas été impactée de la même manière. En cause, la hiérarchie des critères dans les choix consommateurs, « le choix d’une automobile se base avant tout sur trois critères : le prix qu’on peut débourser, le design et la fiabilité du véhicule » selon Flavien Neuvy, responsable de l’Observatoire Cetelem de l’automobile. « Les critères environnementaux, eux, comptent beaucoup moins pour les acheteurs de voitures ».

Le Name and Shame est un véritable enjeu dans l’évaluation du risque de réputation. Toutefois, selon le secteur de l’entreprise les critères diffèrent et donc l’ampleur du risque réputationnel également. Il est donc impératif pour les entreprises de saisir en amont les indicateurs et tendances qui menacent leur cœur de métier et de maîtriser en amont les outils de « reputation shaming » que sont les réseaux sociaux. Le rôle de community manager, jusqu’à présent plus ou moins cantonné à la création et à l’animation d’une communauté d’utilisateurs doit être étendu à la conception de stratégies de réponses aux risques de réputation sur les réseaux.

La pratique du Name and Shame en France est encore discrète et l’exposition des entreprises à la fougue médiatique qui en résulte est faible. Cependant, dans l’ère sacro-sainte de twitter, où les informations se répandent comme une traînée de poudre, les entreprises ne peuvent pas se permettre de banaliser le risque réputationnel car « l’entreprise de demain est condamnée à paraître, et surtout appelée à devenir, de plus en plus conforme à la vision dominante de l’éthique des affaires ».

Club Risques AEGE