Sur fond de tensions séparatistes en Papouasie occidentale, le gouvernement indonésien a mené une opération d’influence afin de promouvoir une image déformée de l’opposition populaire au sein des territoires contestés à l’international.
Spécialisé dans les investigations et la vérification d’informations à partir de sources ouvertes (Open Source Intelligence, ou OSINT), le site web Bellingcat a récemment relayé le compte-rendu des recherches menées en septembre 2019 par Benjamin Strick, journaliste à la BBC et Elise Thomas, chercheuse à l’International Cyber Policy Centre de l’Australian Strategic Policy Institute.
Cette campagne fait suite à une flambée de violences locale en août 2019 provoquée par la fusion de trois groupes armés indépendantistes. Après que les Pays-Bas ont accordé l’indépendance à l’Indonésie en 1949, la Papouasie occidentale est restée sous son contrôle jusqu’en 1960. Deux ans plus tard, l’administration de ce territoire est confiée au nouvel Etat indonésien, dont le rattachement définitif est entériné en 1969, après la découverte de ressources minérales et un référendum d’autodétermination controversé à l’origine de tensions récurrentes. Au cours des dernières manifestations, les autorités indonésiennes ont suspendu l’accès à internet et fortement restreint la délivrance de visas pour les diplomates, journalistes et volontaires humanitaires, verrouillant ainsi le contrôle de l’impartialité de l’information destinée à une audience internationale.
Dans ce contexte, les enquêteurs ont découvert une série de tweets portant sur l’indépendance de la Papouasie occidentale, relayés par un faux compte au nom d’une star de la pop coréenne (Kim Jennie). Leur investigation les a menés à la découverte d’une centaine de faux comptes et à deux campagnes de publicité plébiscitant la démocratie et les investissements du gouvernement dans les infrastructures de la région, tout en dénigrant certains journalistes et indépendantistes. La première, réalisée par la société indonésienne InsightID, comprend un investissement de 300 000 dollars en annonces pour le seul réseau Facebook, vise essentiellement les Etats occidentaux et particulièrement les Pays-Bas. Si cette dernière a été suspendue par Facebook, la seconde est toujours en cours, quoique de taille plus réduite et mise en œuvre pour des raisons personnelles par un individu en contact avec l’écosystème politique local.
Au cours de ces recherches, Benjamin Strick et Elise Thomas ont notamment remarqué l’emploi de faux comptes relayant automatiquement des articles, des vidéos et des infographies sur les réseaux sociaux. Grâce à l’usage d’outils tels que la recherche d’images inversée (permettant de retrouver le nom d’une personne ou d’un lieu à partir d’une image), la datavisualisation des flux avec Gephi et les bases d’enregistrement des noms de domaine, ils ont pu identifier les acteurs réels, caractériser la qualité de leurs relations et déterminer l’ampleur de l’opération. En définitive, toutes ces ressources illustrent la pertinence d’une démarche de renseignement en sources ouvertes (OSINT) pour vérifier la fiabilité d’une information et dénoncer les campagnes de désinformation potentiellement déstabilisatrices.
Louis-Marie Heuzé