Plutôt que « faut-il renationaliser Air France », la question est « quand et comment ? ». Face à la crise de la Covid-19, l’Etat français refuse de laisser couler son fleuron du transport aérien et se dit prêt à tout. Mais avant d’en arriver là, la crise peut s’avérer bénéfique pour mettre en œuvre des réformes structurelles impossibles jusqu’alors, faute de poids suffisant vis-à-vis des syndicats.
C’est une question de mois. Alors que la crise de la Covid-19 pousse les Etats à retarder leur processus de réouverture sur le monde, et ainsi l’accès à leur territoire de populations étrangères, le trafic aérien mondial risque de ne pas reprendre son rythme d’avant crise avant bien longtemps.
Des pertes généralisées colossales
Les pertes dans ce secteur sont colossales et les compagnies aériennes sont désemparées face à l’ampleur de la crise. En janvier dernier encore, l’américaine Delta Airlines versait près de 18000 dollars à chacun de ses salariés du fait de chiffres plus qu’exceptionnels. Son chiffre d’affaires avait en effet bondi de 7,5%, amenant le montant de ses bénéfices à 6,2 milliards de dollars pour l’année 2019. En avril 2020, la tendance ne s’est pas inversée, mais effondrée. Les prévisions prévoient une baisse de 90% du chiffre d’affaires au 2e trimestre de 2020. La situation est telle qu’une demande d’aide d’urgence a été déposé au trésor américain, pourtant, en 2019, les prévisions étaient plus qu’encourageantes.
Air France : attention au décrochage
Pour Air France, la situation est similaire. Entre février et avril 2020, les pertes étaient estimées entre 150 et 200 millions d’euros. En juillet, la tendance n’était pas la bonne, mais pire encore. Le groupe Air France- KLM enregistre une perte de 4,4 milliards d’euros au premier semestre 2020, dont 2,6 milliards pour le seul 2e trimestre. A la sortie de la première étape de la crise, le gouvernement avait débloqué une enveloppe de 7 milliards d’euros pour aider le fleuron industriel français à faire face aux circonstances. A ce jour, ces 7 milliards ne suffiront pas à terminer l’année 2020… Avec un trafic aérien toujours aux balbutiements de sa reprise espérée, comment Air France peut-elle supporter le choc ? L’aide conjoncturel de l’Etat lui permettra-t-elle de survivre à ses concurrents, récupérant des parts de marchés sur certaines destinations, malgré la contrepartie de fermeture des lignes intérieures pouvant être remplacées par le train ? A ce stade, cela semble incertain.
Des réformes structurelles sorties des cartons
En attendant, le bilan social sera lourd. Ce ne seront pas moins de 7580 postes qui seront supprimés d’ici 2021 selon son PDG Ben Smith. Ces postes concernent les escales, du fait de la suppression d’une grande partie des lignes intérieures, mais également un certain nombre de cadres. Un Plan de départ volontaire a été présenté visant à trouver l’adhésion de près de 8300 salariés du groupe, du jamais vu. Mais les départs menacent également les pilotes. Alors qu’il était impensable jusqu’à un passé très récent de toucher aux sacro-saint SNPL (Syndicat National des Pilotes de Ligne), ce dernier semble avoir mis sa langue dans sa poche dans le ton qu’il adoptera lors des négociations à venir. En effet, toutes les compagnies aériennes se séparent d’une partie de leur PNC-PNT (personnel navigant commerciaux-techniques). Du fait d’une diminution des vols commerciaux à l’extrême, le nombre de pilotes cloués au sol est effrayant. Si Air France venait à licencier certains de ses pilotes, ces derniers n’auraient pas tant de facilité à retrouver un poste dans une autre compagnie, qu’elle soit filiale d’Air France, ou toute autre. Le SNPL qui semblait être l’un des syndicats les plus puissant de France est en train d’accepter toutes les propositions de refonte de la direction en échange de sauvegarde d’emplois ou de départs avantageux.
Les derniers obstacles à une renationalisation
On peut difficilement imaginer de telles réformes passer alors que l’Etat aurait renationalisé l’entreprise. En effet, le bilan social et symbolique serait dévastateur pour un Etat qui veut passer comme protecteur et venant à la rescousse d’un bien qui vacille.
D’autant plus que le ministre de l’économie Bruno Lemaire s’est dit prêt à tout pour sauver du crach un bien qu’il estime être un Fleuron. N’ayant pas exclu un retour de l’Etat au capital à des niveaux connus par le passé, le calendrier sera serré et connait donc des contraintes. D’autant que les parties prenantes au capital sont très diverses. Des compagnies aériennes y sont présentes ainsi que d’autres Etats comme les Pays-Bas, rendant la tâche d’autant plus délicate dans une Union Européenne qui vient d’arracher un plan de sauvetage et de relance durement négocié avec ces derniers.
La manœuvre, aussi certaine puisse-t-elle paraitre, semble délicate et devra prendre le temps de solder ses démons passés. Bien que plus éloignée que l’urgence de la crise, la re-nationalisation d’Air France semble pour autant déjà actée.