Signé en 2016, le contrat concluant la vente de 12 sous-marins de la classe Attack pour un montant d’une trentaine de milliards d’euros a fait l’objet d’un revirement soudain, le gouvernement australien préférant finalement un partenariat américano-britannique aux contours plus larges. Un coup de massue pour Naval Group, objet d’une guerre d’influence de longue date mêlant intérêts politiques et industriels, qui ne pensait cependant pas perdre un contrat liant l’industriel français et l’Australie pour une durée de 50 ans.
Lors d’une allocution nommée National Security Initiative dans la soirée du 15 septembre 2021, Joe Biden, entouré du Premier Ministre australien Scott Morrison et du Premier Ministre Boris Johnson, marque la fin d’un feuilleton commencé cinq ans auparavant, à l’issue tragique pour l’industrie française. Il confirme la perte du plus gros contrat de Défense de l’histoire australienne par Naval Group (50 milliards de dollars australiens), qui devait remplacer les six sous-marins de la classe HMAS Collins détenus par la Royal Australian Navy au profit de 12 sous-marins de la classe Attack, dérivés du modèle Shortfin Barracuda. Ils seront remplacés par des sous-marins américains nucléaires d’attaque.
Quelques heures auparavant, l’article du Financial Review annonçant une future annonce de Morrison concernant l’abandon du contrat par Naval Group a pu en faire sourire certains. Il faut dire que le géant français du maritime est habitué aux multiples tentatives de déstabilisations depuis 2016. Objet de critiques de la part du camp d’opposition au gouvernement australien, le contrat a fait l’objet de toutes les convoitises et d’une véritable guerre d’influence, notamment des concurrents directs (particulièrement suédois et allemands) de l’héritière des arsenaux français de la Direction des Constructions et Armes Navales (DCAN), qui usent de tous les stratagèmes pour décrédibiliser l’industriel français. Jusqu’alors, Naval Group avait commis des erreurs de communication, aussi bien sur les montants réels du contrat que sur les détails de transfert de technologies et de partage de la production entre Australie et France, notamment par John Davis, PDG de la filiale locale de Naval Group, obligeant le passage de 50% à 60% d’inclusion d’industriels australiens dans le programme de coopération. Autant d’erreurs ayant nourri les détracteurs du projet. Pour contrebalancer cette spirale négative, le PDG Pierre-Eric Pommellet avait dû faire une visite de 4 semaines en février dernier pour atténuer les tensions grandissantes.
L’incompréhension est totale dans le camp français, alors que le 30 août dernier, les ministres des affaires étrangères et de la Défense français et australiens assuraient vouloir « approfondir la coopération de leurs industries de défense », avec comme point d’orgue le programme de sous-marin de classe Attack. Seulement une quinzaine de jours plus tard, Canberra délaisse son partenariat stratégique avec la France pour l’acquisition de sous-marins nucléaires d’attaque, dans le cadre d’accords avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Ceux-ci prévoient également pour le trio, désigné par l’acronyme AUKUS, l’accès à un échange d’informations et de savoir-faire dans des domaines technologiques clés, tels que l’intelligence artificielle, le cyber, les sous-marins et les capacités de frappes à longue distance. Une possibilité pour l’Australie de se prémunir un peu plus des expansions militaires chinoises, particulièrement en mer de Chine méridionale. N’ayant été pourtant jamais reliés au « contrat du siècle », les Etats-Unis sont les grands gagnants de ce revirement australien. Face à la menace chinoise, les autorités américaines construisent une stratégie d’endiguement, notamment avec l’alliance quadrilatérale, plus connue sous le nom de « the Quad », reliant le Japon, l’Australie, l’Inde et les Etats-Unis.
Face à ce revirement, aussi soudain que lourd de conséquences pour la filière maritime française, les autorités françaises ont manifesté leur incompréhension face à ce volte-face. Dans un communiqué de presse, Jean-Yves le Drian et Florence Parly s’expriment ainsi : “Le choix américain qui conduit à écarter un allié et un partenaire européen comme la France d’un partenariat structurant avec l’Australie […] marque une absence de cohérence que la France ne peut que constater et regretter.” De nombreuses questions restent en effet en suspens, notamment sur les clauses liées à la rupture du contrat, mais aussi sur les capacités australiennes à disposer de sous-marins nucléaires et enfin sur les conséquences pour Naval Group à court, moyen et long terme. Les instances françaises chercheront également à s’expliquer avec les autorités australiennes qui n’ont jamais abordé une position claire sur le sujet, mais aussi avec ses homologues américains et anglais, qui viennent de leur subtiliser le juteux contrat, et ce malgré la promesse du Président Biden de travailler conjointement avec la France dans l’Indopacifique. Dans la guerre économique qui fait rage, il ne fait pas l’ombre d’un doute qu’il n’existe ni amis, ni alliés. Après l’affaire Alstom ou encore le cas Technip, l’actualité récente nous démontre le besoin pour les entreprises françaises d’anticiper et de s’armer dans cette compétition mondiale où tous les coups sont permis.
Thibault Menut
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