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Découverte d’un nouveau gisement de gaz au large de Chypre : de quoi détourner la tension d’Ukraine ?

La découverte récente d’un nouveau champ gazier au large de l’île de Chypre tend à détourner l’attention de la guerre russo-ukrainienne. Tandis que la carte des alliances dans la zone se précise, la Turquie risque de voir cette découverte d’un mauvais œil, et ce, peut-être au dépend des intérêts économiques français.

Lorsqu’en 1974, la Turquie a envahi la partie nord de l’île de Chypre, il semble qu’elle s’est également assise sur une mine d’or, ou plutôt de gaz. En effet, le 22 août 2022, les sociétés TotalEnergies et Eni ont annoncé la découverte d’un important gisement gazier offshore à 162km au sud-ouest des côtes chypriotes. À défaut de constituer un bouleversement mondial – puisque cette annonce s’inscrit dans un ensemble de découverte de nouveau gisements depuis 2009, comme ceux de Tamar, Léviathan, Aphrodite, Marine ou encore Zohr – cette révélation risque de cristalliser de nombreuses tensions internationales, qui étaient pourtant passées au second plan depuis le début de la guerre russo-ukrainienne.

 

L’exploitation de ces gisements gaziers a en effet massivement été poussée par les pays de l’Union européenne depuis les années 2010 afin qu’ils puissent se substituer en partie aux approvisionnements en gaz russe. Des luttes d’influence, qui perdurent encore aujourd'hui, sont ainsi nées au sein-même de l’UE, selon les divers intérêts nationaux, pour faire valoir plusieurs projets parfois antagonistes. De cette façon, la France et la Grèce soutiennent le projet de construction d’East Med qui relierait par pipeline les champs gaziers offshores au large de l’Égypte, d’Israël et Chypre, à la Grèce en passant par l’île de Chypre, pour ensuite desservir l’ensemble de l’UE. A contrario, l’Allemagne et les États-Unis privilégient plus volontiers le pipeline traversant la Jordanie, l’Arabie saoudite et la Turquie depuis le Qatar. D’autres voies d’approvisionnements existent ou sont en cours de négociation pour obtenir du gaz américain, nigérian, kazakh ou même libyen. 

La concurrence entre ces projets est telle que la Turquie ne se retient pas d’agresser librement la souveraineté maritime grecque en déployant illégalement dans sa ZEE des navires de recherche d’hydrocarbures défendus par des frégates turcs. Pour s’en prémunir, la Grèce a immédiatement montré son intérêt pour l'achat de frégates et de Rafales français afin de chercher le soutien politique et diplomatique de Paris, soutien partiellement obtenu si l’on en croit la réussite limitée dans la vente de navires de guerre.

 

L’heure est à la consolidation des alliances dans le bassin méditerranéen et la signature d’un accord historique entre Israël et le Liban pour enfin fixer leur frontière maritime commune en est l’illustration. Cet accord leur permet désormais de pouvoir exploiter librement les gisements offshores en mer Méditerranée, eux qui ont constitué pendant des années le cœur de leur mésentente.

Cet état de dépendance au gaz constitue un enjeu stratégique pour l’Europe entière. Quand le Qatar menace les pays de l’UE de couper les approvisionnements en gaz si des condamnations venaient à avoir lieu à propos des QatarGate, il convient de s’interroger si le nucléaire civil ne constituerait pas aujourd’hui pour la France, l’opportunité de s’abstraire enfin de certaines dépendances qui la contraint dans ses décisions politiques. Si la l’autonomie énergétique semble à peu près acquise pour la France cet hiver, qu’en sera-t-il de l’hiver 2023 ?

 

Luc de Petiville

 

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