Trois jours après la visite au Qatar de Bruno Le Maire, le litige opposant depuis deux ans la compagnie aérienne qatarie Qatar Airways et le constructeur européen Airbus a été résolu à l’amiable. Retour sur un conflit à l’escalade inédite.
Client de lancement de l’A350-1000, Qatar Airways a joué un rôle important dans sa conception. Ce fait illustre parfaitement le déséquilibre des relations entre constructeur et compagnie : « Lorsque les enjeux sont aussi forts, il est difficile d’envisager que la conception de l’offre se fasse sans inclure l’émetteur de la demande – alors en position dominante – dans le processus, pour répondre au mieux à ses besoins, voire à ses conditions ». Ainsi, lorsqu’à l’été 2021 Qatar Airways annonce l’immobilisation d’une vingtaine de ses A350-1000 pour un défaut de peinture jugé grave à la fois par la compagnie et l’Autorité qatarie de l’aviation civile, un conflit naît entre les deux parties.
Risque réputationnel sur un marché hautement concurrentiel
Dans un premier temps, le constructeur ne communique pas sur la situation, évoquant la confidentialité de ses échanges avec ses clients. Néanmoins, lorsque des photos d’un appareil à la peinture dégradée sont publiées par l’agence Reuters, qui, dans le même temps, annonce que quatre autres compagnies sont concernées par ce problème, Airbus doit réagir à ce qui peut être perçu comme une attaque réputationnelle. Dans un communiqué de presse publié le 9 décembre 2021, le constructeur écrit que « face à la mauvaise caractérisation continue de la dégradation non-structurelle de la surface de sa flotte d'avions A350 par l'un de nos clients, il est devenu nécessaire qu'Airbus cherche une évaluation juridique indépendante comme moyen dans le but de résoudre le différend ». Ainsi, alors que l’Agence européenne de la sécurité aérienne elle-même n’estime pas que le défaut de peinture présente une menace à la sécurité en vol, le constructeur choisit d’impliquer un tiers indépendant dans le différend. En effet, sur un marché fermé, qui oppose principalement Airbus et Boeing et au sein duquel les enjeux économiques sont très importants – à titre d’exemple, au tarif catalogue 2018 l’A350-1000 valait 366,5 millions de dollars, soit environ 348 millions d’euros –, tout scandale relatif à la sécurité en vol peut très fortement affecter l’image et le chiffre d’affaires d’un constructeur, comme ce fut le cas pour Boeing et son 737-MAX.
Une escalade inédite
En s’intensifiant, le conflit a eu des impacts économiques pour les deux parties. D’une part, depuis le début de l’année 2022, Airbus a annulé plusieurs commandes de la compagnie qatarie, qui refusait la livraison des derniers A350-1000 qui lui étaient dus. En représailles, Qatar Airways a passé un accord pour 59 commandes fermes et 41 commandes en option avec Boeing. D’autre part, la compagnie aérienne s’est vue obligée, ayant immobilisé une grande partie de sa flotte d’A350-1000, de refaire voler les A380. Pourtant, en début d’année 2021, le PDG qatari, Monsieur Al BAKER, a déclaré, annonçait vouloir « tirer finalement définitivement un trait sur la moitié de sa flotte d’A380, jugeant que ces [très gros porteurs] n’étaient pas à la hauteur des enjeux actuels en termes économiques et d’empreinte environnementale ».
Ce n’est pas la première fois que Qatar Airways pratique certaines formes de pressions, sur Airbus comme sur Boeing, qui pourraient s’apparenter à des manœuvres de négociation commerciale. Ainsi, il est arrivé que des avions soient refusés au moment de la première livraison pour des motifs parfois simplement esthétiques (irrégularités de peinture invisibles à l’œil, défaut de pose d’une moquette etc.). Cette fois-ci, de nouvelles proportions sont atteintes : dès décembre 2021, Qatar Airways porte l’affaire devant la division Technologie et construction de la Haute Cour de Londres. Commence alors un véritable feuilleton judiciaire : réclamation de dommages et intérêts par les deux parties, blocage puis déblocage de l’annulation des commandes, décision d’un procès accéléré par la Haute Cour…
Intervention du politique dans une situation à forts enjeux
Ledit procès devait avoir lieu à l’été 2023. C’était non sans compter sur l’intervention probable du politique dans le litige : ce dimanche 29 janvier, à l’occasion d’une tournée de Bruno Le Maire dans le Golfe visant à réaffirmer les relations privilégiées de la France avec ses partenaires arabes, le ministre français de l’Économie a fait étape à Doha. Il semblerait que le litige opposant Qatar Airways à Airbus ait été abordé lors de la rencontre entre M. Le Maire et l'émir Cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani. Trois jours plus tard, le 1er février, Airbus annonce dans un court communiqué de presse avoir « conclu un règlement à l'amiable et mutuellement acceptable » avec la compagnie qatarie.
Quelle part le déplacement du ministre français aura-t-il joué dans cette résolution ? Ce ne serait pas la première fois que le politique intervient dans les relations France-Qatar en matière d’aviation et d'aéronautique : en mai 2015, des contacts avaient été suspectés concernant l’obtention de nouveaux droits de trafic par Qatar Airways vers Lyon et Nice et la vente de 24 Rafale au gouvernement qatari.
Toujours est-il qu’à l’annonce de l’accord, Bruno Le Maire a réagi en déclarant ceci : « C'est l'aboutissement d'importants efforts conjoints. C'est une excellente nouvelle pour l'industrie aéronautique française ». En effet, grâce à cet accord, les 29 A350 immobilisés par Qatar Airways vont pouvoir progressivement reprendre du service, après avoir été remis en état.
Bien que ce litige inédit ait finalement été résolu à l’amiable, il pose question quant à l’avenir des relations entre compagnies et constructeurs : Airbus est désormais suffisamment solide pour annuler des commandes et donc choisir ses clients. Sommes-nous à l’aube d’une redéfinition des rapports de force dans le monde de l’aéronautique ?
Anne Bakupa
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