L’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui entre désormais dans sa troisième année, a mis en évidence les limites du complexe militaro-industriel russe : baisse des exportations, forte dépendance à ses alliés pour la production nationale, difficultés à innover, etc. Pour combler cela, la Russie s’appuie donc sur le soutien technologique et logistique de partenaires comme la Biélorussie et l’Iran.
Quel état de l’industrie d’armement russe ?
Le complexe militaro-industriel russe contemporain découle en grande partie de celui hérité de l’Union soviétique, acteur majeur du marché mondial de l’armement grâce à une production massive d’équipements, qui ont été fabriqués à des millions d’exemplaires. Parmi ces équipements, l’AK-47, produit à plus de 100 millions d’exemplaires et utilisé dans plus de 100 pays. Cette production massive a permis à l’Armée rouge d’être l’une des mieux équipées de son époque. Cependant, après la chute de l’Union soviétique en 1991, la position de la Russie sur le marché mondial de l’armement décline. La vague de libéralisation économique, combinée à une réduction des budgets militaires, freine l’innovation et condamne le secteur à plusieurs décennies de retard technologique.
Aujourd’hui, le complexe militaro-industriel russe peine à produire des systèmes modernes qui ne soient pas dérivés de cet même héritage technologique soviétique. Selon Vadim Skibitsky, chef adjoint du renseignement ukrainien, Moscou aurait utilisé 60 % de ses missiles de croisière modernes. Le pays a donc était obligé de recourir à des fusées H-22 datant des années 1970. Cela est dû en partie aux sanctions occidentales imposées depuis 2014, qui se sont intensifiées en réponse à l’invasion de l’Ukraine en 2022. En limitant l’accès de la Russie aux technologies de pointe, comme les semi-conducteurs et les systèmes de télécommunications avancés, elles entravent la modernisation et la production d’armements de nouvelle génération.
Dans ce contexte, l’industrie d’armement russe fait face à un isolement croissant sur la scène internationale. La Malaisie, par exemple, historiquement dépendante de la Russie pour son approvisionnement en armements dans le secteur aérospatial, est en train de reconsidérer ses options. Les difficultés de maintenance, en particulier celles liées aux avions d’attaque au sol Su-30MKM de fabrication russe, ont incité Kuala Lumpur à se tourner vers d’autres fournisseurs asiatiques, tels que la Corée du Sud. En 2017, la Malaisie est même allée jusqu’à retirer du service ses avions de combat MiG-29.
Une dépendance grandissante envers ses alliés étrangers
Depuis l’invasion de l’Ukraine, la Russie a bénéficié de partenariats militaro-techniques avec des pays comme la Chine, l’Iran, la Biélorussie et la Corée du Nord, atténuant les pressions exercées par les sanctions internationales et la guerre sur son industrie de défense. Parmi ces partenaires, la Biélorussie occupe une place centrale. Selon le Centre de résistance nationale Ukrainien, elle contribue notamment à la modernisation des drones iraniens Shahed 136, qui sont utilisés par Moscou pour ses offensives en Ukraine. Dans une usine située à Gomel, en Biélorussie, ces drones sont repeints, un processus qui pourrait sembler mineur mais qui soulage l’usine russe de Yelazoubi, responsable de leur assemblage. Cette répartition des tâches illustre la dépendance de la Russie envers ses partenaires pour assurer le fonctionnement de sa chaîne logistique militaire.
La Russie a également commencé à utiliser des drones iraniens après l’épuisement de ses stocks de munitions guidées de précision dans les premiers mois du conflit. L’usage de ces drones a permis à Moscou de continuer ses offensives sans avoir à produire de nouvelles armes. De nombreuses preuves ont confirmé ces transferts, notamment grâce à l’Agence de renseignement de la défense américaine (DIA), qui a récupéré des débris de drones retrouvés lors d’attaques en Ukraine et au Moyen-Orient. L’analyse de ces débris a montré des similitudes marquantes dans leur structure et leurs composants. Par exemple, les drones Shahed-131 retrouvés en Ukraine et en Irak ont la même structure en nid d’abeille à l’intérieur du stabilisateur. Le Shahed 136 a quant à lui été utilisé par les forces russes en Ukraine dès 2022, avant que la Russie ne commence à le produire localement sous le nom de Gueran-2. Cette production a été localisée en Russie, dans la république du Tatarstan, et massifiée. 4 000 drones auraient été produits depuis 2022 dans l’usine d’Elabouga, qui pourrait à terme produire 6 000 drones kamikazes par an.
Des difficultés technologiques
Confrontée à des difficultés d’innovation, l’industrie militaire russe a été contrainte de reproduire et d’exploiter des armements ennemis. Moscou s’est ainsi appuyé sur des pratiques d’imitation, allant jusqu’à capturer, réaffecter et utiliser des drones ukrainiens. Le lieutenant-colonel, Andrey Marochko, ancien représentant de la Milice populaire de la République de Louhansk (LNR), a révélé que des troupes russes, sur la ligne Svatove-Kreminna, réarment et utilisent des drones ukrainiens abattus. Selon lui, jusqu’à 25% des drônes employés par la Russie sur le front ukrainien proviennent de ces appareils récupérés. Cette pratique va au-delà d’une simple réutilisation d’équipement : un blogueur militaire russe a affirmé que les forces russes avaient utilisé du pain et des bougies, cachés dans une tranchée, pour générer une signature thermique pour attirer un drone ukrainien, Baba Yaga, qu’elles ont ensuite abattu à l’aide d’armes légères. Par ailleurs, la Russie a également copié la mitrailleuse télécommandée ukrainienne Shablia, utilisée par les forces ukrainiennes depuis 2014, qu’elle a reproduite sous le nom de Chapay. Depuis septembre 2023, cette version est désormais déployée par les troupes russes sur le front.
Face aux pénuries, les forces russes modifient des équipements existants pour compenser le manque de matériel. Elles adaptent notamment des lanceurs de missiles antinavires pour les utiliser contre des cibles terrestres en Ukraine. Ainsi, le 1er août 2024, une brigade ukrainienne opérant dans la région de Kharkiv a publié des images montrant une attaque de drone contre un lance-roquettes anti-sous-marins russe SBU-6000 Smerch-2, monté sur un véhicule de combat blindé MT-LB. Les missiles antinavires, bien que conçus pour détruire des navires, possèdent des caractéristiques exploitables contre des cibles terrestres, notamment une longue portée et une puissance explosive capable de frapper des bâtiments fortifiés ou des concentrations de troupes. Cette réaffectation permet également de simplifier la logistique, en réduisant la diversité des munitions nécessaires pour différentes missions. Selon des sources ukrainiennes, la pénurie de systèmes de lance-roquettes multiples (MLRS) aurait poussé les forces russes à monter ces lanceurs sur des châssis de véhicules blindés. Un blogueur militaire russe a confirmé que des lanceurs Smerch-2 étaient désormais installés sur des châssis de chars T-72B, illustrant les efforts russes pour maintenir leur capacité opérationnelle face à des contraintes matérielles grandissantes.
Malgré l’héritage d’un puissant potentiel industriel issu de l’Union soviétique, l’industrie de défense russe fait donc face à des défis structurels de grande ampleur : infrastructures obsolètes, dépendance aux importations de technologies stratégiques, mais aussi incapacité à produire des équipements de nouvelle génération. C’est le cas également dans la Marine, où l’objectif de modernisation a échoué.
Tess Dublanche
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