Les ingérences dans le monde agroalimentaire : quel rôle des ONG ?

Le 2 décembre 2024 s’est tenue une conférence au Sénat sur les ingérences dans le secteur agricole français. Coorganisée par l’École de Guerre Économique et le think-tank Les Z’homnivores, l’événement a permis aux différents intervenants d’aborder la question du rôle des ONG au sein des conflits informationnels. 

Le monde agroalimentaire sous tension

Les controverses actuelles sur le Mercosur s’inscrivent dans la lignée d’autres événements troublant le monde agricole contemporain. Le premier d’entre eux est la possible adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne depuis le début de la guerre. Le second est lié à la crise énergétique, ainsi qu’aux chocs sur le prix des denrées alimentaires en 2022. Ces deux évènements ont entraîné une forte inflation, réduisant le revenu réel des exploitants agricoles et poussant ces derniers à manifester fin 2023-début 2024. Enfin, le monde agricole est un terrain d’affrontement informationnel majeur, où certaines ONG se livrent à des attaques informationnelles sur des secteurs entiers. En réponse à ces inquiétudes et à ces déstabilisations informationnelles, l’École de Guerre Économique (EGE) a fait paraître un rapport nommé L’agriculture dans la guerre économique en 2024. Ce dernier rappelle le caractère vital de l’agriculture, et établit la nécessité de penser la souveraineté alimentaire dans un cadre stratégique.

C’est dans ce contexte que, le 2 décembre 2024, le Sénat a accueilli une conférence portant sur les ingérences économiques dans le monde agricole. Cette conférence était parrainée par Yves Bleunven, sénateur du Morbihan et ancien acteur avicole. L’EGE a été représentée par son directeur, Christian Harbulot, ainsi que trois étudiants : Colin Guyon, Benoît Lacoux et Grégory Gasnot. Ces derniers, dans le cadre de leur projet MercurIE, ont réalisé un rapport intitulé L’ingérence économique dans la production alimentaire française.

Ce rapport montre comment plusieurs fondations américaines financent l’activisme animaliste en France pour déstabiliser les filières d’élevage. Par ailleurs, était également présent Rémi Cristoforetti, président du Think Tank Les Z’Homnivores. Enfin, Patrick Deveau, ancien vice-président à l’Intelligence économique du groupe Airbus, ainsi que Erwan Seznec, journaliste et co-auteur avec Géraldine Woessner de l’ouvrage Les Illusionnistes étaient aussi présents. 

Une déstabilisation informationnelle des filières d’élevage par les ONG

Le rôle de certaines ONG comme Greenpeace, Bloom, L214 et Sea Shepherd, qui participent activement à l’affaiblissement de la filière animale, a d’abord été évoqué. En effet, les financements octroyés à ces organisations par des géants de la foodtech américaine interrogent sur les discours mis en avant par ces structures. L214, par exemple, qui a ciblé directement l’élevage français, aurait reçu des millions de dollars de l’Open Philanthropy Project, un organisme qui soutient par ailleurs les industries de viandes végétales et artificielles.

Erwan Seznec a aussi mis en avant le manque de transparence concernant les financements de certaines ONG, comme Sea Shepherd et Bloom. Parmi les méthodes mises en place par ces ONG pour déstabiliser les filières animales françaises, Christian Harbulot évoque la guerre informationnelle et la construction d’un narratif. La cause du « bien-être animal », souvent instrumentalisée par des acteurs économiques cherchant à déstabiliser le secteur agricole français, repose sur une critique de l’agriculture intensive (dénommée « agribashing ») et sur la culpabilisation de la consommation de produits animaux. Ce narratif, porté par les militants welfaristes, est largement diffusé par les médias, qui privilégient des informations alarmistes pour capter l’attention du public.

Cette approche s’inscrit donc dans une logique de guerre informationnelle, avec une manipulation de l’information et la création de campagnes visant à dégrader l’image des pratiques agricoles françaises. Le rapport met également en avant la campagne médiatique menée par L214 sur l’abattoir de Craon, dans laquelle l’ONG accusait l’abattoir de découper les animaux vivants. Cette campagne reposait sur des images choquantes, démenties par les autorités qui affirment qu’elles ne proviennent pas de de l’abattoir accusé. 

L’ingérence américaine : une menace pour la souveraineté alimentaire française 

Les politiques agricoles françaises sont de plus en plus contraintes par des lois, des accords internationaux ou des pratiques commerciales favorisant les géants de la foodtech américaine. Lors de cette conférence, Patrick Deveau a mis en avant un aspect clé de l’ingérence américaine dans l’agriculture française : l’extraterritorialité de son droit. Ce principe juridique, qui permet aux États-Unis d’appliquer leurs lois au-delà de leurs frontières, a eu des répercussions considérables. C’est notamment le cas dans l’affaire Airbus, mais aussi dans le secteur agricole.

Les investissements massifs des acteurs américains dans les viandes artificielles et les substituts végétaux renforcent leur domination dans ce secteur, et représentent aussi une menace pour les productions locales et traditionnelles françaises. Les financements des fondations américaines vers les ONG accentuent cette menace, qui n’est dès lors plus seulement économique, mais aussi sociétale. En portant un discours promouvant la décroissance appliquée à l’agriculture française, les ONG menacent les filières françaises agricoles et avicoles. De ce fait, il apparaît nécessaire que la société civile soutienne davantage la souveraineté alimentaire, afin de préserver l’autonomie de la France.

L’annonce de la conclusion des négociations entre l’Union européenne et le Mercosur le 6 décembre 2024 est une pression supplémentaire exercée contre les agriculteurs et les éleveurs. Les agriculteurs craignent ainsi une concurrence déloyale, notamment dans les secteurs de la viande bovine et de la volaille, où les normes de production sont moins strictes dans les pays de l’organisation latino-américaine.

Melissa Mey et Clément Bodin

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