Thon en boîte contaminé : campagne de dénigrement ou enjeu de santé public ?

Le 29 octobre 2024, les ONG Bloom et Foodwatch France publient un rapport choc intitulé Du poison dans le poisson : chronique d’un scandale de santé public. Dans celui-ci, les deux ONG dénoncent les niveaux alarmants de mercure dans les boîtes de thon. Cette campagne, largement relayée par les médias et les réseaux sociaux, cible la filière agroalimentaire européenne, en particulier la marque Petit Navire. Toutefois, les méthodes et arguments employés interrogent sur les objectifs réels de cette offensive médiatique.

Les objectifs de la campagne 

Cette campagne semble avoir pour objectif de discréditer la filière de la pêche industrielle européenne, notamment celle de la conserverie française de thon en boîte. Pour ce faire, Bloom recourt à l’argument sanitaire afin de jouer sur la peur des consommateurs. Elle affirme que le thon en boîte contiendrait une concentration excessive de mercure, susceptible d’entraîner des conséquences graves sur la santé humaine. Parmi les risques évoqués : les dégâts sur le système « cardiovasculaire, immunitaire, rénal et reproductif », mais aussi la cécité et la surdité.

Pour renforcer son discours, Bloom assure avoir analysé près de 150 boîtes de thon, commercialisées par une trentaine de marques différentes. Ces dernières ont été prélevées dans les principaux supermarchés de cinq pays européens puis analysées par deux laboratoires français du Sud-ouest. Les conclusions sont sans appel : 100% des boites seraient contaminées au mercure. Or, la seule marque citée par ce document est bien la marque française Petit Navire, leader sur le marché national et appartenant au groupe international Thai Union. Dès lors, il est nécessaire de s’interroger sur les intentions réelles de cette opération « Name and shame » de la part des deux ONG.

Un appel au Boycott ?

L’effet final recherché est de mener à un boycott du thon en boîte par une partie de la population française. Les pouvoirs publics sont également visés et mis sous pression pour interdire ce produit dans toutes les « cantines scolaires, crèches, maisons de retraite, maternités et hôpitaux ». De plus, 10 enseignes de grande distribution sont, elles aussi, appelées à boycotter cette gamme de produits. Le moyen de pression utilisé par Bloom et FoodWatch est simple : envoyer tous les jours aux PDG de ces enseignes la liste des signataires de la pétition qu’elles ont mise en ligne.

Dès lors, cette campagne se joue sur l’échiquier politique en faisant pression sur les pouvoirs publics français (boycott) et les instances européennes (modification des normes européennes pour abaisser les taux de mercure autorisés). Elle se joue par ailleurs sur l’échiquier économique en tentant de déstabiliser la filière de l’industrie agroalimentaire du thon en boîte, voire celle des thoniers, et ainsi impacter leurs chiffres d’affaires. Elle porte aussi atteinte à la réputation de Petit Navire, seule marquée pointée du doigt. Enfin, elle se joue sur l’échiquier sociétal, en instillant la peur auprès de l’opinion publique française. La cartographie des acteurs et des moyens utilisés permet ainsi d’avoir une vision d’ensemble du processus et de ses conséquences.

Une caisse de résonance nationale

Immédiatement, les médias alternatifs et ceux mainstream se sont emparés du sujet. Ils ont permis à ces deux associations d’avoir une caisse de résonance nationale, soit par les canaux de communication traditionnels, soit à travers les réseaux sociaux. Par exemple, le tweet de BFMTV du 29 octobre 2024 a été vu plus de 263 000 fois, republié à 616 reprises et aimé 778 fois. Celui de Franceinfo, daté du même jour, a été vu près de 606 000 fois et republié 85 fois. On peut également citer le tweet du journal Le Parisien vu plus de 341 000 fois, republié à 849 reprises et aimé par près de 1000 comptes X.

Le lendemain, le 30 octobre 2024, la Fédération des industries des aliments conservés dénonçait, à travers un communiqué relayé par Franceinfo, une « enquête partiale et volontairement alarmiste ». Elle appelle les consommateurs à continuer à acheter du thon en boite sans crainte. Petit navire a quant à lui été contraint de publier un encart sur son site internet.

Une campagne de dénigrement peut-être pas si neutre

In fine, cette attaque informationnelle mélange de nombreux arguments qui n’ont rien à voir avec la contamination au mercure comme la remise en cause de la qualité nutritionnelle du thon ou les atteintes aux droits de l’homme (travail forcé, maltraitance, etc.). L’ensemble de ces éléments mette en évidence les contradictions du narratif véhiculé.

Qui est réellement derrière cette campagne de dénigrement ? Difficile d’y répondre aux vues de la multitude d’arguments avancés par Bloom et Foodwatch. Ce qui est sûr, c’est que la filière agroalimentaire de la conserverie de thon en boite est ciblée depuis de nombreuses années sous divers angles et par différents acteurs, à l’instar de Greenpeace. Cette ONG réalisait il y a quelques années un classement des marques de thon en boîte en fonction de critères de durabilité des pratiques de pêche. Déjà en 2015, Petit Navire figurait seulement au 7ème rang sur les 10 marques classées.

Des liens suspects 

Il faut également s’interroger sur les liens étroits entre Bloom, FoodWatch et certaines grandes fondations et ONG anglo-saxonnes. La première a été fondée en 2005 par une française, Claire Nouvian, activiste climatique et environnementaliste qui milite depuis de nombreuses années pour la protection et la sauvegarde des océans et des espèces halieutiques. De son côté, Foodwatch a été créée en 2002 en Allemagne par Thilo Bode, ancien directeur de Greenpeace. L’antenne française a été ouverte à Paris en 2013. 

Si cette campagne a connu un pic entre le 29 et le 31 octobre 2024, l’activité sur les médias et sur les réseaux sociaux est rapidement passée en dessous des radars. Est-ce dû à l’approche de l’élection présidentielle américaine où les médias français ont saturé l’espace informationnel sur ce sujet ? Est-ce dû au contraire à une pression exercée par les acteurs de la filière ciblée pour étouffer l’effet final recherché par Bloom et Foodwatch ? Impossible de répondre à ces questions, qui ne sont pour le moment que de simples hypothèses. Ce qui est certain, c’est que ces organisations ou d’autres mèneront à l’avenir ce même type de campagnes. 

Cartographie réalisée par Julie Sache

Julie Saché

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