Élections de la Commission de l’Union africaine : défaite d’influence kényane et rivalités algériennes et marocaines

Les 15 et 16 février derniers se sont tenues des élections pour l’Union africaine, à l’occasion du sommet des chefs d’État membres de cette dernière. Les postes stratégiques de président et de vice-président de la Commission étaient en jeu. Même si la portée réelle des pouvoirs de cette Commission est relative, elle conserve un pouvoir symbolique fort et les pays et les sous-ensembles du continent mènent une guerre d’influence soutenue pour remporter ces élections. Ce week-end a donc vu le Kenya essuyer une rude défaite, qui sonne comme un désaveu de la politique étrangère continentale du président Ruto, tandis que l’Algérie a remporté une manche de son conflit larvé avec le Maroc.

Une élection disputée

L’ancien ministre des Affaires étrangères du Tchad, Moussa Faki Mahamat, a ainsi mis un terme aux huit années du double mandat de sa présidence de la Commission de l’UA. Lui succède Mahamoud Ali Youssouf, ministre des Affaires étrangères djiboutien de longue date et diplomate de carrière, au terme d’un match serré avec l’ancien premier ministre kényan Raila Odinga, opposant historique et multiple candidat malheureux à l’élection présidentielle de son pays. Son échec, au terme d’une campagne aux accents triomphalistes, apparaît comme une rude défaite pour l’influence du Kenya et de son président William Ruto. Déjà en posture délicate à l’échelle nationale, en plein basculement des alliances, celui-ci devra gérer le retour de son nouvel allié encombrant.

Raila Odinga, 80 ans et figure reconnue dans les milieux politiques africains, avait en effet mené une campagne volontariste, pouvant compter sur le soutien très actif de William Ruto. Les deux hommes, tantôt adversaires ou alliés, y trouvaient chacun leur compte. Odinga bénéficiait ainsi du soutien de l’exécutif kényan, Ruto renforçait son alliance avec l’ODM d’Odinga et en profitait pour étendre l’influence du Kenya sur le continent, une de ses ambitions pourtant bien malmenée. Mahamoud Ali Youssouf, 59 ans, menait de son côté une campagne plus consensuelle. Son profil de diplomate et d’expert a pu rassurer, de plus, seul candidat de confession musulmane, il a pu capitaliser dessus. Le candidat malgache Richard James Randriamandrato, ancien ministre des Affaires étrangères semblait avoir moins de chance selon les analystes.  Il a en effet été éliminé au troisième tour, tandis qu’il en a fallu sept pour que Mahamoud Ali Youssouf remporte les 2/3 des voix, soit 33 sur les 49 pays votants (les six « putschistes » étant suspendus). Une défaite serrée, mais qui porte un coup à l’influence du Kenya sur le continent africain

Les raisons d’un échec

Certains commentateurs mettent en avant l’âge et le profil beaucoup plus consensuel de Mahamoud Ali Youssouf pour expliquer sa victoire, et surtout la défaite de Raila Odinga. Il est vrai que ce dernier, vieux routier de la politique, n’est pas connu pour mâcher ses mots et présentait un profil trop politique, à un poste où les chefs d’֤État membres n’apprécient pas une personnalité trop forte. Le président de la Commission n’est pas le « président des présidents » comme pouvait sembler l’affirmer certaines positons kényanes. Raila Odinga était accusé de vouloir « acheter » les votes, tandis que les manœuvres politiciennes de William Ruto apparaissaient par trop clairement. D’autres facteurs peuvent aussi expliquer le relatif rejet du Kenya par les autres États africains. Le soutien continu à Israël n’a pas été apprécié par les pays musulmans du continent, tandis que les efforts de dédollarisation déplaisent aux États-Unis.

Le Kenya : un pays à l’influence déjà fragilisée

Certains voient même dans cette défaite un camouflet pour William Ruto, et un recul pour le Kenya. Avant Raila Odinga, Amina Mohamed avait déjà perdu il y a huit ans face à Moussa Faki. De plus, tout à la campagne pour la présidence, le Kenya n’a pu se porter candidat à d’autres postes au sein des commissions, pourtant stratégiques. De fait, il y a huit ans comme aujourd’hui, de nombreux pays africains craignent que le Kenya, bénéficiant d’un tel poste, n’use de son influence pour dicter ses conditions aux nations plus faibles. Une crainte exacerbée depuis l’arrivée au pouvoir de William Ruto, qui fait volontiers part de ses ambitions, encore peu réalistes, d’hégémonie régionale. La MMS en Haïti menée par le Kenya apparaît comme une illustration de la place dont se flatte le Kenya de William Ruto. Ce dernier a enchaîné les maladresses diplomatiques qui lui ont coûté cher en crédibilité à l’échelle du continent. En effet, nouvellement élu en 2022, William Ruto avait tweeté qu’il retirait la reconnaissance du Kenya à la RASD (République arabe sahraouie démocratique), tweet par la suite effacé, suivi d’une rectification en forme de recadrage du ministère des Affaires étrangères.

Plus récemment encore, fin janvier 2025, William Ruto a court-circuité les instances régionales en invitant Emmanuel Macron à arbitrer le conflit en RDC. Bien que le Kenya préside la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), William Ruto a brusqué une nouvelle fois les usages traditionnels, tandis que le président français fait figure d’infréquentable pour une bonne partie de l’opinion. Le sommet d’urgence de l’EAC convoqué par Ruto a finalement eu peu d’effet, mais a tendu des relations diplomatiques avec la RDC déjà très mauvaises. La RDC voit d’un mauvais œil la gestion par le Kenya du processus de paix (« le processus de Nairobi »), elle accuse l’État kényan de prendre le parti du Rwanda et a même rappelé ses ambassadeurs auprès de l’EAC et du Kenya en mai 2024. La RDC n’a ainsi pas participé au sommet d’urgence de l’EAC, et se dessinent là les rivalités de deux importants sous-ensembles, l’EAC et la SADC, la communauté de développement de l’Afrique australe dont est également membre la RDC. Or, l’Afrique du Sud, alliée de la RDC, et qui a récemment perdu des soldats face au M23 et à l’armée rwandaise a appelé son groupe à voter en faveur du candidat malgache Richard Randriamandrato. Après son éviction, les membres de la SADC, soutenus par ceux de la CEDEAO semblent s’être reportés vers Mahamoud Ali Youssouf, un camouflet pour la politique d’influence kényane.

Affrontement entre l’Algérie et le Maroc

De leur côté, l’Algérie remporte une victoire d’influence symbolique contre le Maroc, avec l’élection comme vice-présidente de la Commission de l’UA de Selma Haddadi, ambassadrice auprès de l’Égypte au détriment de Latifa Akharbach, présidente de la Haute autorité de la Communication audiovisuelle au Maroc et de l’égyptienne Hana Morsy. Les hommes en lice avaient été d’office éliminés ; un homme ayant été élu président, les règles de parité imposaient une vice-présidente. Les deux pays s’affrontent tous azimuts, et les instances internationales n’échappent pas à la règle. Le 12 février, l’Algérie n’a pas réussi à prendre au Maroc son poste au Conseil de Paix et de sécurité. Aucun des deux n’ayant obtenu la majorité des 2/3 et devant le lobbying intense des deux parties, ce poste réservé à l’Afrique du Nord est laissé pour le moment vacant. En revanche, l’Algérie a remporté la bataille pour le stratégique poste de vice-président. La nouvelle élue exerce en effet des responsabilités étendues, notamment dans le domaine budgétaire.

Hubert Le Gall

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