Kivu : signal d’alarme d’un ordre régional en délitement

La ville de Goma est tombée. Le M23 et ses alliés , armés et soutenus par le Rwanda, ont repris la capitale du Nord-Kivu entre le 26 et le 28 janvier 2025, marquant ainsi un tournant brutal dans un conflit qui semble renaître de ses cendres. Ce renversement de situation n’est pas qu’un simple coup d’éclat militaire ; il illustre la fragilité de l’État congolais et révèle des équilibres régionaux en pleine mutation. 

La capture de Goma, un tournant dangereux et révélateur

La prise de Goma est bien plus qu’un simple succès tactique. Cette ville, véritable porte d’entrée vers l’intérieur du pays et épicentre de la vie économique et humanitaire du Nord-Kivu, se trouve désormais sous le joug des M23. Dans le tumulte de cette offensive, la disparition quasi instantanée de toute résistance organisée met en lumière une défaillance structurelle de l’État congolais. Des rapports font état d’un désordre ambiant dans lequel les forces de défense se sont retrouvées dépassées, désorganisées et, dans certains cas, même infiltrées par des éléments indisciplinés qui ont contribué à la débâcle. Goma, jadis symbole de résilience et de vitalité économique, se mue désormais en vitrine d’un État en crise, impuissant face à l’agressivité d’acteurs non étatiques mieux armés et plus déterminés.

Ce revirement brutal révèle également que les M23 disposent non seulement d’une stratégie militaire affûtée, mais aussi d’une logistique redoutable qui leur permet de frapper avec une précision déconcertante. Le fait que la ville ait basculé en quelques jours ne laisse subsister aucun doute sur l’ampleur de la crise. L’occupation de Goma s’accompagne d’une prise de contrôle des routes d’approvisionnement, des centres logistiques et, surtout, d’un accès direct aux ressources stratégiques de la région. L’ampleur du désastre humanitaire est sans pareil : des milliers de civils contraints de fuir, des hôpitaux débordés et un secteur économique paralysé qui annoncent des conséquences dramatiques à court et moyen terme.

Jeux de dupes et recompositions stratégiques

L’échiquier géopolitique de l’Est de la RDC est en pleine redéfinition. Au cœur de cette dynamique, les alliances régionales se dessinent avec une acuité nouvelle. Le soutien indéfectible de Kigali aux M23 renforce la position de ces derniers, mais il révèle aussi la complexité d’un jeu d’influences où chaque acteur régional – Rwanda, Uganda, Burundi – tente de maximiser son levier stratégique.

Les analyses récentes mettent en exergue le rôle ambigu et souvent contradictoire de l’Ouganda. Alors qu’il était traditionnellement perçu comme un partenaire dans la lutte contre certains groupes armés, Kampala se retrouve aujourd’hui pointé du doigt pour faciliter le transit de troupes et de matériel vers le M23. Des enquêtes de terrain et des rapports de l’ONU soulignent la présence régulière d’officiers ougandais au cœur même des opérations logistiques des rebelles. Ces éléments montrent que l’implication de l’Ouganda dépasse largement une simple complicité passive et s’inscrit dans une stratégie de recalibrage des équilibres régionaux.

Le Rwanda continue d’exercer une influence majeure dans le conflit. Soutenir le M23 permet à Kigali non seulement de préserver une zone tampon stratégique à la frontière orientale de la RDC, mais aussi d’assurer une exploitation optimale des ressources naturelles qui jalonnent la région. Paradoxalement, cette ingérence militaire s’accompagne d’une diplomatie fine, qui cherche à masquer l’étendue de son intervention sous le vernis de la sécurité régionale. Les alliances se font et se défont au gré des intérêts économiques et sécuritaires et la compétition entre ces voisins redéfinit la carte géopolitique des Grands Lacs.

Au-delà des rivalités militaires, ces alliances impliquent également une dimension politique et économique majeure. Chaque État tire profit de sa position pour négocier des accords bilatéraux ou multilatéraux qui lui garantissent un accès privilégié aux ressources et aux marchés. La présence d’alliances telles que l’Alliance Fleuve Congo (AFC) illustre la volonté de certains groupes rebelles, soutenus par des acteurs étatiques, de légitimer leur pouvoir en se dotant d’une administration parallèle dans les territoires conquis. Ainsi, le soutien ougandais et rwandais se traduit par un ensemble d’actions coordonnées visant à contrôler non seulement le champ de bataille, mais aussi les flux économiques et humanitaires, scellant ainsi un pacte tacite qui exacerbe les tensions et complique toute perspective de paix durable.

Ressources, sanctions et dérives économiques, l’or comme moteur du conflit

Le conflit dans l’Est de la RDC est indissociable de la course aux ressources naturelles. Les minerais – coltan, tantale, or et cassiterite – sont bien plus que des matières premières : ils représentent le nerf de la guerre. Dans les zones minérales, la violence se mêle à l’économie de la prédation. Les M23, par exemple, imposent une fiscalité de facto sur le commerce du coltan, générant ainsi des revenus colossaux qui financent leur machine militaire. Cette exploitation brutale et souvent illicite des ressources alimente un cercle vicieux dans lequel la guerre et l’exploitation se nourrissent mutuellement.

La question des sanctions internationales se pose avec acuité. Alors que l’Union européenne est sous pression pour suspendre un accord de 2024 avec le Rwanda – un pacte qui, selon plusieurs analyses, faciliterait l’accès aux ressources stratégiques et renforcerait l’influence de Kigali dans le conflit – le gouvernement congolais lui-même pointe du doigt la dérive de ces accords. Cet accord, soutenu par un financement de 900 millions d’euros, risque de légitimer les ingérences et de compromettre la transparence dans la chaîne d’approvisionnement des minerais. La traçabilité, pourtant censée endiguer le commerce des minerais de sang, se heurte à la corruption endémique et à la contrebande, transformant ces minéraux en armes économiques pour les groupes armés.

Ainsi, les ressources naturelles deviennent le pivot d’un système qui perpétue le conflit. Les entreprises internationales, tout en affichant des engagements pour une chaîne d’approvisionnement éthique, se retrouvent complices d’un modèle où le profit prime sur la vie humaine. Les investissements massifs dans les infrastructures minières, combinés à l’absence de contrôles efficaces, permettent aux acteurs étatiques et non étatiques de détourner les richesses au détriment des populations locales. Cette dérive économique, exacerbée par des politiques de sanctions insuffisantes, menace non seulement la stabilité de la région mais aussi la crédibilité des mécanismes internationaux de régulation des conflits.

Un avenir incertain et des choix

La capture de Goma et l’expansion rapide des M23 annoncent un avenir sombre et incertain pour la RDC et, plus largement, pour la région des Grands Lacs. Le gouvernement congolais, fidèle à une posture militariste, refuse de négocier directement avec les rebelles, invoquant la nécessité de préserver l’intégrité nationale. Pourtant, cette position, loin de rassurer, contribue à l’isolement de Kinshasa et fragilise encore davantage l’État face à des forces insurgées mieux organisées et soutenues par des puissances étrangères.

Les négociations, longtemps attendues, se heurtent désormais à une obstination de part et d’autre. D’un côté, les M23 et leurs alliés exigent une reconnaissance de leur contrôle sur des territoires riches en ressources, voire un changement de régime à Kinshasa. De l’autre, le gouvernement congolais reste figé dans une stratégie de répression qui ne parvient pas à contenir l’escalade. Cette impasse stratégique ouvre la porte à une militarisation accrue du conflit, qui risque de se transformer en une guerre régionale impliquant plusieurs États voisins. La perspective d’un conflit élargi, avec l’implication directe du Burundi et des accusations réciproques entre Rwanda et Uganda, menace de redessiner les frontières de l’insécurité dans l’ensemble du bassin des Grands Lacs.

Pour sortir de cet engrenage, une reconfiguration profonde des alliances et une révision de la stratégie étatique s’imposent. Il est urgent de repenser les mécanismes de négociation, de renforcer la gouvernance locale et d’instaurer des systèmes de contrôle transparents sur l’exploitation des ressources naturelles. Sans ces réformes, l’avenir du Kivu restera en suspens, condamné à être le théâtre d’un conflit sans fin, alimenté par une économie de guerre qui profite à quelques-uns au détriment de la majorité.

Naissance d’un nouvel ordre dans la région des Grands Lacs

Face à la reprise de Goma par le M23, la faiblesse structurelle de l’État congolais apparaît avec clarté. Les forces républicaines se sont effondrées devant des offensives éclairs, révélant un vide de gouvernance exploité par des groupes armés dotés d’une logistique moderne. Les alliances régionales se redéfinissent : le soutien de Kigali aux M23 se conjugue à une implication ambiguë de Kampala, qui facilite, selon plusieurs enquêtes, le transit de matériel et de troupes vers le théâtre des opérations. Ce remaniement stratégique reconfigure l’échiquier géopolitique de la région, où chaque État cherche historiquement à maximiser ses avantages tout en exploitant les failles du système de défense congolais. Ces dynamiques témoignent d’un ordre régional en délitement, où l’État congolais se trouve dépossédé de sa souveraineté face à des alliances et des intérêts économiques qui redéfinissent les règles du conflit dans l’Est de la RDC.

Oscar Lafay 

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