Face aux bouleversements du commerce mondial depuis les années 2000, l’Union européenne cherche à diversifier ses partenaires commerciaux pour réduire sa dépendance envers les États-Unis et la Chine. Dans ce contexte, le Mercosur pourrait constituer une alternative intéressante pour diversifier ses relations commerciales, tout en offrant un accès privilégié à des ressources naturelles.
Le Mercosur : une réponse face aux transformations des échanges mondiaux
D’importants changements, amplifiés par les crises climatiques et financières, par la pandémie de Covid-19 mais également par la guerre en Ukraine, ont perturbé les échanges internationaux. Ces évènements ont poussé l’Union Européenne à élargir son nombre de partenaires commerciaux, et ce en raison de sa dépendance croissante vis-à-vis des États-Unis et de la Chine. L’élection de Donald Trump et ses menaces de hausse des droits de douane ont accéléré cette prise de conscience, notamment pour l’industrie allemande, qui voit dans le Mercosur une opportunité stratégique pour écouler ses exportations (notamment de berlines). L’Amérique du Sud apparaît ainsi comme un marché clé, permettant à l’UE de réduire sa vulnérabilité face à la Chine, son principal partenaire commercial.
Le Mercosur : une zone mondiale en pleine ascension
Le Mercosur représente plus de 80% du PIB de l’Amérique du Sud. C’est le quatrième bloc économique de libre-échange au monde, après le Partenariat économique régional global (RCEP), l’Alena et l’Union européenne (UE). Sa position stratégique en fait un partenaire incontournable qui bénéficie d’une grande capacité de négociation, comme en témoigne son récent accord de libre-échange avec Singapour. Ses exportations sont majoritairement des matières premières essentielles comme le soja, le pétrole, le fer et le maïs. Son territoire s’étend sur près de 15 millions de km², soit une surface cinq fois plus grande que celle de l’Union Européenne. Ainsi, cette région est riche en ressources naturelles, aussi bien en eau douce, avec l’Acuífero Guaraní (l’une des plus grandes réserves au monde) qu’en minerais stratégiques (tels que le lithium, le cuivre, ou encore, le Niobium). Grâce à ces nombreux atouts, le Mercosur joue aujourd’hui un rôle croissant sur la scène internationale. La Chine l’a bien compris et a, en peu de temps, d’ores et déjà pris des mesures pour renforcer sa présence dans la région.
Le Mercosur : une présence chinoise grandissante
Depuis quelques années, la Chine a intensifié ses investissements dans la région du Mercosur, comme en témoigne la visite du président Xi Jinping à Brasilia. Ce n’est toutefois pas nouveau ; durant les temps forts de la pandémie du Covid-19, la diplomatie chinoise en matière de vaccins s’était fortement concentrée sur l’Amérique latine. Ainsi, les entreprises chinoises investissent massivement dans des projets d’infrastructure, d’énergie et d’exploitation minière. Parmi eux, la construction d’un mégaport à Chancay, au Pérou, qui vient améliorer tant la connectivité régionale que le commerce entre l’Amérique du Sud et l’Asie. De la même manière, la construction de deux barrages sur la rivière Santa Cruz visent à produire environ 4950 MWh d’électricité, réduisant ainsi la dépendance de l’Argentine à l’égard des combustibles fossiles. De fait, la Chine est devenue l’un des principaux partenaires commerciaux de plusieurs pays d’Amérique latine, ce qui renforce son accès aux matières premières.
Le Mercosur et l’industrie automobile : un marché limité
L’accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur est largement perçu comme une opportunité pour le secteur de l’industrie automobile, mais il comporte aussi des défis. Pour les grandes marques automobiles européennes, comme Volkswagen, BMW et Mercedes-Benz, le marché sud-américain représente une chance de croissance. C’est particulièrement le cas au Brésil, où les ventes de voitures allemandes ont augmenté de 11,3 %. L’Allemagne, en récession depuis deux ans, voit dans cet accord une possibilité de diversifier ses exportations, réduisant sa dépendance à la Chine. Toutefois, il faut noter que les droits de douane actuels de 30% sur l’automobile ont fortement incité les industriels étrangers à s’installer sur place plutôt qu’à payer ces derniers. Tant convoité, l’accord avec le Mercosur n’apportera donc pas autant de nouveau marché qu’espéré, puisque de nombreux constructeurs européens produisent et vendent déjà dans ces pays. C’est le cas de Stellantis ou encore Renault, qui proposent une gamme spécifique produite localement, différente de celle proposée en Europe. L’intérêt se retrouverait davantage dans l’importation de certains composants automobiles.
Une industrie automobile chinoise en forte expansion
L’industrie automobile chinoise constitue une menace pour les producteurs européens. Dans le secteur automobile en Amérique latine, les ventes chinoises ont quadruplé en cinq ans. En effet, en 2023, les ventes de voitures chinoises ont atteint 8,5 milliards de dollars, soit 20 % du marché, se plaçant ainsi en tête devant les États-Unis (17 %). Cette domination chinoise est encore plus marquée sur le marché émergent des véhicules électriques, constituant 51% des ventes. Par ailleurs, le géant chinois BYD est en train de construire la plus grande usine de voitures électriques en dehors de l’Asie, dans le nord-est du Brésil. Le début de production a été annoncé pour mars 2025, avec une capacité de 150 000 véhicules par an. L’un des principaux avantages des voitures chinoises réside dans leur prix compétitif. En effet, ces véhicules sont souvent proposés à des tarifs bien inférieurs à ceux des marques européennes, grâce à des coûts de production réduits et des économies d’échelle réalisées par les fabricants chinois. Cette politique tarifaire permet aux voitures chinoises de conquérir une large part de marché, en particulier dans les pays émergents, où de nombreux consommateurs n’ont pas accès à des véhicules plus coûteux.
Le Mercosur et l’enjeu d’accès aux matières premières
Malgré des chiffres impressionnants, l’argument économique avancé en faveur de l’accord UE-Mercosur n’aurait, en réalité, qu’un impact moindre pour l’UE. L’accord ne devrait entraîner qu’une hausse modeste du PIB, estimée entre 0,1 et 0,3 %. En effet l’union-douanière latino-américaine n’absorbe que 2% des exportations mondiales de l’UE, ce qui rend les échanges entre l’Europe et les pays du Mercosur assez faibles.
Toutefois, l’enjeu économique majeur demeure ailleurs. Cet accord UE-Mercosur viendrait sécuriser l’UE en matière d’accès à des minerais stratégiques, tels que le lithium ou le cuivre, dont les pays du Mercosur disposent en grandes réserves. On peut également citer le Niobium, dont le Brésil contrôle 88,8% du traitement mondial et dont l’UE dépend à hauteur de 82 % pour ses approvisionnements. De surcroit, le Brésil détient environ 20 % des réserves mondiales de graphite, de nickel, de manganèse et de terres rares. L’Argentine, quant à elle, dispose de la troisième plus grande quantité de réserves de lithium commercialement viables, un élément essentiel des batteries des véhicules électriques.
Et si l’accord UE-Mercosur permettait d’imposer des normes environnementales plus strictes ?
L’échec de la signature de l’accord de libre-échange UE-Mercosur pourrait rapprocher les économies latino-américaines de l’orbite de Pékin. L’Uruguay, en particulier, exprime depuis quelque temps sa préférence pour un accord de libre-échange avec la Chine plutôt qu’avec l’UE. En outre, le meilleur moyen pour l’Union d’imposer des normes environnementales plus strictes dans les pays du Mercosur pourrait bien être de renforcer son influence dans la région. En effet, l’accord proposé comprend un chapitre entier sur les normes environnementales, qui constitue une base inhérente sur laquelle s’appuyer. Là encore, l’alternative est de rapprocher l’Amérique latine de la Chine, qui ne demandera probablement jamais de comptes au Brésil, pour que ce dernier mette fin à la déforestation. En ce sens, l’Union européenne avait repoussé sa directive contre la déforestation importée, qui avait pour objectif d’interdire les importations d’un certain nombre de produits (boeufs, cacao, caoutchouc, café, etc.) provenant de zones déforestées. Sa mise en application, prévue fin 2025, devrait permettre la réduction d’une partie des effets pervers de l’accord avec le Mercosur.
Le Mercosur-UE est très critiqué, surtout par le monde agricole, qui voit cet accord comme un marché déjà fragilisé et qui apparaît très favorable à l’industrie automobile européenne. Toutefois, il est également un moyen pour l’Union européenne de se garantir un accès à certains minéraux critiques, dont elle a grandement besoin pour continuer à innover. Augmenter le commerce avec ces pays apparaît comme un moyen de s’orienter vers d’autres régions du monde afin de contrer, une fois encore, la fragmentation bipolaire mondiale opposant la Chine et les États-Unis.
Fanette Grillet pour le club droit de l’AEGE
Pour aller plus loin :
- UE-Mercosur : la France résiste mais l’Union européenne progresse – Portail de l’IE
- Les insuffisances européennes et françaises face à l’approvisionnement en minerais stratégiques – Portail de l’IE
- Huawei s’attaque au marché uruguayen : une offensive commerciale chinoise en terrain américain – Portail de l’IE