Maroc et France en Afrique, entre coopération et rivalité

Le Maroc est-il en train de trahir son allié français en s’imposant comme la nouvelle puissance économique et stratégique du Sahel, ou bien est-il en train de redessiner la carte du continent dans une vision panafricaine ambitieuse ? Alors que la France se retire progressivement de plusieurs secteurs clés en Afrique, le royaume chérifien se positionne comme un acteur incontournable du renouveau africain.

Le Maroc, le nouveau maître du Sahel

Alors que les banques françaises plient bagage et que l’influence économique hexagonale s’effrite, le Maroc s’engouffre dans la brèche. Casablanca, désormais centre financier régional, accueille une myriade de sièges sociaux et d’investisseurs qui réorientent leur stratégie vers un avenir africain moins dépendant de Paris. La Bourse de Casablanca, l’une des plus dynamiques du continent, sert désormais de levier pour structurer les investissements africains, attirant capitaux étrangers et entreprises désireuses d’explorer de nouveaux marchés.

Les entreprises marocaines, dans les domaines de la finance, des assurances, des infrastructures et des télécoms, remplacent peu à peu les géants français autrefois omniprésents. Attijariwafa Bank, BMCE Bank of Africa et Banque Populaire s’imposent comme les nouveaux piliers du système bancaire ouest-africain, tandis que Maroc Telecom tisse sa toile dans plusieurs pays subsahariens, fournissant services et connectivité là où l’empreinte française se réduit. Parallèlement, les grandes entreprises marocaines de BTP et d’ingénierie, comme SGTM ou Managem, remportent des contrats stratégiques pour la construction d’infrastructures essentielles, consolidant ainsi la présence économique du Maroc au cœur du continent.

Le choix français du Sahara occidental

Longtemps réticente, la France a récemment renforcé son soutien au plan d’autonomie marocain pour le Sahara occidental. Ce choix a permis un réchauffement significatif des relations entre Rabat et Paris, mais il s’inscrit également dans une dynamique plus large. Après des décennies d’ambiguïté diplomatique, Paris a finalement opté pour une position claire qui reflète à la fois ses intérêts géopolitiques et économiques dans la région.

En soutenant cette cause marocaine, la France tente de préserver une influence déjà déclinante sur le continent en misant sur un allié solide. Elle voit dans le Maroc un rempart face aux nouvelles puissances émergentes comme la Chine ou la Turquie, qui gagnent du terrain en Afrique francophone tout en s’opposant frontalement à Alger. De plus, ce soutien s’aligne avec une volonté de stabilisation régionale, évitant ainsi de nouvelles tensions susceptibles d’affaiblir encore davantage sa position. 

Mais Rabat n’entend pas jouer le rôle de simple relais de l’ancienne puissance coloniale. Au contraire, le Maroc capitalise sur cette reconnaissance pour consolider sa propre vision d’une Afrique unie et indépendante, renforçant ses alliances avec des pays comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Gabon. Ce basculement stratégique témoigne du repositionnement du royaume en tant que leader régional autonome, capable d’influencer le jeu diplomatique africain sans nécessairement s’aligner systématiquement sur les intérêts français.

La francophonie et la réputation du Maroc : un levier d’influence

Le Maroc a su tisser sa toile en Afrique subsaharienne bien avant le déclin de l’influence française. Grâce à la francophonie, il s’est progressivement imposé dans des secteurs stratégiques autrefois dominés par Paris : éducation, culture, médias, infrastructures. Ses universités accueillent un nombre croissant d’élites africaines, ses banques structurent le marché régional et ses entreprises de BTP remplacent progressivement les grands groupes français.

Mais au-delà de la francophonie, le Maroc bénéficie d’un autre levier d’influence puissant : l’islam. En tant que pays musulman doté d’une légitimité religieuse reconnue, notamment via la commanderie des croyants que détient le roi, il joue un rôle clé dans la formation des imams et la diffusion d’un islam modéré dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest. Ce soft power religieux, combiné à son positionnement économique, lui permet de nouer des alliances solides et d’ancrer durablement son influence, là où la France est souvent perçue avec méfiance en raison de son passé colonial.

Le Maroc fait ce qui n’a jamais était fait

Malgré son influence grandissante en Afrique, le Maroc a récemment connu un revers sur la scène diplomatique continentale. Lors des élections de la Commission de l’Union africaine, Rabat a été devancé par Alger, qui a su mobiliser un large soutien au sein des instances panafricaines. Ce succès diplomatique algérien illustre les tensions persistantes entre les deux voisins et souligne que la bataille pour le leadership africain ne se joue pas uniquement sur le terrain économique, mais aussi dans les arènes institutionnelles. 

Toutefois, ce revers ne remet pas en cause la dynamique marocaine, qui continue de renforcer ses alliances et d’étendre son influence économique et stratégique à travers le continent. Loin d’un simple remplacement de la France, la stratégie du Maroc s’inscrit dans une vision panafricaine globale. Rabat ne se contente pas de combler un vide, mais ambitionne d’aller plus loin en créant une véritable dynamique de développement intra-africain. Investissements structurants, intégration régionale, renforcement des liens économiques et diplomatiques : autant d’axes qui font du Maroc un Alexandre d’Afrique plutôt qu’un Brutus de la France. Le Maroc n’a pas trahi la France, il l’a dépassé.

Oscar Lafay 

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