Le 14 novembre 2024, le président Xi Jinping a inauguré au Pérou le nouveau port de Chancay, à 78 kilomètres de Lima. Cette infrastructure a été construite dans le cadre de l’initiative « la Ceinture et la Route », le projet chinois qui vise à dynamiser les anciennes routes de la soie. La Chine accroît ainsi son influence en Amérique du Sud, dont elle devient un partenaire incontournable.
Le port de Chancay : prototype des ports du futur ?
Le port de Chancay est un projet d’infrastructure portuaire lancé en 2021 par l’entreprise chinoise Cosco Shipping Ports, qui détient 60% du port, et le groupe péruvien Volcan Compañía Minera. Avec un investissement total de 3,5 milliards de dollars, ce port représente l’une des plus grandes initiatives sino-latino-américaines dans le cadre des Nouvelles routes de la soie. Conçu pour devenir l’un des hubs logistiques les plus modernes d’Amérique latine, il comprend quatre quais capables d’accueillir des porte-conteneurs géants de dernière génération, et s’étend sur 141 hectares.
Le site intègre la 5G, qui offre une connectivité ultrarapide, essentielle pour coordonner les différentes composantes des opérations portuaires. Par ailleurs, il comprend des grues automatisées et des véhicules autonomes pour optimiser le transit des marchandises. Ainsi, Chancay devient le premier port d’Amérique du Sud permettant une exploitation en continue 24 heures sur 24, réduisant de facto les temps d’arrêt logistiques. Enfin, le projet revendique son respect de l’environnement. Les équipements portuaires, notamment les grues, fonctionnent entièrement à l’électricité, produite par l’industrie d’énergie hydraulique locale. Le port de Chancay prévoit également des systèmes de gestion des déchets. Par exemple, les eaux usées produites par les installations portuaires seront recyclées et réutilisées pour des usages non potables, comme le nettoyage des quais.
Une marque de l’influence chinoise en Amérique latine
Situé à seulement 23 jours de navigation de la Chine, le port de Chancay réduira significativement les délais de transports de 10 jours. Cette réduction du temps de transport se traduira par une diminution des coûts logistiques de plus de 20 %. La construction de ce port est perçue comme essentielle pour les exportateurs d’Amérique latine, notamment dans les secteurs de l’agriculture et des minerais. Ces derniers bénéficieront d’une plus grande compétitivité sur les marchés asiatiques. En retour, le port permet à Pékin de consolider ses positions en Amérique du Sud, une région riche en matières premières.
Les échanges commerciaux entre la Chine et les pays d’Amérique latine ont été multipliés par 35 depuis 2002. En 2022, les échanges commerciaux entre la Chine et l’Amérique latine ont atteint 500 milliards de dollars. Ce chiffre devrait continuer de croître avec la construction du port qui, à terme, pourrait générer 4,5 milliards de dollars par an. Toutefois, cette relation commerciale met en évidence une asymétrie des échanges. En effet, les exportations chinoises sont principalement composées de produits à haute valeur ajoutée tels que des équipements technologiques ou des véhicules électriques. En revanche, les exportations sud-américaines restent majoritairement centrées sur des matières premières. En 2023, les exportations chinoises au Pérou dépassent les 23 milliards de dollars. Parmi ces exportations, les produits mécaniques et électriques ont représenté environ 5,6 milliards de dollars.
Une telle disparité crée une dépendance économique des producteurs sud-américains. Elle consolide une relation inégale où la Chine, en contrôlant des infrastructures stratégiques comme des ports, exerce une influence croissante sur les flux commerciaux de la région. La construction du port de Chancay par la Chine illustre une stratégie globale déjà mise en place dans d’autres régions du monde. Les exemples du port de Hambantota au Sri Lanka et celui du Pirée en Grèce illustrent ce mode opératoire. Situé à un emplacement stratégique sur les routes maritimes entre l’Asie et le Moyen-Orient, le port de Hambantota a été financé et construit grâce à des prêts chinois. Toutefois, en raison de l’incapacité du Sri Lanka à rembourser sa dette, le gouvernement sri-lankais a été contraint de céder le contrôle du port à une entreprise chinoise pour une durée de 99 ans. Cette stratégie a aussi été adoptée en Europe, avec le port du Pirée, en Grèce. En 2016, la compagnie Cosco Shipping Ports, détentrice à 60% du port de Chancay, a d’abord augmenté progressivement ses investissements dans les infrastructures locales. Ensuite, elle a acquis une participation majoritaire dans le port grec.
Une infrastructure contestée
Malgré ses promesses de créer plus de 8000 emplois directs, le projet suscite des inquiétudes au sein de la population locale. Les 60 000 habitants de Chancay, dépendants majoritairement de la pêche, dénoncent les conséquences écologiques et sociales de la construction du port. Miriam Arce, présidente de l’Association de défense des habitations et de l’environnement, rapporte des cas de déplacement forcé des habitants. En effet, les autorités ont acquis des terres pour permettre l’expansion des infrastructures portuaires. La hausse soudaine du prix du mètre carré, qui est passé de 2 dollars à 40 dollars, a exacerbé les inégalités locales. Les petites exploitations familiales sont désormais incapables de rivaliser avec les investisseurs qui s’installent dans la ville, attirés par le projet portuaire.
Depuis l’inauguration du port, Chancay a gagné plus de 10 000 habitants, ce qui pose problème pour l’approvisionnement en eau. Bien que les autorités locales aient promis de doter la ville d’une station de traitement de l’eau, l’accès à cette ressource reste difficile pour 30% de la population. Cette situation suscite des inquiétudes parmi les habitants, qui doutent de la capacité du gouvernement local à tenir ses engagements. Ces préoccupations sont d’autant plus fortes que le pouvoir local ambitionne de transformer Chancay en une ville de 350 000 habitants. Cet objectif dépasse les capacités actuelles des infrastructures. Raul Perez-Reyes, ministre des Transports du Pérou, justifie la construction de ce port et l’expansion de la ville par la volonté de faire de Chancay « le Singapour de l’Amérique latine ».
Une réduction de la dépendance des exportateurs latino-americains aux marchés européens ?
L’ouverture du port de Chancay, marqueur de l’intégration croissante des pays d’Amérique latine dans les nouvelles routes de la soie, pourrait menacer le marché européen. Malgré la signature de l’accord UE-Mercosur, en 2024, l’accès au gigantesque marché asiatique pourrait détourner les exportateurs latino-americains des marchés européens. Cette tendance est d’autant plus probable que la Chine est le plus grand consommateur de cuivre malgré un ralentissement de la demande de métaux depuis 2021. Cette baisse s’explique par des problématiques internes telles que la crise immobilière et l’impact économique de la Covid-19. Cependant, en 2024, le volume total des importations de minerais et concentrés de cuivre s’est élevé à 28,114 millions de tonnes, enregistrant une augmentation de 2,1 % par rapport à l’année précédente.
L’Union européenne, partenaire commercial clé de l’Amérique du Sud, importe des produits agricoles, ainsi que des ressources critiques, telles que le cuivre et le lithium. Ces dernières sont essentielles aux industries européennes pour la transition énergétique et la production de batteries. Dans ce cadre, l’accord UE-Mercosur est un outil stratégique pour l’Europe. En abaissant les barrières douanières sur des produits agricoles et industriels, cet accord maintient l’Europe comme un partenaire commercial majeur pour l’Amérique latine. Si l’Union européenne souhaite le rester à terme, elle devra aller au-delà des avantages tarifaires. Les investissements dans des partenariats stratégiques et des infrastructures permettraient de rivaliser avec l’influence croissante de la Chine dans la région.
Melissa Mey
Pour aller plus loin :
- L’envolée des taux de frets maritimes, un accélérateur pour les nouvelles routes de la soie
- Le pacte vert de l’Union européenne pour développer l’économie bleue
- La Route maritime du Nord : La nouvelle arme économique au service du désenclavement russe