Pillage de biens culturels : quand l’art finance le terrorisme

Le pillage de biens culturels constitue une manne financière considérable pour les organisations criminelles. Œuvres d’art, antiquités et trésors archéologiques pillés alimentent un trafic illicite international, menaçant le patrimoine culturel, et enrichissant plusieurs réseaux terroristes. 

Le pillage de biens culturels, longtemps perçu comme une simple atteinte au patrimoine, représente aujourd’hui une manne financière puissante. Ces « antiquités de sang » sont volées et revendues sur le marché noir international, générant des revenus conséquents pour financer des activités criminelles. Ce trafic illégal ne menace pas seulement l’héritage culturel mondial, mais alimente également des réseaux terroristes.

Le trafic de biens culturels : une économie parallèle sous-estimée 

Les biens culturels désignent, selon l’Union européenne, tous les objets ayant un « intérêt archéologique, historique, préhistorique, littéraire, artistique ou scientifique ». Deux types de crimes majeurs menacent ces objets. D’une part, le vol et le recel : les biens dérobés, souvent issus de collections privées – 80 % des cas signalés selon Interpol – sont revendus sur des circuits clandestins. D’autre part, la contrefaçon et l’escroquerie : des pièces falsifiées ou imitées trompent acheteurs privés, musées et expositions.

Les zones de crise du Moyen-Orient et d’Afrique sont particulièrement touchées ; u. Un phénomène difficilement quantifiable dû au manque de transparence des pays concernés. Néanmoins, plusieurs enquêtes récentes ont permis de découvrir de vastes réseaux illicites d’ « antiquités de sang » au  Soudan, en Libye ou encore au Liban. Les destinataires de ces flux illicites se situent la plupart du temps dans des pays occidentaux, en Europe ou en Amérique du Nord (voir ci-dessous). Le trafic illicite de biens culturels représente un problème d’envergure mondial, favorisé par la faible régulation du marché de l’art et le développement des ventes en ligne. Ce commerce clandestin, estimé entre 3,4 et 6,3 milliards de dollars par an, prospère dans un secteur marqué par une culture du secret, notamment à travers les clauses de confidentialité. La difficulté d’accès à l’information et l’anonymat des transactions, renforcés par les nouvelles technologies numériques telles que le Dark web, en font une voie privilégiée pour le blanchiment d’argent. Ce marché parallèle représenterait ainsi près de 10 % du commerce global de l’art.



Itinéraires principaux de la contrebande de biens culturels (Interpol, septembre 2021)

Le pillage de biens culturels : double visée pour les groupes terroristes 

Le pillage de biens culturels représente un double intérêt pour les organisations terroristes. D’une part, la manne financière permise par la contrebande de ces objets patrimoniaux leur permet de financer leurs activités. D’autre part, la destruction et le pillage de sites historiques entrent dans leur stratégie globale de la terreur et de domination sur les populations locales. Ce constat concerne particulièrement les groupes djihadistes.  Plusieurs enquêtes ont révélé que les groupes djihadistes utilisent le trafic de biens culturels comme moyen de financement. Dès 2010, le reportage « Trafic d’art : trésor de guerre des terroristes » exposait déjà cette problématique. Produit par TAC presse, le documentaire explique notamment comment un magnat du gaz basé à Kansas City, passionné d’antiquités babyloniennes, finançait à ses dépens le Hezbollah. Dix ans plus tard, l’émission Complément d’enquête soulignait que le commerce illicite de biens culturels est devenu « l’une des principales sources de financement des groupes terroristes » opérant en Irak et en Syrie. En 2021, Elie Cavigneaux, chercheur au Groupe d’études géopolitiques, évoquait « l’institutionnalisation du pillage des antiquités de sang par Daesh ».

Plusieurs organisations djihadistes se sont illustrées par la destruction de sites archéologiques et religieux. On peut citer le cas des mausolées de Tombouctou ravagés par Al-Qaïda au Maghreb islamique en 2012 ou encore la destruction des bouddhas géants de Bâmiyân en Afghanistan en 2001. Avec l’émergence de l’État islamique, ces destructions ont pris une ampleur inédite, notamment à Mossoul et Palmyre (voir ci-dessous). Ces actions vont au-delà d’une simple volonté idéologique d’effacement du passé ou de prohibition des cultes « païens ». Comme le rappelle le spécialiste du djihadisme Wassim Nasr, elles s’inscrivent dans une logique de domination sur les populations locales. 

Le temple de Baalshamin avant et après les destructions de Daesh en 2014 (Beaux Arts Magazine)

La France, en première ligne face au trafic de biens illicites 

La France, fortement touchée par le trafic de biens culturels, joue un rôle de premier plan dans la lutte contre ce marché illicite. Paris figure parmi les principales places mondiales du commerce d’antiquités, aux côtés de New York et Bruxelles., et la La France se classe également au quatrième rang mondial en termes de produit des ventes d’art contemporain. Le marché français de biens culturels est historiquement marqué par des pratiques douteuses, parfois liées aux trafics illicites. L’affaire du Louvre Abu Dhabi illustre l’ampleur du phénomène. Ce scandale de trafic d’antiquités met notamment en cause plusieurs conservateurs français soupçonnés d’avoir facilité la vente d’objets égyptiens d’origine douteuse au Louvre Abu Dhabi. L’ancien président du Louvre, Jean-Luc Martinez, a également été mis en examen. Avec plus de 50 millions d’euros en jeu et une enquête toujours d’actualité, cette affaire illustre la dimension tentaculaire que peut prendre le trafic de biens culturels.

Sa stratégie repose sur des mesures législatives intégrées au code du patrimoine en 2016, interdisant notamment l’importation d’œuvres issues de zones de conflit ainsi que sur une coopération internationale renforcée. Ainsi, la France coopère activement avec des organisations telles que l’UNESCO, INTERPOL, EUROPOL et l’Organisation mondiale des douanes. L’efficacité de cette coopération s’est illustrée par l’opération Pandora de 2020. Ayant mobilisé des forces policières et douanières de 31 pays, elle a permis la saisie de plus de 56 400 objets, marquant un succès sans précédent. Les biens saisis sont ensuite restitués quand le propriétaire originel de l’œuvre est identifiable, ou deviennent propriété de l’État. 

L’opération Pandora a permis aux douanes françaises de saisir plus de 27 300 artefacts archéologiques (Interpol)

La lutte contre le trafic de biens culturels mobilise en France un large éventail d’acteurs. Parmi les institutions mobilisées, l’Office central de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC) joue un rôle central aux côtés de services spécialisés des ministères de la Justice, de l’Intérieur ou de l’Économie et des Finances. Créé en 1975 suite aux recommandations de l’UNESCO, l’OCBC est le service d’enquête spécialisé dans le trafic de biens culturels. Outre la réalisation d’enquêtes d’envergure, son travail repose sur la formation d’unités partenaires nationales ou à l’étranger aux méthodes de lutte contre ce trafic. Par ailleurs, le développement de nouveaux outils numériques a permis aux acteurs de la lutte contre le trafic d’art de monter en puissance. En France, les services enquêteurs peuvent ainsi se reposer sur l’exploitation de la base de données TREIMA, alimentée par les dépôts de plainte en cas de disparition ou vol de biens patrimoniaux depuis 1995. Plus récemment, l’application ID-Art d’INTERPOL a été mise à disposition du public. Cet outil gratuit permet « de vérifier, enregistrer et signaler les objets culturels volés ou menacés » par reconnaissance d’images à partir d’une base de données internationale de biens dérobés.

Les unités spécialisées, comme l’OCBC, sont rares à l’échelle mondiale. En Europe, l’Italie dispose des effectifs les plus nombreux avec 200 carabiniers dédiés, suivie par la France et l’Espagne. En revanche, la Belgique et le Royaume-Uni ne comptent que quelques enquêteurs. De plus, ces derniers sont souvent intégrés à des services existants, comme les douanes ou les services de police. Ce mode d’organisation est privilégié par de nombreux pays dont les États-Unis, où la lutte contre le marché clandestin de biens culturels est garantie par les douanes et le FBI. Unité autonome composée d’une trentaine de personnes, l’OCBC fait ainsi figure de « bon élève ».

Louis Quinet

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