Huawei met au défi Nvidia avec le lancement de la production de sa nouvelle puce Ascend 910C, conçue pour l’intelligence artificielle. Dans un contexte de sanctions américaines et de course aux semi-conducteurs, la puce 910C intègre deux processeurs 910B et pourrait prétendre répondre aux performances des puces H100 de Nvidia, en particulier pour les tâches d’inférence. Cette annonce intervient pourtant sous le coup de soupçons de production illégale et de défis de production importants qui pèsent sur les ambitions de l’entreprise chinoise.
Une puce conçue pour rivaliser avec Nvidia
L’entreprise Huawei travaille depuis plusieurs années sur sa stratégie « All Intelligence », dédiée aux technologies de l’information. En septembre 2023, la présidente d’Huawei présente le plan de l’entreprise pour les dix prochaines années en pointant l’intelligence artificielle comme priorité. Ce plan intervient après le lancement de nouvelles puces dédiées à l’IA annoncé en 2019, la série de puces « Ascend 910 ».
Après le lancement du modèle R1 de DeepSeek en janvier 2025, toutes les interrogations se tournent vers les puces utilisées par la société pour entraîner son modèle et réaliser les tâches d’inférence. Plusieurs sources semblent indiquer que le modèle aurait effectivement pu utiliser les puces développées par Huawei pour gérer les tâches d’inférence, c’est-à-dire le moment où le modèle est utilisé pour produire des résultats à partir de nouvelles données. Selon les informations relayées par Huawei, la puce 910C atteindrait des performances comparables aux puces H100 de Nvidia. Cette performance serait rendue possible grâce à l’intégration de deux processeurs 910B dans un seul module. Cette combinaison permettrait d’obtenir deux fois plus de puissance de calcul et de mémoire que la 910B, commandée en grande quantité par Baidu en 2023.
Les derniers tests opérés sur ces puces démontrent cependant deux points d’attention importants quant à la production et à la performance de ces puces. Le chercheur Lennart Heim, qui travaille au sein de la RAND Corporation, affirme que les puces 910B et 910C auraient été produites illégalement grâce à des commandes auprès du fabricant taïwanais TSMC. Les performances de cette nouvelle puce restent encore à déterminer. Si le chercheur de la RAND Corporation affirme que la 910C offrirait seulement 20% des performances de la puce Nvidia H100 pour l’entraînement des modèles d’IA, c’est pour les tâches d’inférence que cette puce serait particulièrement performante. Des tests effectués par DeepSeek démontreraient que les nouvelles puces d’Huawei permettraient d’atteindre 60% de la performance des puces H100 pour les tâches d’inférence.
Un impact stratégique pour faire face aux sanctions américaines
Les sanctions américaines interdisent l’export de certaines puces dédiées à l’IA, dont les puces Nvidia H100. L’entreprise américaine développe alors trois puces spécifiquement pour le marché chinois, dont la puce H20. Depuis la réélection du président Trump, Nvidia doit faire face aux mesures restrictives sur la vente des puces IA H20, qui nécessitent désormais une licence d’exportation. Cette mesure a lourdement fait chuter les actions de Nvidia de 7 % mercredi 16 avril 2025.
Face à la course aux semi-conducteurs, les États-Unis forcent le fournisseur historique taïwanais TSMC au contrôle à l’export vers la Chine en 2019, dans un contexte de tensions commerciales. L’entreprise Huawei, accusée d’espionnage pour le compte du gouvernement chinois, est alors placée sur la liste noire de Washington en septembre 2020. Cette mesure empêche la société TSMC de livrer des puces à Huawei directement, puis étend cette décision en mai 2020 à d’autres entreprises chinoises et à des fournisseurs tiers. À l’annonce du nouveau processeur Ascend 910B de Huawei, une enquête est lancée par le Département américain du Commerce. Des puces fabriquées par TSMC pour la société chinoise Sophgo auraient été retrouvées dans le processeur Ascend 910B. L’entreprise taïwanaise affirme en octobre 2024 respecter les lois et règlementations dont les contrôles à l’exportation et indique suspendre ses expéditions vers Sophgo.
Une production de masse dans un contexte de guerre économique
Les livraisons de cette puce aux clients chinois sont prévues dès le mois de mai. Selon les dernières informations, les entreprises chinoises auraient déjà pu passer commande dès l’automne 2024, sécurisant plus de 70 000 commandes d’un montant total de 2 milliards de dollars pour Huawei.
L’entreprise fait cependant face à un défi important de production face aux sanctions américaines, qui restreignent l’accès à certaines technologies avancées. Lors de la commercialisation de sa puce 910B, Huawei avait observé un retard de production considérable, à la suite de pannes, d’une pénurie d’expertise et d’équipements obsolètes. Plusieurs clients, parmi lesquels ByteDance, auraient commandé plus de 100 000 puces Ascend 910B fin 2023, mais en aurait reçu moins de 30 000 en juillet 2024, un rythme de production qui ne répond pas aux besoins des entreprises.
Les entreprises chinoises ne sont pas les seules concernées par les restrictions américaines, puisque les États-Unis intensifient leurs efforts sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement des semi-conducteurs. Les restrictions extraterritoriales imposées à l’entreprise néerlandaise ASML pour empêcher la vente de machines EUV à la Chine pourrait également restreindre les capacités de production et de livraison des nouvelles puces Huawei. Seule entreprise capable de produire ces machines à grande échelle et à maîtriser le processus de fabrication très sophistiqué, les restrictions imposées par les États-Unis mettent à mal la production de puces de 7 nm et plus petites.
Les entreprises chinoises au cœur de la stratégie
Plusieurs entreprises chinoises avaient déjà annoncé à l’été 2024 être intéressées par l’acquisition de ces puces. Parmi ces entreprises, TikTok avec ByteDance, Baidu et China Mobile. Les principales entreprises de la tech chinoises lancent leurs modèles d’intelligence artificielle ces dernières années. Baidu est la première entreprise à dévoiler son modèle d’IA générative dans le pays. Surnommé « Ernie », le modèle est disponible depuis août 2023, suite à son approbation par le gouvernement chinois.
Huawei n’est pas la seule entreprise chinoise à se positionner sur le secteur du GPU. Les sanctions opérées par Washington poussent le gouvernement chinois à des investissements colossaux dans le domaine des semi-conducteurs. En mai 2024, la Chine annonce un nouvel investissement de 48 milliards de dollars dans son fonds d’investissement principal, le « National Integrated Circuit Industry Investment Fund ». Surnommé le « Big Fund », ce dernier a pour objectif de développer une chaîne d’approvisionnement autonome qui pourra être capable de contrer les restrictions commerciales imposées par le gouvernement américain. Il s’agit de la troisième phase de ce plan d’investissement qui enregistre un capital total d’environ 47 milliards de dollars répartis sur les deux premières phases en 2014 et 2019.
Zoé Le Guillou
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