SoutH2 Corridor : l’Algérie, clé de voûte de la transition énergétique européenne ?

L’Algérie, pilier stratégique du mix énergétique européen grâce à sa contribution aux importations d’hydrocarbures, s’apprête à amorcer une révolution énergétique. En exploitant pleinement son potentiel solaire et éolien, le plus grand pays d’Afrique ambitionne de devenir un leader des énergies renouvelables, avec l’hydrogène vert comme pilier central. Mais comment compte-t-il concrétiser ce virage ambitieux ?

Le projet SoutH2 Corridor est né d’une convergence d’intérêts stratégiques entre l’Algérie et plusieurs pays européens. Il vise à acheminer d’Algérie vers l’Europe près de 4 millions de tonnes d’hydrogène vert par an via un réseau de 3 300 km passant par la Tunisie. Il offre à l’Algérie et à la Tunisie une opportunité de valoriser leurs énergies renouvelables et à l’Europe un moyen de sécuriser et diversifier son approvisionnement énergétique.

Genèse, première soumission et relance

Le projet a été initialement soumis de manière formelle en décembre 2022, lorsque les partenaires européens – notamment Snam S.p.A. (Italie), Trans Austria Gasleitung (Autriche), Gas Connect Austria (Autriche) et Bayernets (Allemagne) – ont déposé leur demande de «Projet d’Intérêt Commun» (PCI) auprès de la Commission européenne, conformément au règlement TEN-E. Cette première soumission visait à obtenir un soutien financier et institutionnel pour transformer l’idée en un projet concret. 

Par la suite, lors d’une visite en Algérie en janvier 2023, la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, et le président algérien Abdelmadjid Tebboune ont évoqué la relance du projet, renforçant ainsi la dynamique initiée en décembre 2022. Près d’un an et demi après, en juillet 2024, Sonatrach – leader algérien de l’énergie – et ses partenaires européens, se sont réunis à Alger pour signer un protocole d’accord actant le lancement des études de faisabilité du projet

Enfin, le 21 janvier dernier, lors d’une session ministérielle à Alger, les ministres des principaux états partenaires (Algérie, Italie, Allemagne, Autriche et Tunisie) ont signé une déclaration commune d’intentions politiques pour le SoutH2 Corridor, engageant ainsi une coopération renforcée pour finaliser le cadre juridique et mobiliser les investissements nécessaires. Un groupe de travail quinquepartite a été mis en place pour coordonner les actions et accélérer le développement des infrastructures de production et de transport d’hydrogène vert. Cet avancement démontre l’engagement ferme des pays partenaires à réaliser ce projet. 

Pourquoi l’Algérie ?

En vertu de son ensoleillement quasi permanent et de son potentiel éolien conséquent, l’Algérie bénéficie d’un coût de production d’électricité renouvelable particulièrement bas, ce qui se traduit par des coûts de production d’hydrogène vert très compétitifs. Par exemple, selon une étude récente publiée par Elkhabar, le coût de production en Algérie est estimé à environ 0,76 dollar par kilogramme. Lorsqu’on y ajoute le coût de transport – évalué à environ 0,22 dollar par kilogramme – le coût total de livraison s’établit autour de 0,98 dollar par kilogramme. 

À titre de comparaison, en Europe, les coûts de production de l’hydrogène vert se situent généralement entre 2,5 et 4,0 dollars par kilogramme, voire plus, en raison de coûts d’électricité plus élevés et de contraintes liées aux infrastructures moins favorables. Cet écart, allant de deux à trois fois moins cher, positionne l’Algérie comme un acteur majeur et compétitif sur le marché mondial de l’hydrogène vert.De plus, la position géostratégique de l’Algérie, en bordure de la Méditerranée, facilite le raccordement aux réseaux européens existants, tout en s’appuyant sur une infrastructure gazière éprouvée dans les régions de Hassi R’mel et Hassi Messaoud

Un projet phare dans le paysage mondial de l’hydrogène vert

Le SoutH2 Corridor s’inscrit dans une dynamique mondiale de développement de projets liés à la production d’hydrogène vert. Alors que d’autres initiatives, telles qu’Ambition HyDeal ou NortH2 aux Pays-Bas, visent principalement une production locale ou régionale, le SoutH2 Corridor se distingue par son ambition exportatrice et par la coordination d’acteurs provenant de différents continents. En reliant directement l’Afrique du Nord aux principaux pôles industriels européens, il se positionne comme l’un des projets les plus ambitieux tant par son volume que par ses implications géopolitiques.

Un corridor qui redessine la carte énergétique euro-méditerranéenne

Face aux défis du changement climatique et à la nécessité de diversifier les sources d’énergie, le projet SoutH2 Corridor s’impose comme une infrastructure clé pour l’avenir énergétique de l’Europe. Cet hydrogénoduc ambitionne de transporter jusqu’à quatre millions de tonnes d’hydrogène vert par an depuis l’Algérie vers l’Europe centrale, en passant par la Tunisie, l’Italie et l’Autriche, avant d’atteindre l’Allemagne. Il s’inscrit pleinement dans les objectifs du programme REPowerEU, lancé par la Commission européenne pour accélérer la transition énergétique et réduire la dépendance aux combustibles fossiles. L’hydrogène vert, produit à partir de sources renouvelables, joue un rôle central dans cette stratégie, qui vise une Europe décarbonée et énergétiquement souveraine d’ici 2050. Selon les prévisions, cette énergie pourrait représenter jusqu’à 20 % du mix énergétique de l’Union européenne à cette échéance.

L’Algérie, grâce à ses vastes ressources solaires et éoliennes, deviendra le principal fournisseur d’hydrogène vert pour ce corridor. La Tunisie, en tant que pays de transit, bénéficiera d’investissements pour moderniser ses infrastructures énergétiques, renforçant ainsi son rôle dans l’intégration énergétique régionale. L’Italie, qui occupe une position centrale sur le tracé, ambitionne de devenir un hub de distribution pour l’hydrogène en Europe. L’Autriche et l’Allemagne, parmi les principaux consommateurs attendus, comptent sur ce projet pour atteindre leurs objectifs de réduction des émissions de CO₂ et sécuriser leur approvisionnement énergétique.

Par ailleurs, le projet mobilise également des acteurs majeurs du secteur de l’énergie. En Algérie, Sonatrach et Sonelgaz seront impliqués dans la production et l’exportation de l’hydrogène vert. En Italie, Snam S.p.A., leader du transport de gaz, travaille sur l’adaptation des infrastructures pour intégrer l’hydrogène. En Autriche, Gas Connect Austria et Trans Austria Gasleitung GmbH participent à la modernisation du réseau, tandis qu’en Allemagne, Bayernets GmbH joue un rôle clé dans la distribution finale de l’hydrogène. L’implication de ces entreprises garantit une mise en œuvre efficace du corridor et sa compatibilité avec les réseaux gaziers européens existants.

L’Arabie saoudite s’invite dans le jeu : partenariat ou rivalité ?

L’un des développements récents concernant le SoutH2 Corridor est l’intérêt croissant de l’Arabie saoudite pour ce projet. Le royaume négocie actuellement avec l’Italie afin d’acheminer son propre hydrogène vert vers l’Europe via cette infrastructure. L’Arabie saoudite s’est positionnée comme un acteur majeur du secteur avec des projets d’envergure tels que NEOM, une mégapole futuriste qui ambitionne de produire 600 tonnes d’hydrogène vert par jour dès 2026.

Bien que susceptible d’offrir à l’Europe une plus grande diversification de ses sources d’approvisionnement, cette initiative soulève néanmoins la question d’une concurrence directe avec l’Algérie. En effet, le pays nord-africain, bénéficiant de coûts de production nettement inférieurs et d’une situation géostratégique avantageuse, occupe déjà une place de choix dans ce corridor. Par ailleurs, le transport de l’hydrogène saoudien nécessiterait une logistique maritime supplémentaire, engendrant potentiellement des surcoûts. Ainsi, l’intégration de l’Arabie Saoudite au projet reste à suivre. 

Un pari technologique et économique

Le SoutH2 Corridor offre de nombreux avantages aux acteurs impliqués. L’utilisation d’infrastructures existantes, notamment des gazoducs reconvertis en hydrogénoducs, permet de réduire les coûts et d’accélérer le déploiement du projet. La sécurité énergétique de l’Europe se trouve renforcée par la diversification des sources d’approvisionnement, tout en favorisant la réduction des émissions de CO₂. L’Algérie et la Tunisie, en tant que pays producteurs et de transit, bénéficient quant à elles d’opportunités économiques et technologiques majeures grâce aux investissements européens.

L’enjeu va bien au-delà de la simple exportation d’hydrogène. Il s’agit avant tout de construire une infrastructure robuste et durable, capable de satisfaire les exigences d’une transition énergétique accélérée. Pour cela, le projet vise à déployer des stations de production de pointe, moderniser les pipelines existants et instaurer un cadre réglementaire adapté. Bien que cette ambition requiert des investissements considérables, les retombées économiques et géopolitiques pourraient largement compenser ces coûts. 

Un levier stratégique pour redéfinir les relations algéro-européennes

Le SoutH2 Corridor ne se limite pas à un projet énergétique ; il s’inscrit dans une dynamique plus large de reconfiguration des relations entre l’Algérie et l’Europe. En offrant à l’Algérie une opportunité de diversification économique et à l’Europe une source d’hydrogène vert compétitive, ce projet pourrait servir de levier diplomatique majeur dans le cadre de la révision des accords entre Alger et Bruxelles. En plus de jouer un rôle clé dans la transition énergétique, ce projet vise à redéfinir les relations économiques entre l’Algérie et l’Union européenne. Il ne s’agit plus simplement d’un flux unidirectionnel d’exportations vers l’Europe, mais d’un véritable échange technologique et industriel durable.

Amin Boukhari pour le Club droit AEGE

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