L’agriculture n’échappe pas à la « disruption » de l’économie numérique : on voit émerger aujourd’hui de nombreuses applications logicielles dans le secteur agricole qui permettent une rationalisation de l’exploitation et une augmentation de la productivité. Traite des vaches, irrigation, usage des fertilisants ou alimentation des animaux, le digital est partout. Bienvenue dans la ferme connectée !
La révolution digitale en agriculture va au-delà de la simple automatisation et robotisation (comme celle de la traite laitière) amorcée depuis les années 1960. Elle découle des NTIC, dont les potentialités ne se sont déployées pleinement dans la sphère économique qu’à partir des années 2000.
Objets connectés, logiciels et agriculture
Ainsi l’agriculteur peut connecter à Internet ses tracteurs, moissonneuses-batteuses, semoirs ou pulvérisateurs. Une telle mise en réseau lui permet de mémoriser, commander et centraliser les fonctions, les réglages et les données produites par la totalité de son parc de machines. A ces fins, des normes internationales telles que le protocole de communication standardisée Isobus – supportée par l’Agricultural Industry Electronics Foundation (AEF) -, permettent déjà à des machines agricoles de marques différentes de communiquer entre elles, autorisant une centralisation du traitement des données.
De la même manière, dans le domaine de l’élevage, des étables connectées et équipées de systèmes électroniques permettent d’identifier, de tracer, et de produire des informations sur chaque animal, permettant notamment une alimentation personnalisée – en fonction du poids, de la santé, ou de la période dans le cycle de lactation.
Cartographie agricole : capteurs intelligents et drones agricoles
Un autre exemple d’IoT au sein de la ferme est celui des sondes de mesures. Une entreprise comme l’américain Solum s’est spécialisé dans la vente de sondes enterrées, géolocalisées et connectées à Internet, qui mesurent l’humidité des sols et les taux de minéraux et de nitrates. Cela permet ensuite de visualiser ces paramètres en les superposant à des images satellite, et d’adapter l’irrigation et la fertilisation en les dosant de manière ciblée et différenciée entre les différentes parcelles.
Pour analyser des hectares entiers de terres agricoles, la start-up française Airinov a développé un système de cartographie agronomique par drone guidé automatiquement par GPS et qui mesure grâce à un capteur la surface de seuil, le taux de chlorophylle ou encore le taux d’azote.
Production raisonnée et agriculture de précision
L’économie informationnelle a vocation à englober le secteur agricole, et ce dernier va progressivement prendre le visage d’une agriculture de la connaissance, et de la précision. En produisant des données précises et mises en ligne dans le cloud, l’agriculteur centralise l’information à tous les niveaux et peut gérer son exploitation en programmant, depuis son ordinateur, l’écosystème (humidité, nutrition) des plantes qu’il cultive, à l’aide de farm management softwares. Il peut ensuite combiner les données produites depuis son champ avec des données extérieures (prévisions météo, cours boursiers des produits agricoles). Enfin, des outils d’aide à la décision, reposant sur les données recueillies et sur des modèles mathématiques d’interprétation, indiquent à l’exploitant quand il pourra faire sa récolte et à quel prix il la vendra.
Avec ce genre de dispositifs, les rendements agricoles sont accrus grâce à une irrigation et des apports en intrants ciblés, adaptés, et surtout limités aux besoins naturels des plants. Cela réduit le gaspillage en eau, limite l’usage excessif de pesticides et la pollution qui y est associée, et permet de réduire l’utilisation des engrais et donc de réduire les coûts (l’engrais représente par exemple le premier poste de dépense dans la culture du blé, devant le gazole et les frais de personnel).
L’enjeu de la propriété des données
Par conséquent, la maîtrise des données sur le vivant sera stratégique à mesure que les agriculteurs se saisissent des outils des NTIC.
La détention et la protection de ces grandes quantités de données générées à propos des sols, des plants, des animaux, des machines et des conditions environnementales, et ce par les objets connectés, est un enjeu majeur. Qui détiendra ces données ? Seront-elles revendues à des tiers ? La question est sensible lorsque l’on sait que les données peuvent intéresser tant les assureurs que les fournisseurs auprès de qui se ravitaillent les agriculteurs en produit.
De plus, le métier d’agriculteur pourrait devenir à long terme une simple fonction de sous-traitant du propriétaire de ces données collectées. Ce dernier émettrait des consignes à l’ouvrier agricole et gérerait à distance l’exploitation. L’intuition et l’expérience qu’un agriculteur avait de son terrain et de son métier, qui jouait auparavant un rôle essentiel, sont condamnées à se faire remplacer par des données objectives, mesurées et traitées par de l’informatique. C’est pourquoi les données recueillies auprès des exploitations individuelles sont précieuses et doivent rester la propriété de l’agriculteur : c’est ce qu’a estimé en janvier 2014 l’American Farm Bureau Association.
Anonymisées, ces bases de données ne restent cependant pas confinées aux exploitations. Des projets de « big data » sont actuellement à l’étude pour remonter, par exemple, les données de traite à l’échelon national. Ces traitements de données en masse pourraient servir pour affiner des schémas de sélection génétique et de production accélérée de cultivars hybrides, ou de préventions de propagation de maladies ou de parasites, grâce notamment à des supercalculateurs comme Watson d’IBM.
Un enjeu stratégique mondial : la production et le traitement de la donnée agricole
Les technologies de collecte et de traitement de l’information offrent des perspectives d’économies de plusieurs dizaines de milliards de dollars grâce aux outils d’optimisation, de rationalisation, et de ciblage offerts par les TIC. Elles signent une rupture dans l’histoire agricole après une longue période d’industrialisation et d’uniformisation des techniques agricoles et de la variété génétique des cultivars depuis la révolution verte de la deuxième moitié du 20e siècle. L’agriculture a désormais vocation à revenir à une approche plus locale et différenciée grâce à la prise en compte des données sur l’environnement des exploitations.