L’Usine du Futur : Une révolution informationnelle et technologique

Á l’origine d’une nouvelle révolution industrielle, les technologies de l’usine du futur constituent une rupture stratégique bien perçue par la France, qui s’efforce de combler son retard vis-à-vis de ses principaux concurrents industriels.

L’usine du futur ou usine 4.0 se définit comme un bouleversement des processus de production induit par les innovations liées à internet et aux technologies du numérique. Pour Stephan Biller, directeur de la recherche chez General Electric, « nous sommes en train de vivre un changement de paradigme aussi important que celui de la chaîne de production d’Henry Ford. L’information en temps réel va révolutionner l’industrie manufacturière, dans tous les secteurs ».

La maitrise des flux d’information est au cœur de l’usine 4.0. Grâce à l’adjonction de puces de radio-identification (RFID) tout produit devient un émetteur d’information permettant aux machines intelligentes de s’adapter en fonction des données transmises. Les outils de production, connectés au réseau, s’échangent de l’information et la retransmettent à l’opérateur humain qui contrôle le processus. Adaptable, ce processus de production peut rapidement être reconfiguré en fonction des besoins du client ou des changements de conception du produit. Tous les acteurs étant connectés entre eux, la vitesse de collecte et d’échange de l’information est proche de l’instantané. Le volume massif de données stockées permet alors de se livrer à des analyses prédictives grâce aux technologies issues du big data.

Réalisation de l’auteur

Les multiples bénéfices de ces innovations, notamment en termes de productivité, permettent de compenser l’importance des investissements consentis. Ainsi Turbomeca, leader mondial des turbines d’hélicoptère, a inauguré en 2010, près de son siège de Bordes, une usine adaptable et collaborative pour un investissement de 100 millions d’euros, équivalant à 10 % de son chiffre d’affaires annuel. En contrepartie, la productivité a augmenté de 50 % et l’entreprise estime pouvoir encore abaisser la durée du cycle de production de 30 %.

Les efforts français et européens

Dans le domaine industriel, la France s’efforce de combler un important retard. Suite à la crise économique, la production industrielle française a chuté jusqu’à atteindre en 2014 son niveau de 1994. En outre, le taux de robotisation des industries nationales est cinq fois inférieur à celui de l’Allemagne et deux fois inférieur à celui de l’Italie. Même si l’âge moyen du parc industriel français s’élève à 19 ans, ce qui équivaut à celui de l’Allemagne, le cabinet Roland Berger estime que 34 % des industriels français évaluent leur propre outil de production comme pas ou peu compétitif.

Dans ce contexte la politique de reconquête industrielle française réserve une large place à l’usine 4.0. L’usine du futur est présente dans les 34 plans de la nouvelle France industrielle, à côtés d’autres projets apparentés, comme la réalité augmentée, la robotique, les objets connectés ou le big data. L’action de l’état se concentre sur quatre points :

  • Le développement de 20 lignes de production pilote, vitrines du savoir-faire français
  • Le lancement de projets de R&D aidés par l’Etat
  • La création d’un accompagnement méthodologique et financier pour les PMEs et ETIs
  • La mise en place de prêts par Bpifrance pour un montant d’1.2 milliards d’euro

Le développement de technologies liées à l’usine 4.0 est largement soutenu par l’Union Européenne. Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, souhaite consacrer 2 milliards d’euros sur dix ans à la recherche sur le thème de l’usine du futur avec l’ambition affichée de faire passer le poids de l’industrie dans le PIB européen de moins de 16 % aujourd’hui, à 20 % d’ici à 2020. En parallèle l’UE a alloué, en 2013, 34 millions d’euros au programme Horizon 2020 afin de construire des partenariats publics-privés dans le cadre de l’usine du futur.

Néanmoins les efforts français demeurent limités en comparaison des mesures prises par ses principaux concurrents. L’Allemagne, premier producteur industriel européen, a consacré 40 milliards d’euros de financement public à son projet d’industrie 4.0. Selon Bitkom, cet investissement devrait produire 20 milliards d’euros de ventes supplémentaires, d’ici à 2025, uniquement pour le secteur des machines-outils. De même, les Etats-Unis ont créés un plan « advance manufacturing » et financent plusieurs projets technologiques, notamment dans le domaine militaire, tels les exosquelettes.

Conséquences

L’usine du futur implique une évolution de la place de l’ouvrier dans l’usine ainsi que de nouvelles opportunités dues à l’accroissement de la productivité. L’augmentation du niveau de qualification nécessaire, de l’extension du type de taches accessibles à la robotique ainsi que l’automatisation réduisent les possibilités d’emplois non-qualifiés dans l’industrie. Néanmoins, les gains de productivités doivent permettre de concurrencer les industries à bas coût et de relocaliser des emplois industriels en Europe. Le président de Syrobo (syndicat français de la robotique) rappelle ainsi que les pays les plus robotisés, tel l’Allemagne ou le Japon, sont aussi ceux qui ont le moins de problème d’emploi.

Le risque inhérent à la numérisation des usines réside dans la protection des données. L’accroissement exponentiel du nombre d’objets connectés dans les processus de fabrication s’accompagne d’une production massive de données souvent insuffisamment protégées. Pour se protéger, plusieurs champions de l’usine 4.0 ont conclu des accords avec des entreprises spécialisées dans la sécurité tel l’allemand Siemens avec McAfee, filiale d’Intel.

En France, les pouvoirs publics ont pris la mesure du danger. Le dernier livre blanc de la défense considère les risques du cyberespace comme la deuxième menace pour la sécurité nationale. Pour parer à ce danger les entreprises sont aujourd’hui obligées de conduire des audits en sécurité informatique et de signaler toute attaque à l’ANSSI (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information). Celle-ci a aussi vu ses moyens augmenter : de 120 agents à sa création en 2009, ses effectifs devraient être portés à 500 en 2015.

En conclusion, investir dans les technologies de l’usine du futur est une opportunité de développer le potentiel industriel français doublée d’une absolue nécessité sous peine d’être technologiquement surpassé par nos principaux concurrents. Cette évolution est une nouvelle manifestation de la révolution des données et du numérique. La maitrise des flux d’information s’affirme comme le principal enjeu du XXIème siècle.

Maxime Fernandez