Santé connectée, entre nouvel Eldorado et boîte de Pandore

+1566 % …Ce pourcentage astronomique atteste de l’augmentation en trois ans des applications de santé smartphones et tablettes. Gadget sans grande utilité ou véritable big bang ? La réponse reste pour l’heure inconnue. Opportunités économiques, nouveau rapport à la médecine, risques juridiques et de confidentialité des données personnelles … Focus sur une révolution en marche.

Star incontournable de la Conférence LeWeb 2014, l’objet connecté est de loin une des grandes perspectives technologiques et économiques de demain. Avec plus de 15 milliards d’objets connectés recensés dans le monde en 2015, et une fenêtre de 80 à 100 milliards en 2020, le marché industriel et des services, y compris de la santé, ne peut plus faire l’économie de ces nouvelles pratiques et habitus. Ce marché, où la France se positionne comme un acteur de pointe, a représenté plus de 64 millions d’euros en 2013 et des milliers d’emplois.

Qu’est-ce qu’un objet connecté de santé ?

Selon une définition fournie par le Quotidien du Médecin dans son édition du 9 février 2015, « l’objet connecté de santé recueille des données automesurées transmises via Internet à un logiciel de traitement, en vue d’une analyse bénéfique à la santé et au bien-être de l’utilisateur ».

Issue de la mode américaine du « Quantified Self » née en Californie dans les années 2000, cette approche de la santé affiche surtout l’ambition d’améliorer le quotidien de son utilisateur, et non sa santé en elle-même.

Le développement économique et technologique de ces objets touche un public de plus en plus large, sans distinction d’âges ou de catégories socioprofessionnelles. Des « applis » existent ainsi pour les seniors, les femmes enceintes, les individus à petit budget qui souhaitent faire des courses tout en mangeant sain, les sportifs, les non sportifs, les enfants…

Les start-ups ont bien saisi l’enjeu économique de la santé connectée

Selon une étude réalisée en 2013 à l’occasion d’un rapport de l’Institut G9+, fédération de plus de 50 000 professionnels du numérique, les Français sont particulièrement friands d’objets connectés. Jouissant d’une couverture Internet excellente, préalable indispensable à la diffusion des objets connectés, le taux de pénétration de ces objets (smartphones essentiellement) est de 60%.

Internet voit ainsi chaque jour se créer de nouveaux sites, plateformes, rubriques dans des quotidiens, médias (etc.) relatifs à l’e-santé et à ses bienfaits. Allant de la balance à la montre, à l’analyseur de la qualité de l’air, aux capteurs nocturnes, aux outils d’aide à l’activité physique ou à la perte de poids, le développement de l’e-santé semble infini.

Plus rares, on voit apparaître des applications d’aide au diagnostic, davantage destinées aux médecins dans l’exercice de leur profession ou dans leur formation. Mais ce marché pourrait être le futur eldorado. Alors qu’Apple vient de lancer à grand coups de marketing son Apple Watch, la firme de Cupertino a annoncé la création d’un « Research Kit », un programme censé faciliter la recherche médicale, afin d’aider les chercheurs à créer des applications de santé plus performantes. Des partenariats sont même déjà conclus, avec la prestigieuse Oxford University, le Massachussts General Hospital ou encore Standford Medecine.

Si pour l’heure seuls 11% des foyers français reconnaissent posséder et utiliser de façon régulière des objets connectés relatifs à l’e-santé, 40% du même échantillon voient dans ces objets un progrès pour mieux se soigner et plus de 11 millions de Français estiment déjà s’équiper d’ici peu de tels objets.

Une révolution dans le rapport patient/médecin aux fortes conséquences économiques

De plus en plus d’individus à travers le monde voient les applications d’e-santé comme le futur de la médecine, ou du moins comme un complément utile du suivi médical. Le patient deviendrait davantage responsable de sa propre santé, et pourrait se positionner dans une démarche active vis-à-vis de son médecin.

Des start-ups, notamment françaises comme la Société Withings, ou encore iHealth et Fitbit, se sont positionnées sur ce marché très concurrentiel de la santé connectée à destination des professionnels, ou du moins à véritable usage médical pour l’utilisateur. Outils de diagnostic autonome, tensiomètre, glucomètre, bientôt des applis d’analyse de sang et de dépistage du VIH… Autant de champs d’application qui relèvent traditionnellement de la médecine pure et qui représentent une manne financière pour les quelques acteurs privilégiés qui ont saisi l’importance de ce marché en devenir. Afin d’y apporter une « caution scientifique », certaines sociétés concluent des partenariats avec des Hôpitaux ou de grandes laboratoires pharmaceutiques pour développer leurs produits.

Thierry Zylberberg, Directeur d’Orange Healthcare, également très actif dans le développement de l’e-santé, estime même que l’on assisterait à un « changement de paradigme des pratiques médicales ».

Les autorités publiques perçoivent l’enjeu que représente cette évolution. La Secrétaire d’Etat Axelle Lemaire a pris part à cet engouement, en appelant à lancer un grand débat public sur le sujet. L’Ordre National des Médecins lui-même, soutenu par le Ministère de la Santé, encourage dans son Livre Blanc de février 2015 le développement de ces nouveaux outils de diagnostic. Plus encore, l’Ordre soutiendrait même leur remboursement par la Sécurité sociale en cas de bénéfice médical avéré.

Et c’est bien là que les tensions se cristallisent. Ces objets connectés ont-ils une véritable efficience médicale ou ne sont-ils que des gadgets liés uniquement au bien-être et à l’hygiène de vie ? Dans un contexte de contraction budgétaire et d’explosion des dépenses de la Sécurité sociale, un tel remboursement à de quoi laisser interrogatif…

Zones d’ombre sur le cadre juridique et la protection des données personnelles

Comme souvent dans le monde des nouvelles technologies, l’euphorie de la nouveauté laisse rapidement place aux interrogations et aux inquiétudes, fondées ou non.

La santé est un marché juridiquement très régulé. A l’inverse, la sphère numérique caractérise à elle seule la dérégulation et le presque impossible contrôle de ce qui y transite.

Or, comme le soulève Nicolas Postel-Vinay, Directeur du site automesure.com, « tous les appareils de mesure ne pourront se prévaloir de répondre à la définition réglementaire d’un instrument médical ». La question du statut juridique et des conditions de vente de ces objets connectés reste donc en suspens.

Autre point qui pose problème, la question de la protection des données collectées. L’hébergement et l’accessibilité des données de santé répondent à une stricte exigence réglementaire, impulsée notamment par la CNIL ou le Centre d’Analyse Stratégique (CAS), et qui est fréquemment source de tension. Aujourd’hui encore, le nouveau projet de loi de réforme de la Santé de la Ministre Marisol Touraine et son article 47 qui traite de l’accès aux données de santé en Open Data fait l’objet de vives critiques par les professionnels de santé.

Les révélations du Financial Times en 2013 sur la publication à grande échelle de ces données collectées par des applis à de grands groupes commerciaux, des banques de données ou encore des agences de publicités et de marketing, douchent également les esprits.

Des questions de sécurité demeurent également, et notamment de cybersécurité. Comment être sûr que les applications et objets connectés soient suffisamment protégés des pirates informatiques voire de personnes malveillantes qui auraient la capacité de dérégler un pacemaker relié à Internet, et ainsi entrainer la mort ?

Irrémédiablement technologie et coutume de demain, la santé connectée reste pour l’heure source d’interrogations.

Johan CORNIOU-VERNET

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