Le 31 mai 2019 un protocole d’accord a été signé à Addis-Abeba, siège de l’Union africaine, entre Philippe Wang, vice-président de Huawei région Afrique du Nord, et Thomas Kwesi vice-président de la Commission d’Union africaine Quartey. Par ce biais, les gouvernements africains cherchent à réduire la fracture numérique. En effet, le nouvel accord, qui renforce leur partenariat en matière de TIC initié en 2015, prévoit l’installation du haut débit, l’internet des objets (IoT), la 5G, et l’intelligence artificielle (IA). Huawei, leader sur le marché se saisit de ce manque à gagner et conforte ainsi sa position de leader sur le continent africain mais également à l’échelle internationale.
L’État chinois et Huawei : coopération et puissance
D’un point de vue démographique, l’Afrique est le deuxième plus grand marché du monde après l’Asie, la population étant estimée à 2,5 milliards en 2050. La mise en place d’un tel déploiement permet d’ores et déjà le développement des secteurs clés pour les citoyens africains, tels que les domaines de la santé, des transports, mais aussi de l’énergie et les médias. Ainsi, l’Afrique devrait pouvoir être davantage connectée grâce au développement des TIC sur le continent. L’accord confère en outre une coopération dans les secteurs de cyber-sécurité, de la cyber-santé et de l’éducation en ligne. Mais il convient de noter qu’il octroie surtout à Huawei un avantage significatif car l’entreprise sera chargée de mettre en réseau tout le système numérique des États signataires.
Le protocole d’accord du mois de mai vient consolider la présence de Huawei en Afrique. Elle s’appuie sur des collaborateurs et une main d’œuvre chinoise en ayant recours à sa diaspora. A travers cette « expérience unique » selon Philippe Wang, cette nouvelle coopération peut être d’autant plus pertinente pour la Chine, puisque Huawei pourra accéder aux données, grâce à son installation des logiciels de renseignement sur ses équipements largement utilisés par le continent africain. Le gouvernement de Pékin pourrait alors bénéficier d’informations stratégiques qu’il juge essentielles. La firme se défend de ne pas être au service du gouvernement de Pékin, malgré le scandale lié à l’écoute à partir d’équipements installés par Huawei au siège de l’Union africaine.
Tout ce maillage répond à la logique de puissance chinoise, une fois de plus décuplée en s’immisçant dans un nouveau secteur – celui des télécommunications. Huawei s’insère à l’image de la Chine sur tous les fronts stratégiques dans le but de dominer tous les marchés et conserver sa position de force.
La stratégie offensive de Huawei
- Privilégier les accords bilatéraux
L’entièreté des accords signés par la Chine se fait de manière bilatérale : cela lui permet de négocier en imposant ses propres normes. Alors que les États disposant d’un PIB considérable comme le Maroc, le Nigéria, et l’Afrique du Sud attisent l’intérêt de Huawei, il ne s’agit pas seulement d’une prédation économique, mais d’une démarche plus stratégique.
La plupart des télécoms en Afrique sont publics, dès lors ce sont les gouvernements qui prennent les décisions et donnent la possibilité à Huawei d’accéder aux infrastructures de télécoms pour mettre en place la transformation digitale, tel que le permet l’accord de partenariat signé entre Telecom Égypte et Huawei pour la plateforme de données sur le cloud.
De même le télécom Camtel – à travers le gouvernement camerounais et Huawei – a contracté un partenariat auprès du Centre national de commandement et de supervision de vidéosurveillance. La firme va alors apporter un support technique. Bien que ce partenariat soit dans le but de veiller à une éventuelle agitation sociale, il sera opportun pour la firme. C’est également dans cette logique que s’inscrit le partenariat entre Huawei et les gouvernements ougandais et zambien. Le matériel vendu par la firme n’était autre que des caméras de vidéosurveillance.
Bien que Huawei dispose d’un accès garanti, les gouvernements africains y trouvent également leur compte dans l’avancée technologique. Ils laissent la porte ouverte à ces échanges. En voulant être en alerte constante pour contrecarrer tout risque éventuel (terroriste par exemple), ils coopèrent avec Huawei, firme chinoise à la pointe de la surveillance à travers la reconnaissance faciale, qui apporte son soutien technique.
- Être sur tous les fronts
Huawei a élargi sa sphère de compétences en s’affirmant sur le marché international et a fourni un plus large éventail de services incluant la donnée.
Au cours du premier sommet Huawei Egypt Oil & Gas les 23 au 24 décembre 2019, Huawei a mis en avant sa volonté de s’insérer dans le secteur énergétique en Egypte (Huawei Egypt Oil & Gas), à travers des campus intelligents, des centres de données cloud et des réseaux de transmission. L’entreprise souhaite appliquer son savoir-faire dans la numérisation au secteur de l’énergie. Seth Xu, le Directeur de l’industrie énergétique de Huawei pour l’Afrique du Nord, souhaite être impliqué dans la construction de la modernisation des industries pétrolières et gazières en améliorant l’efficacité et la sécurité de la production, conjuguée à la construction de systèmes informatiques, le tout en favorisant la culture des talents numériques autour de ces domaines.
Au Maroc l’heure est à la réflexion pour la création d’un data center propre à Huawei, et pour le moment l’entreprise s’appuie sur les data center partenaires. Elle peut donc facilement réceptionner les informations qu’elle juge pertinentes mais elle n’en a pas le monopole.
- Une formation académique standardisée
Huawei finance des programmes de formation en Chine (Huawei ICT Academy) pour des étudiants en informatique partout dans le monde. Ce financement s’inscrit dans la concrétisation d’accord bilatéraux officiels entre Huawei et les États cosignataires, tel que le Programme Tunisian Seeds for the future. Ces programmes de formation exercent une influence cognitive sur les étudiants qui y participent, à laquelle s’ajoute une influence technique, grâce à une standardisation.
La signature du protocole d’accord dans le siège de l’UA démontre que Huawei continue de séduire ses partenaires africains et poursuivant et en renforcant les coopérations. Alors que les stratégies mises en place par Huawei corroborent à son rayonnement, l’Afrique représente une opportunité protéiforme. Si les gouvernements africains souhaitent réduire la fracture numérique, sont-ils pour autant attentifs au risque auxquels ils sont exposés en laissant à Huawei le libre accès aux infrastructures abritant des informations stratégiques ?
Laurène MONTALBANO
Club Afrique