L’implication des cryptomonnaies dans l’environnement concurrentiel contemporain nécessite une analyse approfondie des terrains d’affrontement dans lesquels peut être déployé ce type de technologies. L’engouement et les dérives suscités par l’apparition des cryptomonnaies peut en effet voiler les possibilités pour les États de se saisir de cet instrument comme d’un moyen d’action sur les dynamiques et les rapports de force actuels.
Un nouveau contexte monétaire
La monnaie est un bien souverain de l’État, traditionnellement émise et gérée par les acteurs publics. L’autorité que possède l’État, et sa légitimité à imposer un monopole monétaire, sont pourtant remises en cause par l’apparition des cryptomonnaies. De ce fait, la dualité entre un marché privé et un marché public monétaire engendre de nouvelles dynamiques de concurrence entre ces types de monnaie. Cette mise en concurrence de la monnaie affaiblit son monopole et son influence sur son marché, devenant dès lors un outil de déstabilisation féroce.
La mise en concurrence d’une devise nationale avec des cryptomonnaies permet de l’affaiblir, de la dévaluer, d’en amoindrir sa légitimité et ainsi de toucher durablement une part du pouvoir étatique. La monnaie, en dehors de son rôle purement économique, est aussi un moyen de cohésion et de stabilité sociale et politique. Cette mise en concurrence fait pression sur la souveraineté des États. C’est le cas de la Banque centrale européenne, qui, d’après ses dernières annonces, semble vouloir se substituer au rôle des banques nationales dans l’émission et la production de monnaie au travers des monnaies numériques (CBDC). Un transfert de souveraineté s’opère entre l’échelle nationale et supranationale.
Une triple révolution financière
La blockchain, technologie sous-jacente aux cryptomonnaies, impose une triple évolution du secteur de la finance. Les mutations opérées sur le marché traditionnel sont d’ordre technologique, structurel et organisationnel. De nouveaux actifs financiers voient le jour, principalement issus des cryptomonnaies et de ce que l’on nomme des crypto-actifs. Ce sont plus généralement des actifs reposant sur l’emploi d’une blockchain, à savoir les cryptomonnaies, les tokens, les NFT et les stablecoins.
De nouveaux acteurs supplantent alors les missions des institutions financières et bancaires traditionnelles. Ce sont de nouvelles entreprises qui développent une offre de service fondée sur l’emploi des cryptomonnaies et des blockchains, ou des entreprises existantes qui souhaitent diversifier leur commerce (Apple, Alibaba, etc) en proposant des services de paiement alternatifs. L’organisation des entreprises change de modèle et se fonde sur une organisation décentralisée sans propriétés proprement définies. Le recours à des intermédiaires est supprimé, en partie grâce à l’emploi de smart contract permettant d’établir virtuellement un contrat sur une base codée. La légitimation des structures s’établit dès lors par leur construction mathématique et leur réputation sociale, avec un recours minimal au droit traditionnel.
L’écosystème financier sous-jacent aux cryptomonnaies attire de nombreux acteurs profitant de l’essor d’un marché financier non régulé, et en partie indépendant des opérateurs traditionnels (autorités administratives, banques, etc). L’apparition d’un nouveau marché permet aux différentes parties prenantes de déployer leur influence économique et politique, à l’image de la finance islamique qui s’y déploie massivement.
Si le marché des cryptomonnaies cherche à s’auto-réguler afin de tendre vers un système stable, les acteurs traditionnels influencent aussi cette régulation qui ne peut échapper à une intégration partielle au système financier actuel. En se positionnant tôt sur ce secteur, les acteurs participent à sa structuration et à l’établissement de ses normes ; et qui tient la norme tient le marché.
La construction d’un modèle économique d’offre de services fondé sur l’utilisation des cryptomonnaies
Les cryptomonnaies faisant office de « monnaie numérique » sont un levier d’action monétaire au sein des écosystèmes qu’ils constituent. Les systèmes de blockchains sur lesquels se fondent une offre de service traditionnelle déploient leur gouvernance et leurs modèles économiques autour de l’utilisation de ces monnaies numériques. Par exemple, la blockchain Ethereum constitue la structure d’une place de marché sur laquelle des entreprises vont développer leurs services. La possession de monnaie (cryptomonnaie) dédiée à Ethereum (ETH) permet ainsi de gouverner le système sous-jacent et d’influencer l’offre de service construite par-dessus. C’est un modèle équivalent à l’achat d’actions d’une entreprise. L’interconnexion des blockchains entre elles et l’importance que revêt la structure mère (exemple d’ETH) rend la possession de crypto-actifs d’autant plus importante.
La nouvelle bête noire des sanctions internationales ?
Les cryptomonnaies peuvent être utilisées pour échapper aux sanctions internationales. En se passant du système de paiement traditionnel, les contrôles effectués par les banques commerciales, ainsi que les possibilités pour les services de renseignements de tracer les échanges diminuent grandement. L’Iran a décidé d’utiliser les cryptomonnaies comme monnaie d’échange de certains produits comme le gaz et le pétrole. C’est également une manière de se protéger des mesures d’extraterritorialité du droit américain en se passant du dollar.
Les acteurs non étatiques malveillants ont été, pour la plupart, précurseurs dans l’intégration de ces technologies dans leur fonctionnement. Les organisations criminelles transnationales, les réseaux terroristes, les milices insurgées, les hacktivistes ainsi que les forces séparatistes se sont saisi de l’opportunité que représentent l’absence de contrôle, de régulation et la facilité d’utilisation de ces nouveaux moyens de paiement. Pour autant, les pays émergents, des associations à but non lucratif, des pays concurrents au dollar, ainsi que des acteurs privés considèrent de plus en plus les opportunités inhérentes aux cryptomonnaies et aux blockchains. Ce faisant, la nécessité d’une réglementation internationale et nationale devient un enjeu de légitimation auprès des instances de contrôle. Tel l’Iran, un cadre légal permet l’utilisation de ces outils de manière officielle, se détachant en cela d’organisations criminelles.
Tom Charpentier
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