Le programme russe de Centrales Nucléaires Flottantes a déjà fait l’objet d’un article du Portail de l’IE, mais pour compléter celui-ci, il semblait nécessaire de mettre en lumière le potentiel d’exportation des CNF russes.
Les différentes applications de la plateforme
La Centrale Nucléaire Flottante (CNF) a pour objectif premier de fournir l'énergie électrique et propose une rentabilité au niveau du coût de l'électricité produite. Pour comparaison, le coût de l'électricité produit à partir d'énergie fossile dans une ville telle que Tiksi (6 000 habitants), est de 12 roubles par KWh soit 0,49 dollars alors que la centrale nucléaire flottante pourrait fournir l'électricité sur une base de 0,04 dollars le KWh, soit 1,1 roubles. Le prix de l'énergie apparait attractif et c'est une énergie qui ne dégage pas de gaz à effet de serre, ce sont les premiers atouts que pourrait mettre en avant la Russie dans le cadre d'une stratégie d'importation.
Le deuxième atout de la CNF est la possibilité de désaliniser l'eau de mer et ainsi d'approvisionner en eau potable des régions qui en seraient dépourvues. Cela n'est pas une innovation technologique mais le fait de coupler cette technologie avec la production d'électricité et la mobilité de la barge flottante permet à la Russie une capacité de projection importante notamment pour les débouchés à l'export. Outre les pays émergents, la Russie cible ainsi les pays en pénurie d'eau ou qui le seront dans les prochaines années.
En permettant le dessalement de l'eau, la Russie touche par son projet des Etats qui structurellement manquement d'eau et ont les moyens d'investir dans la location d'une CNF, soit par des ressources financières importantes, soit par le biais d'échanges en ressources naturelles tel du pétrole ou du gaz, mécanisme déjà pratiqué par Rosoboronexport lors de package deal avec des Etats comme le Venezuela, l'Algérie ou encore l'Iran. Le marché de l'eau devrait atteindre, d'après les prévisions de l'AIEA prés de 12 milliards de dollars en 2015.
Le projet de CNF bénéficie également du secteur privé. Le projet russe soulève en effet l'intérêt des entreprises, notamment celle du secteur de l'énergie. Les CNF pourraient très bien alimenter des plateformes pétrolières/ gazières au large. Parmi les 7 centrales actuellement en construction prévues par Rosatom, 5 d'entres-elles doivent aller à Gazprom pour l'exploitation de gisements de gaz et de pétrole dans la région de Kola et dans la péninsule de Yamal. Outre Gazprom, plusieurs entreprises étrangères du secteur de l'énergie ont souligné leur intérêt pour une telle technologie. Les CNF permettent en effet d'économiser prés de 100 000 tonnes de fuel par an et 200 000 tonnes de charbon. Par ailleurs, elles sont autonomes et ne doivent être réalimentées en uranium que tous les 12 ans pour une durée de vie globale de 38 ans. Un atout majeur pour les entreprises. Plusieurs d’entre elles, telles que Shell, Toshiba ou encore Westinghouse étudient également des projets de ce type pour alimenter leurs installations et sécuriser leur approvisionnement énergétiques.
Outre les applications civiles, il n'est pas exclu que les CNF puissent être utilisées pour alimenter en énergie une armée qui serait sur un théâtre d'opérations extérieures. Une telle plateforme pourrait ainsi alimenter en eau et en électricité une armée de plusieurs dizaines de milliers d'hommes, une capacité de projection non négligeable. Les USA avaient d'ailleurs déjà utilisé une centrale nucléaire flottante, baptisée MH-1A, installée sur un navire et qui a fonctionné de 1968 à 1975 pour l'armée américaine, dans la région du canal de Panama.
La stratégie d'exportation et les débouchés
Prés d'une vingtaine d'Etats ce sont déclarés intéressés par le projet. Néanmoins, après la catastrophe de Fukushima, l'engouement pour ce type de ressource énergétique a été quelque peu atténué. Parmi les Etats les plus intéressés on notera, l'Inde, la Chine, l'Indonésie, l'Afrique du Sud, les îles du Cap Vert, l'Argentine ou encore la Namibie. Les CNF sont facilement exportables, néanmoins la Russie a structuré son offre de telle manière que celle-ci respecte ses engagements internationaux en matières de non prolifération nucléaire.
La Russie utilise tout d'abord les spécificités techniques du produit pour justement contourner les traités de non prolifération nucléaire signés. Le combustible utilisé, l'uranium n'est enrichi qu'a 14% ce qui est en dessous de la limite des 20% , permettant une utilisation militaire de l'uranium.
Pour l'exportation de ce produit, la Russie se base sur un manque de normes internationales en la matière et parvient à utiliser les normes actuelles à son avantage pour élaborer sa stratégie d'exportation. La Russie n'a en effet, pas prévu de vendre les CNF. Elle fournira juste la location de la CNF et fournira comme produit de vente l'électricité. Par ailleurs, la CNF restera sous pavillon russe amarrée au port. Plusieurs arguments juridiques lui permettent ainsi de contourner les désaccords du Nuclear Supplier Group (NSG) ou les normes de non prolifération. Tout d'abord, la technologie nucléaire utilisée, l'est à titre purement civil et comme le précise l'article IV du TNP, il est un droit inaliénable pour toutes parties au traité de développer la recherche, production et utilisation de l'énergie nucléaire à des fins pacifiques à partir du moment ou les articles I et II sont respectés. L'article I précise ainsi qu'un Etat possédant l'arme nucléaire ne doit pas transférer, indirectement ou directement un dispositif nucléaire explosif. Une CNF pourrait-elle indirectement devenir un dispositif nucléaire explosif aux mains de terroristes? C'est une question que pourront se poser les juristes du NSG. L'article I, interdit également tout contrôle par un autre Etat de tels dispositifs. Mais la ou la Russie à su manier à son avantage la convention de Montego Bay qui régit le droit de la mer, c'est que la CNF sera toujours sous son contrôle car sous son pavillon. Et comme le précise la convention à son article 91, la nationalité des navires est déterminée par la loi du pavillon. En étant sous pavillon Russe, la CNF verra l'application de la législation russe et créera dans les ports dans lesquels elle se trouvera une certaine forme d'extra-territorialité. L'article 94 précise par ailleurs l'obligation de l'Etat du pavillon qui sera d'exercer sur le navire le contrôle sur toute question technique, administrative ou sociale. En déclarant la CNF, sous son pavillon, la Russie renforce son emprise sur cette technologie mais également sa responsabilité si une catastrophe devait arriver, comme le précise le §3 de l'article 94.
La sureté en question
Plusieurs risques apparaissent dans le cadre du projet russe, des risques pour l'environnement tout d'abord lors d'un tsunami. Quelle est l'assurance qu'une CNF ne se transforme pas en missile nucléaire propulsé par la vague ? Par ailleurs, la question de la solidité de la coque se pose, l'USS Cole était censé résister à une charge explosive, de même que le Titanic était censé être insubmersible, aujourd'hui plusieurs experts mettent en doute la solidité de la coque d'une CNF si elle devait subir une attaque terroriste. Selon les dires de Rosatom, la CNF devrait en théorie résister à un crash de Boeing 747. Certains experts estiment que les CNF ne prévoient pas réellement d'enceinte de confinement ce qui serait un véritable danger en cas d'incident nucléaire. Plusieurs ONG telles que Green Cross Russia ont dénoncé dès 2004 le projet de Centrales nucléaires flottantes, l'ONG a notamment fait une liste exhaustive des incidents graves ayant impliqué des réacteurs de type KLT-40S mettant ainsi en doute leur fiabilité. Certains experts travaillant aux côtés du Nuclear Supplier Group dénoncent le manque de législation permettant ainsi à la Russie de participer indirectement à la prolifération.
Si la Russie utilise son savoir-faire en matière de propulsion nucléaire pour fournir des solutions adaptée aux pays émergents, la France possède elle aussi des atouts dans le domaine. Avec DCNS, Areva ou encore EDF, la France dispose de leaders mondiaux capables de concurrencer la technologie russe. Par ailleurs, ces sociétés bénéficient d'une image associée à la sécurité et la stabilité ce qui n'est pas forcément le cas de la filière nucléaire russe.
La France à toute la capacité pour concurrencer le projet russe. Outre le projet Flexblue de DCNS, Areva et Mitsubishi pourraient trouver en l'ATMEA I un alternatif pour les pays émergents à la solution russe.
Mathieu Dupressoir