Une stratégie pharmaceutique adaptée aux BRIC+s, l’exemple de Sanofi en Afrique

Entre le 17 et 20 novembre 2013 s’ouvre à Durban le CLIPDC – Creating and Leveraging Intellectual Property in Developing Countries. Cet évènement, combinant cycles de conférences et formations entrepreneuriales, compte rassembler quelques centaines de participants travaillant autour des secteurs industriels, publics comme privés.

Soutenu par le gouvernement de J. Zuma mais aussi suivi de très près par les autres membres des BRIC+ Afrique du Sud et ses homologues africains, l’objectif est clair : il s’agit de revoir l’ensemble des politiques en matière de propriété intellectuelle avec en ligne de mire les secteurs informatique et pharmaceutique. Cette attaque suit de près une première offensive datant du 4 septembre 2013 où le South African Departement of Trade and Industry (DTI) publie le pré-projet concernant la nouvelle politique en matière de propriété intellectuelle en prenant exemple sur les législations des pays émergent, l’Inde en tête. Vérification approfondie des nouveaux brevets, fin des monopoles sur certains médicaments avec en conséquence une baisse significative des prix par le jeu de la concurrence. Avec l’écho possible sur tout le continent africain, la fin de l’exclusivité des brevets est-elle annoncée ? On serait alors porté à croire que Sanofi, plus que les autres Big Pharma, soit en première ligne pour s’insurger des ambitions sud-africaines. Or à l’inverse, Sanofi va mettre une politique de production de génériques sur le continent africain en s’appuyant sur les stratégies de puissance mises en place par les BRIC+Afrique du Sud et sur son image de firme française et éthique.

Forte d’un chiffre d’affaire en Afrique de 531 millions d’euros au troisième semestre 2013, Sanofi est la première industrie pharmaceutique implantée sur le continent africain. Confrontée depuis 2012 à la perte d’exclusivité de médicaments phares, la firme a notamment recruté en début d’année Robert Deberardine – spécialiste en stratégie sur les brevets à l’international. Cependant, que ce soit dans les recherches de commentaires autour du projet de loi, comme dans les listes des participants officiels du CLIPDC, il n’est pas possible de constater la présence de représentants de l’entreprise. A l’inverse, Pfizer est l’un des sponsors du cycle de conférence en partenariat avec le DTI. Cette non-présence nous semble en réalité avancer une toute autre stratégie qui s’intègre dans une vision plus large que l’espace africain uniquement.

Il convient tout d’abord d’observer le fait que Sanofi, 4e au rang des Big Pharma, est première dans l’ensemble des marchés émergents (BRICs, Asie du Sud-Ouest et Afrique). Depuis l’arrivée en 2008 de son Directeur Général, Christopher A. Viehbacher, l’entreprise s’est axée dans une logique de diversification territoriale, enchainant les partenariats et les fusions-acquisitions (note Xerfi) afin d’étendre leur sphère économique et commerciale, s’axant sur une politique de renouvellement des brevets (relatif au code encore présent dans la plupart des pays émergents) ou de ciblage de nouveaux produits.

En s’implantant localement dans ces pays et en devenant l’un des acteurs majeurs dans ces zones, l’entreprise s’est alors développée non plus seulement dans le secteur des médicaments exclusifs, mais dans celui des génériques – comme peut en témoigner l’acquisition du n°1 des génériques brésilien Medley (2009). Vendus à moindre coût, ils représentent une part importante des ventes dans ces pays qui les privilégient par soucis d’égal accès aux médicaments et pour favoriser leurs intérêts nationaux : aucune des plus grandes firmes pharmaceutiques, ni aucun grand brevet n’en sont issus. En revanche l’émergence d’une nouvelle propriété intellectuelle en Afrique du Sud pourrait avoir un effet de contagion à moyen terme sur le continent africain et représenterait alors une vraie valeur ajoutée pour les BRIC+Afrique du Sud, l’Inde en tête concernant le secteur pharmaceutique.

En effet, Cipla Medpro, filiale récemment acquise par le géant indien du générique Cipla, est le 3e distributeur en Afrique du Sud et pourrait devenir plus important si les brevets concernant notamment les maladies infectieuses (VIH) tombaient dans le domaine public. Le Brésil quant à lui a exercé une réelle influence en direction de l’Afrique du Sud depuis quelques années, et compte sur les nombreux partenariats avec le gouvernement de J. Zuma pour accroitre son assise sur le continent.  Concernant la Chine et la Russie, la fin du monopole des Big Pharma constitue un excellent moyen d’étendre leur influence sur le sol africain ou dans l’opinion internationale en dénonçant notamment l’accès aux médicaments rendus inabordables par celles-ci. C’est précisément  cette combinaison entre intérêts nationaux des pays émergents et implantation diversifiée dans ces zones que convoite Sanofi qui va permettre d’expliquer la position de Sanofi concernant les transformations normatives sur les brevets en Afrique.

Implantée durablement dans les pays émergents et s’axant sur une politique non plus d’exclusivité (plus de blockbusters en 2015), Sanofi va profiter de sa position pour appuyer les demandes des pays émergents en participant activement à ce que les nouvelles normes passent. Sans blockbusters à protéger, à l’instar de Pfizer ; sans affiliation à des communautés de brevet sud-africaine comme GSK, la firme française a tout intérêt à freiner ces principaux concurrents internationaux. C’est ainsi qu’apparaît en mars 2012 la BRICS Medecines Alliances (BRICS-MA), organisation chargée de discuter et de réseauter sur les questions de santé et d’accès aux médicaments dans les pays émergents. Coordonnée par le  Dr. Sud-africain João Carapinha, consultant international en politiques de santé, chaque pays possède ces propres représentants (majoritairement des universitaires), et des personnalités associées à une thématique d’action (theme leaders) et de réflexion phare de BRICS-MA. Parmi ces personnalités figure Mme Shelley McGee, actuellement  analyste en politique de santé chez Sanofi South Africa, qui coordonne la thématique « Health insurance systems to improve medecines access ». Aucune autre n’est ici représentée.  Il est donc possible de déduire qu’une influence combinée entre le géant français et les représentants des intérêts des BRIC+ Afrique du Sud est effective, a minima au niveau de la prospective et du réseau.

Sanofi va aussi utiliser à son avantage son identification de firme française. Pour preuve,  le traitement médiatique de la firme par Médecins Sans Frontières (MSF). Critique à l’égard de beaucoup de ses concurrents (GSK, Merck), MSF offre plutôt une bonne image de Sanofi avec les partenariats  humanitaires que les deux entités françaises ont accumulés ces dernières années. MSF fait d’ailleurs partis des organisations ayant mis en place le site d’information et d’action dédié à la normalisation de la propriété intellectuelle en Afrique du Sud et qui base son argumentaire sur les nouvelles législations brésiliennes et indiennes– Fixthepatentlaws.org .  Il est également utile de mentionner le soutien du président F. Hollande le 15 octobre 2013 lors de sa visite du site de production de générique de Waltloo (Sanofi South Africa). Cette visite confirme le suivi de l’entreprise par l’Etat français, un  partenaire important pour l’Etat sud-africain à l’heure où il est question de renforcer les relations bilatérales. Il visibilise dans le même temps le fait que le laboratoire français, en partenariat avec d’autres laboratoires, commercialise des génériques à bas prix, démarquant d’autant plus Sanofi des autres Big Pharma

Entrer dans une démarche offensive vis-à-vis de ces principaux concurrents mondiaux n’empêche pas pour autant à Sanofi d’être confrontée aux géants des génériques ou des entreprises de production locales (Mylan, Cipla). Pour contrer l’image négative de ses médicaments brevetés et entrer dans le marché du générique africain, Sanofi a déployé une stratégie de partenariats public/privé et privé/privé.  Il en est ainsi de son partenariat avec la firme indienne Hetero pour fournir à bas prix des traitements anti-VIH, ou de la construction de son site industriel à Sidi Abdellah en Algérie en sus d’un protocole d’accord autour de la sensibilisation et le dépistage de l’hypertension et du diabète (entre autres) avec le ministère de la santé. C’est aussi la seule entreprise à avoir autant de sites de production en Afrique (principalement au Maghreb, mais aussi au Sénégal) et bientôt un site de R&D en Algérie. De fait, Sanofi est à l’heure actuelle la seule multinationale du secteur pharmaceutique à avoir investi en masse le continent africain, et continu d’y asseoir son emprise.

Lucas Brabant