Welcome City Lab : la première pierre d’un cluster touristique à Paris

Dans le contexte actuel de crise économique et sociale, mais surtout de crise de confiance, l’innovation apparaît comme cruciale pour toutes les régions du monde y compris dans les grandes métropoles comme Paris.

Dans ce contexte, la compétitivité de l’économie régionale repose sur la création des écosystèmes, entendus comme des réseaux d'acteurs publics et privés, qui essayent soit de maintenir leur avantage concurrentiel soit de rattraper le retard accumulé dans cette course effrénée à l'innovation et à la compétitivité des territoires.

Dans la lignée du modèle de la Silicon Valley qui ne cesse de se réinventer, d'imaginer de nouvelles sources de croissance et où les entreprises peuvent améliorer leur business models au contact les unes des autres, la France a fait le choix d'investir massivement depuis 2005 dans l'innovation à travers les pôles de compétitivité, l'émanation française des clusters à l’américaine.

Depuis cette période de 2005, 71 pôles de compétitivité ont certes été labellisés à l’échelle nationale dans des secteurs d'activité jugés stratégiques pour l’avenir de la France : automobile, parfumerie-cosmétique, aéronautique, la santé, l'énergie, l'agriculture. Néanmoins cette initiative a produit des résultats mitigés. Les différentes évaluations sur ces pôles de compétitivité montrent qu’il y a uniquement une dizaine de pôles de compétitivité réellement performants et attractifs à l’échelle mondiale. Ce constat devrait d’ailleurs conduire les pouvoirs publics et les collectivités locales à dissoudre ou à « fusionner » les pôles de compétitivité les plus fragiles dans la même filière ou dans des filières connexes.

D’après ce panorama, le secteur du tourisme est le grand absent des programmes de labellisation par pôle de compétitivité en France, alors que cette activité est pourtant stratégique, pour le pays leader dans ce domaine, qui séduit le monde entier par son art de vivre.

L’implantation par la ville de Paris de l’incubateur Welcome City Lab spécialisé dans le tourisme, est donc une initiative intéressante pour combler un vide institutionnel dans ce secteur stratégique. Cette initiative est d’autant plus intéressante qu’elle s’appuie sur l’image de la capitale dans l’inconscient collectif des consommateurs, comme porte étendard du tourisme à l’échelle mondiale.

Néanmoins, un incubateur a un rôle limité dans la construction d’un écosystème sous la forme de pôle de compétitivité.  Aussi efficace soit-il Welcome city Lab, ne peut regrouper à lui seul toutes les composantes que l’on retrouve traditionnellement dans les écosystèmes d’affaires : apporteurs de capitaux, innovateurs, pouvoirs publics, universités et centres de recherches, commanditaires privés, leaders du secteur, etc. La démarche proposée par Welcome City Lab crée un premier point d’ancrage pour implanter un écosystème touristique de taille mondiale à Paris, en sélectionnant des start-ups et en les accompagnant dans leur développement. Est-ce que l’incubateur sera suffisant pour fédérer les initiatives de toutes ces start-ups de manière à former une communauté de destin ? Est-ce que d’autres acteurs du secteur touristique, plus avancés en âge que les start-ups, se sentiront concernés pour localiser tout ou partie de leurs investissements à proximité de l’incubateur ? Est-ce que l’écosystème touristique parviendra à se nourrir des infrastructures mises en place à Paris (hôtellerie, établissements culturels, etc), du soutien des parties prenantes (voyagistes, prescripteurs) et de l’attraction des grands pôles déjà existants, comme le Musée du Louvre par exemple ?

D’après ces questions sans réponses pour le moment, il semble évident que l’incubateur Welcome City Lab ne pourra pas à lui tout seul maintenir l'avantage concurrentiel du secteur touristique français, si une dynamique n’est pas amorcée.

D’après notre expertise construite dans l’observation du fonctionnement de 4 écosystèmes d'innovation : la Silicon Valley, Israël, le Maroc et la France, nous proposons quelques recommandations pour amorcer une dynamique de construction d'un écosystème, qui peuvent s’appliquer au tourisme. Il ne peut pas y avoir d’écosystème actif et rayonnant, sans une dynamique sur la création de valeur collaborative entre les différents partenaires :

  • La dynamique de création de valeur marchande, à partir du moment où chaque membre de l’écosystème forme un maillon complémentaire avec les autres membres pour concevoir, produire, distribuer collectivement le service touristique. Avec le Welcome City Lab, on aborde le problème en amont dans la conception de nouveaux services, avec la création de nouvelles entreprises. De façon complémentaire, il est nécessaire de former dans l’incubateur, ou d’attirer à proximité de l’incubateur la localisation de l’ensemble des relais professionnels, des prescripteurs, des producteurs et des distributeurs de service touristique pour former une chaîne de valeur complète. L’écosystème parisien deviendrait alors le lieu privilégié pour nouer des collaborations dans le tourisme à l’image d’Hollywood pour le cinéma.
  • La dynamique de création de valeur cognitive dans la coproduction de savoir et dans l’échange de connaissance entre partenaires, facilitant l'innovation collective, le partage et le transfert de compétences, la veille collective d'informations, l'apprentissage de connaissances. Il s’agit ici de réfléchir sur la capacité de l’incubateur de fédérer les savoirs entre les partenaires, pour que l’écosystème parisien du tourisme devienne le lieu incontournable où se définissent les innovations et les nouveaux standards dans la consommation mondiale touristique, à l’image de Bengalore en Inde pour les services informatiques.
  • La dynamique de création de valeur relationnelle, qui est probablement l’enjeu le plus important et le plus difficile à atteindre lorsque l’on construit de toutes pièces un écosystème. Il s’agit de créer une atmosphère de travail collaborative propice à développer des "bénéfices intangibles", comme par exemple un accès privilégié à des marchés complémentaires par un échange de carnets d’adresses entre les partenaires, la fidélisation croisée des clients, les échanges mutualisés d'information sur un service touristique, ou des suggestions réciproques d'amélioration par un regard croisé des partenaires. La création de valeur repose alors sur la solidité des relations et sur la confiance entre les acteurs. Cela demande souvent des années à se mettre en place, par essai-erreur sur la sélection des partenaires. C’est l’enjeu pour l’écosystème parisien du tourisme de rapprocher des acteurs par cooptation (confiance déjà présente), par l’expérience commune (confiance construite dans l’échange), ou par la mise en place d’une charte des droits et des devoirs (confiance garantie par l’institution). L’écosystème touristique se rapprocherait de ce point de vue du quartier parisien «  Silicon Sentier ».

La création d'un écosystème nécessite donc d’amorcer une dynamique de collaborations à plusieurs niveaux, au delà de l’incubateur, en tenant compte de la richesse du capital humain. En d'autres termes, gérer un écosystème revient surtout à introduire une dynamique fondée sur la confiance entre individus, grâce aux animateurs et aux pilotes de cette confiance.

A ce sujet, il est important de souligner le rôle des hommes-orchestres, des traducteurs que l’on rencontre dans les écosystèmes, qui servent de passeurs de frontières entre le milieu scientifique de la recherche et le milieu entrepreneurial. Ce sont des individus qui ont généralement une triple compétence relationnelle, technique et entrepreneuriale. Ces hommes-orchestres vont par exemple mettre en relation un expert porteur d'un projet de création d'une startup avec un client et un investisseur dans le tourisme : ce sont des architectes de réseau qui cumulent des mandats (élu local, entrepreneur, représentant du monde académique, responsable d'une association professionnelle touristique) et inspirent confiance. De ce point de vue, abolir le cumul des mandats a peut être du sens sur le plan politique pour éviter les conflits éthiques dans la gestion de l’intérêt général, mais cela n’a pas de sens lorsque l’on construit un réseau de partenaires dans un secteur d’activité économique aux multiples ramifications.

Le Welcome City Lab n'est donc que la première pierre angulaire de l'édifice pour faire émerger un cluster touristique. Pour poursuivre l’ambition, il faudra rapprocher et créer des projets innovants en impliquant les élus locaux, les sociétés de capital-risque, les startups, les grands groupes et PME dans le secteur touristique mais aussi des secteurs connexes (transports, restauration, loisirs, culture, agro-alimentaire…), les écoles de tourisme, les cabinets de conseil ou encore les écoles d'ingénieurs.

En définitive, si la ville de Paris veut se doter d'un cluster touristique de classe mondiale, elle devra investir massivement dans la R&D avant de se mettre en retrait, pour mieux favoriser les occasions de rencontre, d'échanges, et de montage de projets innovants ; elle devra laisser se fédérer l'ensemble des acteurs économiques ayant un lien direct ou indirect avec le secteur du tourisme, sans entrave bureaucratique, sans centralisme politique, de manière à faire émerger le modèle économique adéquat, pour toutes les parties prenantes publiques et privées.

Christophe Assens

Directeur adjoint du LAREQUOI – ISM Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines auteur de : “ Le Management des réseaux : tisser du lien social pour le bien être économique”, Editions de Boeck 2013

Yoni Abittan

Docteur en sciences de gestion et chercheur au LAREQUOI – ISM Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines.