Le Tribunal de Commerce de Nanterre a rendu son verdict : Ascométal reste sous pavillon français. Retour sur l’histoire mouvementée d’un fleuron industriel français.
Le Tribunal de Commerce de Nanterre a rendu, jeudi 22 mai 2014, une décision qui fera date dans l’histoire de la sidérurgie française. Revenons sur les évènements et les parties prenantes qui nous ont amené jusqu’à cette décision.
Ascométal : son histoire
Ascométal est né de la fusion des activités « aciers spéciaux » des firmes Usinor et Sacilor sous l’impulsion déterminante de Noël Forgeard. La firme s’est ensuite forgée une solide réputation pour devenir l’un des leaders français et européens des aciers spéciaux.
Les déboires d’Ascométal commencent en 1999 quand Usinor-Sacilor décide de se séparer de son activité « aciers spéciaux ». C’est alors le groupe italien Lucchini qui s’empare de ce qui était déjà un fleuron de la sidérurgie française. En 2005, le groupe Severstal d’Alexei Mordashov, en discussion depuis plusieurs mois avec la famille Lucchini, acquiert 62% du groupe industriel italien. Mais l’histoire d’amour tourne court et Severstal met en vente le groupe Lucchini dès 2010. Dans la foulée, Ascométal est revendu par l’italien et est racheté grâce à un LBO (rachat par effet de levier) par un fond d’investissement américain, Apollo. Ascométal porte alors une dette de 360 millions d’euros et doit rembourser près de 37 millions d’euros par an d’intérêts seuls ! Devant la morosité du secteur sidérurgique européen (handicapé par les performances du secteur automobile), Ascométal enregistre des pertes nettes (59 Millions d’€ en 2012) et se voit donc contraint de déposer le bilan en Mars 2014.
Ascométal : fleuron français des aciers spéciaux
Ne nous y trompons pas, la sidérurgie n’est pas un secteur industriel « vieillot » ou « dépassé ». Et le savoir-faire européen, et plus particulièrement français (Ascométal, Eramet…), est particulièrement reconnu. Les aciers spéciaux (plus connus sous le nom d’aciers inoxydables) sont en fait un alliage de fer, de carbone et de chrome (teneur >10,5%) ce qui leur confère leur caractère inoxydable. Ils présentent la particularité d’avoir un degré de pureté particulièrement élevé. La maitrise des processus de production (et notamment de laminage) de ces aciers requiert un savoir-faire très pointu qui élève la sidérurgie au rang d’industrie de pointe.
Ces aciers spéciaux constituent les pièces critiques de beaucoup des équipements industriels français. Cela va des roues et essieux du TGV aux boites de vitesses et injections de nos automobiles en passant par les équipements des industries pétrochimiques et par les échangeurs de chaleur de nos centrales nucléaires. On comprend ainsi aisément la valeur ajoutée technologique de ces produits ainsi que la criticité de ces industries dans un contexte d’accès aux matières premières toujours plus tendu.
Ascométal face à ses repreneurs potentiels
Avant que le tribunal de commerce de Nanterre ne rende son verdict, Ascométal faisait face à quatre offres de reprise. Les fonds d’investissement américains Anchorage et Apollo ont vite été écartés et c’est finalement à un duel franco-brésilien que nous avons assisté.
L’offre de Gerdau n’a finalement pas été retenue. Le sidérurgiste brésilien avait à cœur, avec ce rachat, de développer son activité « aciers spéciaux » afin d’en devenir le leader européen. L’offre brésilienne, qui semblait plus solide financièrement, avait réussi à obtenir le soutien de l’administrateur judiciaire d’Ascométal ainsi que celui du syndicat des cadres CFE-CGC. Le financement de la reprise était assuré par les lignes de crédit déjà négociées par Gerdau mais le brésilien, souhaitant supprimer près de 500 emplois, s’est attirée les foudres de la majorité des syndicats.
L’offre franco-européenne est celle qui a obtenu le plus de soutiens, des syndicats, mais aussi de l’Etat Français qui s’est engagé à fournir 35 Millions d’€ au travers du Fonds de développement Economique et Social et songerait à faire entrer la Banque publique d’Investissement au capital d’Ascométal. A travers Franck Supplisson (ancien directeur de cabinet d’Eric Besson), Noël Forgeard (fondateur d’Ascométal) et Guy Dollé (ancien directeur d’Usinor puis d’Arcelor), c’est l’offre européenne qui a été choisie en grande partie car les repreneurs se sont engagés à sauvegarder 1820 postes sur les 1900 que compte actuellement l’entreprise. Il faut toutefois noter que l’offre « française » est soutenue par deux fonds d’investissement britanniques et que son apport en capitaux propres est inférieur à l’apport brésilien.
Pourquoi la décision du Tribunal de Nanterre est particulièrement pertinente
- D’un point de vue conjoncturel
La France ne peut plus se permettre d’être absente de secteurs stratégiques comme celui de la sidérurgie et particulièrement en ce qui concerne les aciers spéciaux. La France doit faire face à une compétition qui s’intensifie à tous les niveaux. Il est donc important que l’Etat puisse se donner les moyens de soutenir son patrimoine industriel. Et c’est le chemin que semble avoir pris le gouvernement sous l’impulsion d’Arnaud Montebourg, notamment à travers du fameux décret visant à protéger nos secteurs stratégiques. La conjoncture était donc tout particulièrement favorable pour les industriels français souhaitant reprendre Ascométal. Et c’est tant mieux !
- D’un point de vue structurel
Outre l’aspect conjoncturel qui légitime le soutien apporté par l’Etat aux repreneurs européens, il y a un aspect structurel déterminant à prendre en compte. En effet, le secteur sidérurgique opère depuis plusieurs années déjà une restructuration importante. Et la tendance est clairement identifiée par tous les acteurs. Face à la compétition mondiale (et notamment la concurrence grandissante des pays asiatiques), les pays sidérurgistes traditionnels (Europe, USA, Japon) ont bien compris que le secteur devait se consolider pour survivre. C’est pourquoi on assiste depuis quelques années à cette consolidation : le suédois Outokumpu rachète Inoxum, la branche Inox de Thyssen-Krupp, ArcelorMittal rachète TK USA, la branche américaine de Thyssen Krupp, les japonais Sumitomo et Nippon Steel fusionnent etc. C’est dans cette logique que le suédois Ovako a entamé des discussions les industriels français afin de rentrer au capital d’Ascométal (avec un ticket minoritaire).
Pertinente au niveau industriel, courageuse du point de vue social, cohérente par rapport à la situation conjoncturelle et en résonance vis-à-vis des besoins structurels de son secteur, finalement c’est tout naturellement que l’offre europénne a été choisie par le Tribunal de Nanterre.
Gageons que l’Etat fasse preuve de la même bonne volonté, de la même passion, dans le cas d’Alstom…
Tristan BARBAGELATA