Do it yourself, FabLab et Hackerspace : épiphénomène ou nouveau modèle ?

Le Do It Yourself, ou faites le vous-même, propose à ceux qui le souhaitent de réaliser par eux-mêmes les produits dont ils ont besoin. Derrière cette promesse incarnée par les FabLab il y a un réel enjeu pour les industries conventionnelles. Ces Labs sont des viviers d’idées et de talents qui pourraient apporter beaucoup à l’industrie, notamment à travers des partenariats, encore faut-il en prendre conscience.

« Do It Yourself » signifie littéralement faites le vous-même, mais derrière l’injonction, le DIY révèle une démarche intellectuelle plus profonde. Dans son acception la plus générale, ce mouvement consiste à devenir acteur du processus de création et à ne pas rester un consommateur-spectateur passif. Le DIY – comme tout mouvement informel – recouvre des réalités différentes, à la fois sur les thèmes abordés et sur le niveau d’engagement des participants. Pour simplifier, certains voient le DIY comme une démarche militante anticonsumériste totale alors que d’autres ne voient ça que comme une source d’économie potentielle ponctuelle. Par souci de clarté, le DIY sera étudié dans son acception intermédiaire : une volonté de consommer autrement.

Le concept de DIY n’est pas nouveau mais il a connu une accélération rapide, notamment avec la création du concept de FabLab au MIT – Massachussetts Institute of Technology – en 2002 mais aussi et surtout par la démocratisation des imprimantes 3D qui, sans être hors de prix, ne sont pas encore à la portée de tout le monde.

S’il est par nature impossible de prédire l’avenir, on peut malgré tout penser que ce concept pourrait séduire au-delà de son milieu d’origine. Tous ceux qui souhaitent « consommer autrement » pourraient se sentir concernés par ce type de démarche. Le DIY et ses avatars répondent parfaitement à la devise « Think global, act local »: « penser global, agir local».

Le DIY n’a pas besoin d’être institutionnalisé pour exister – à partir du moment où vous préférez fabriquer plutôt que consommer vous êtes déjà dans une démarche de DIY – mais cet aspect n’est pas celui qui sera étudié ici. Cet article porte sur le DIY institutionnalisé à travers deux initiatives : les FabLabs et les Hackerspaces.

Les FabLabs, observatoires des tendances

Les FabLabs, ou Fabrication Laboratory (laboratoires de fabrication) sont des lieux de partage et d’échange autour de la création dans son acception la plus large. Ces laboratoires permettent à ses membres/participants de transformer leurs idées en réalité grâce à de nombreux outils partagés, comme des machines de prototypage rapides ou des imprimantes 3D. Ces structures de type associatif achètent du matériel semi-professionnel ou professionnel qu’elles mettent à la disposition du plus grand nombre. Il s’agit autant de partager le matériel que les savoir-faire autour de ces matériels. La philosophie qui sous-tend les FabLabs est, selon l’initiateur du concept Neil Gershenfeld, qu’il faut privilégier la création à la consommation. L’appellation FabLab est limitée aux structures qui suivent la charte des FabLabs établie par le MIT.

Sur le plan de la propriété intellectuelle, les designs et procédés développés peuvent – toujours selon la Charte – être protégés et vendus comme le souhaite l’inventeur, à la condition que leur usage et leur étude restent possibles pour le Lab. La clé du système étant le partage de l’information, la Charte s’assure que cet objectif sera préservé.

Ces FabLab peuvent aussi servir à incuber une activité commerciale à partir du moment où l’activité principale du Lab n’en n’est pas affectée. Cette formule peut être un tremplin pour permettre à une entreprise de réaliser un prototype sans devoir avancer d’argent mais à la condition de partager ses informations.

Les Hackerspace, un phénomène plus limité mais tout aussi intéressant.

Les Hackerspaces, ou Hacklabs, sont une déclinaison des FabLabs, orientés sur l’informatique. Ils proposent à ceux qui le souhaitent de se retrouver pour échanger et partager autour des questions informatiques, aussi bien sur la partie matérielle que logicielle dans un but pédagogique. Le terme de « Hack » doit être entendu dans le sens de « bidouille, bricole » et non dans le sens strict de piratage. Le principe est le même que dans un FabLab : du matériel est mis à la disposition des participants soit pour tester une solution technique soit pour se perfectionner dans le domaine. Dans tous les cas les participants sont invités à faire par eux-mêmes, à essayer pour découvrir et pour apprendre.

Les réalisations des Hackerspaces sont souvent moins visuelles que celles des FabLabs mais elles n’en sont pas moins intéressantes. Au-delà du côté pédagogique du concept, les Hackerspaces permettent aussi à des passionnés de se retrouver autour de défis informatiques comme le développement de logiciels ou d’applications dans un temps limité par exemple.

Le DIY, un concept difficile à saisir pour l’industrie

Comme toute tendance émergente, le concept de DIY et ses avatars sont difficiles à cerner pour les entreprises. Il faut d’abord que l’entreprise comprenne la démarche et la philosophie des acteurs pour pouvoir prendre position. Pour les acteurs industriels, cette démarche d’anticipation est souvent difficile car synonyme d’une possible remise en cause du modèle existant. Il s’agit d’une vision alarmiste, car le DIY ne remplacera pas les industries conventionnelles avant longtemps. Pour autant, ce secteur va se développer et les premiers qui comprendront les enjeux de ce marché en tireront un avantage concurrentiel.

Dans une démarche d’intelligence économique, la première étape consiste à effectuer une veille sur son environnement pour détecter et réagir aux nouvelles tendances. Le DIY est clairement une de ces tendances à surveiller, pour le monde de l’industrie dans son ensemble.

Le DIY – principalement dans le cas des imprimantes 3D – redéfinit complétement le concept de la supply chain. La chaine de valeur complète du produit est transformée. Combiné aux concepts d’open-source et d’open-hardware, les possibilités sont infinies. A ce titre, les FabLabs – en tant que lieux de création – sont de bons observatoires de ce que pourront être les usages de demain. Ces lieux permettent de découvrir des possibilités qui dépassent ce qu’on pensait possible.

De nouveaux modèles économiques sont à inventer pour monétiser des concepts qui s’appuient sur le refus du modèle économique majoritaire. Il faut alors réussir à trouver ce dont les imprimantes 3D, par exemple, auront toujours besoin, en l’occurrence de la matière à imprimer. En effet, les imprimantes 3D type RepRap ou Makerbot Replicator ont besoin d’un certain type de filament pour imprimer. Ce type d’imprimante peut utiliser, entre autres, du filament en ABS, PVC ou PLA (en amidon de maïs) suivant les usages, mais elles ont toujours besoin de consommables sous une forme ou sous une autre. Pour l’instant, la création de ces filaments suit un processus industriel classique, même quand le filament est issu du recyclage. Le cycle de l’impression 3D n’est pas, pour l’instant, un cycle fermé : il faut toujours de la matière venant de l’industrie conventionnelle. Dans cet exemple de l’imprimante 3D, la chaine d’approvisionnement est redéfinie mais l’industriel a toujours sa place mais en tant que fournisseur de matières premières.

Les partenariats entre FabLabs et industriels, une coopération à encourager

La coopération entre FabLabs et industriels est à encourager car c’est un partenariat gagnant-gagnant. L’industriel pourrait bénéficier de la souplesse et de la rapidité des FabLabs, en échange, le Lab pourrait profiter de matériels ou de subventions de la part de l’industriel. Cette forme de coopération permettrait également aux industriels de découvrir des profils atypiques, tout en améliorant leur image en tant que soutien à l’innovation.

A défaut, l’Etat pourrait toujours investir dans ce type de Labs, en complément des incubateurs d’entreprise déjà existants. L’Etat – à travers le Ministère du redressement productif – soutient déjà les FabLabs, dont l’Usine (même si ce projet n’est pas exempt de critiques). Il est cependant possible de pousser plus loin ces partenariats, notamment en encourageant des acteurs comme l’ElectroLab, qui ne font pas partie de la liste des projets soutenus par l’Etat alors que leur taille fait d’eux un acteur important dans ce domaine. La combinaison des FabLabs avec les incubateurs d’entreprises pourrait permettre de proposer une offre plus complète à ceux qui souhaitent innover et entreprendre mais qui ont besoin d’éprouver leur modèle pour y arriver.

Charles PONSARD.

Pour aller plus loin :

Le Faclab de l’Université Cergy Pontoise : http://www.faclab.org/

Le FabLab du MIT : http://fab.cba.mit.edu/