Interview de Charles Proian, Head of Competitive Intelligence EMEA, Lexmark International.

Retour sur la conférence 2014 « Intelligence compétitive et management des connaissances » organisée par Marcus Evans sur le thème « L’intelligence économique, un outil de prévention des risques et de soutien à la compétitivité ».

Charles Proian, en sa qualité de Président de séance et d’intervenant pour cette 4ème édition, a répondu aux questions du Portail de l’intelligence économique. 

Sous quel signe avez-vous choisit d’ouvrir la conférence, et quelles ont été vos premières impressions sur la composition de l’audience ?

Ayant eu l’occasion de participer aux précédentes éditions, j’ai souhaité ouvrir la séance en insistant sur ce qui fait la richesse de cette conférence : un maximum de participation et d’ouverture. L’événement doit être vécu sous le signe de l’échange : chacun doit capitaliser sur la discussion, le partage d’expérience et le networking. Dans cette optique, j’ai ensuite voulu rappeler aux participants qu’en tant que professionnels ils font partie des gens les plus influents de leur organisation, qu’ils en soient conscients ou non. J’ai d’abord constaté la grande diversité des profils, presque tous les secteurs étaient représentés, avec une présence un peu plus marquée des industries pharmaceutique et chimique. Des acteurs du secteur public étaient également présents, je pense que la rencontre des sphères privée et publique a été enrichissante pour l’ensemble des participants.

‘Les entreprises et les universitaires de l’intelligence économique ne travaillent pas assez ensemble en France’

Ce qui m’a le plus ravi, c’est de voir que le monde académique était bien représenté dans l’événement. Les entreprises et les universitaires ne travaillent pas assez ensemble en France, c’était donc un beau moment de les voir échanger sur des thèmes d’intelligence économique. J’ai d’ailleurs souhaité appuyer auprès de l’audience sur la valeur de ces universitaires. J’ai moi-même été confronté au désert informationnel au cours de précédentes recherches, alors que je faisais appel aux grands observatoires et cabinets de conseil. C’est finalement dans des projets académiques – sur des thèmes très business – que j’ai trouvé les informations que je cherchais. Les professionnels de l’IE ne doivent pas voir le monde académique comme un endroit dans lequel ils sont passés pour avoir leur diplôme, mais valoriser son alimentation continuelle d’informations et de recherches, qui est une immense valeur pour le monde professionnel. L’intelligence économique n’est pas assez représentée entre ses deux sphères, qui doivent pourtant apprendre à travailler ensemble.

Pouvez-vous revenir sur les différentes thématiques abordées par les intervenants ?

Suivant le thème de ‘L’intelligence économique, un outil de prévention des risques et de soutien à la compétitivité’, les interventions devaient s’inscrire dans le périmètre de 3 axes : ‘Anticiper les mouvements concurrents, Prédire les tendances futures et Enclencher la prise de décision stratégique’.  Michel Haddad – Conseiller technique en charge de la recherche et de l’innovation au Conseil Régional de l’Aquitaine – a ouvert la journée avec une intervention très enrichissante sur les enjeux de l’intelligence économique pour la France. Un des grands thèmes mis en lumière lors de la première journée est le lien entre IE, prise de décision stratégique et création de valeur. D’autres interventions se sont concentrées sur des thèmes de veille : stratégique, prospective mais aussi technologique. Nous avons abordé des thèmes plus opérationnels lors de la seconde journée, notamment sur les pratiques collaboratives, le market intelligence et la sécurité des données.

Interventions, tables rondes et études de cas se sont succédé avec des pauses networking : une bonne rythmique permettant à l’audience de rebondir sur des points abordés au long de la journée, d’aller plus loin à travers la discussion.

Vous avez également fait une présentation sur la gestion d’une fonction Competitive Intelligence en offshore, pouvez-vous nous en dire plus sur ce sujet ?

Cette présentation était sous la forme d’un retour d’expérience, puisque j’ai moi-même créé une cellule de veille dans le cadre de mes fonctions à Lexmark international. Il est important de ne pas faire d’amalgame entre les licenciements allant avec une délocalisation et la création d’un offshore : nous avons externalisé une partie des activités d’intelligence mais cela n’a pas entraîné de licenciements sur les équipes existantes. Contrairement aux idées reçues, si l’on veut éviter un échec retentissant le facteur coût est le dernier point à examiner lorsque l’on envisage une externalisation. Normalement, un bon outsourcing devrait coûter aussi cher que de garder les activités en interne, et les grands observatoires le confirment : un offshore doit créer de la valeur ajoutée avant de réduire les coûts. En effet, hors d’une logique comptable, l’externalisation doit être une force transformationnelle pour l’entreprise et permettre d’améliorer les processus existants. Pour Lexmark, cette opération a rencontré un franc succès : il nous était impératif d’avoir une vision locale d’un marché et de ses enjeux, en plus de notre vision globale. Bien entendu, il y a beaucoup d’enjeux culturels à maîtriser pour choisir le pays, le modèle organisationnel sur place ou encore le management. Le travail au quotidien avec une cellule offshore – et en particulier les moyens de communiquer – implique de savoir articuler information structurée et information nébuleuse, cela demande beaucoup de rigueur et de travail en amont sur la structure organisationnelle.  

Aux vues des échanges avec l’audience, pensez-vous qu’il y a une montée en puissance de la prise de conscience informationnelle chez les professionnels ?

Les discussions avec l’audience ont été enrichissantes: les participants se sont approprié les thèmes vus en séance et les ont ramenés à leur quotidien en les abordant de façon très concrète. Je pense qu’en effet, les professionnels prennent conscience que l’information structurée est stratégique et peut représenter le premier vecteur de création de valeur. Les décisions doivent être prises, alors autant faire en sorte que ces décisions soient informées pour en améliorer la qualité et la pertinence. En cela, l’information doit aiguiller et guider la prise de décision. Une bonne structure informationnelle doit aller de pair avec une bonne structure organisationnelle. Par exemple, une cellule de veille doit suivre ses directives mais être englobée dans une démarche stratégique plus globale. En revanche, j’ai pu constater dans l’audience que les professionnels n’ont parfois pas suffisamment conscience de l’importance de leur rôle dans leur entreprise, ils estiment parfois ne pas avoir de réelle influence et ne pas être consultés suffisamment en amont de la décision. Il faut donner conscience aux gens que ce qu’ils font est beaucoup plus large que leur description de poste, parfois très restrictive. On ne doit pas non plus penser que les seules décisions importantes sont les grands choix stratégiques qui viennent de temps en temps de l’exécutif et du top management. Le succès d’une compagnie est aussi la résultante d’une multitude de petites décisions prises à tous les niveaux de l’organisation. Les professionnels de l’IE ont de nombreuses audiences, leur influence ne sera pas la même sur ces audiences, il ne faut pourtant en dévaloriser aucune. C’est un élément important, j’ai donc souhaité que les participants gardent cette idée en tête le long de la conférence.

Pour conclure, quels sont les enjeux auxquels l’intelligence économique doit faire pour soutenir les entreprises françaises ?

La culture et la pratique informationnelle vont dans la bonne direction en France, j’ai d’ailleurs pu remarquer une bonne représentation des entreprises françaises dans les conférences à l’international traitant de ces problématiques. Cette 4ème édition organisée par Marcus Evans – qui cette année se tenait en France – est une démonstration de plus de l’intérêt que portent les professionnels français à l’intelligence économique. 

‘La France n’a rien à envier aux systèmes d’intelligence des autres pays’

Pour conclure, je souhaite insister sur l’importance d’un travail commun entre entreprises, acteurs publics et universitaires, qui sont très complémentaires. C’est la principale faiblesse de la France face à ses concurrents, qui capitalisent beaucoup plus sur la richesse informationnelle du monde académique, ce qui leur donne un avantage certain par rapport aux entreprises des autres pays. C’est l’effort majeur que nous devons fournir.

Camille MARTIN.

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