Le marché de la cigarette électronique : l’avenir est dans la réglementation

Dans un marché où la distribution est parfois qualifiée de sauvage, la normalisation est un enjeu crucial qui voit s’affronter de nombreux acteurs. Qui remportera la plus grande part du gâteau ?

Avec une croissance exponentielle, ce marché ne connait pas la crise et attise toutes les convoitises. Une véritable bataille s’est enclenchée autour de la question de sa classification et de son encadrement. Or, celle-ci n’était pas encore réellement tranchée. Les produits du marché de la cigarette électronique étaient considérés par défaut comme des produits de consommation courante et donc sans réglementation spécifique.

Un véritable jeu de lobbying s’est opéré entre les différents acteurs. Les acteurs majoritaires de la distribution actuelle, les boutiques spécialisées, sont partisans d’une faible réglementation et du maintien d’une classification en tant que produit de consommation courante. L’industrie pharmaceutique est quant à elle plutôt favorable à un classement de ces produits comme étant des substituts du tabac et donc des produits de santé. Et enfin les industriels du tabac et les buralistes considèrent que ce sont des produits du tabac et qu’ils constituent donc une concurrence déloyale.

Une première victoire des professionnels du tabac

Le gouvernement français a donc en partie tranché en  faisant le choix de suivre à la lettre la directive européenne 2014/40/UE adoptée le trois avril 2014 par la commission européenne. Cette directive, qui sera effective en mai 2016, englobe les produits de la cigarette électronique au même titre que ceux du tabac. Chaque Etat a désormais les mains libres pour établir des normes propres à ces produits.

Jusqu’à présent, en France, la vente de cigarettes électroniques avait seulement été interdite aux mineurs depuis le 27 juin 2013. Mais désormais c’est son usage même qui est restreint. Le vapotage sera interdit dans certains lieux publics : les établissements accueillant des mineurs, les transports en commun et tous les espaces clos collectifs de travail. Cette interdiction pourrait même s’étendre aux terrasses des restaurants. La publicité est elle aussi impactée et est limitée par une circulaire du 25 septembre 2014. Elle sera définitivement interdite à partir de mai 2016 (à l’exception des lieux de ventes et des catalogues). Or, les cigarettes électroniques avaient largement bénéficié de l’interdiction de consommation des cigarettes classiques dans les lieux publics. En étant classifié comme produit du tabac, la cigarette électronique perd ainsi d’importants avantages concurrentiels.

Ce n’est donc pas un hasard si cette classification a été soutenue par les lobbies de l’industrie du tabac et les buralistes. Les géants de l’industrie du tabac sont arrivés tardivement sur ce marché qu’ils tentaient au départ d’évincer. Mais, aujourd’hui ils y sont tous bien impliqués. Les compagnies Reynolds American, la British American Tobacco, Japan Tobacco International et Philip Morris possèdent leurs propres marques Vuse, Vype, Ploom et MarkTen. De son côté, Imperial Tobacco, de son côté, a racheté les brevets de Dragonite, l’entreprise du chinois Hon Lik, l’inventeur de l’ « e-cig ».

De plus, pour la distribution de leurs produits, les géants de l’industrie du tabac peuvent compter sur le réseau dense des buralistes. Un réseau incomparable à celui des boutiques spécialisées actuellement sur le marché.

Un mince espoir d’autorégulation

Les produits de la cigarette électronique possèdent toujours un avantage certain: leur prix. La taxation actuelle en tant que produit de consommation courante leur est très favorable. Le risque réside dans l’harmonisation des taxes qui seraient alors basées sur celles appliquées aux cigarettes classiques. De même, l’interdiction de l’aromatisation des cigarettes classiques posent un enjeu certain si elle venait à s’appliquer aux cigarettes électroniques dont l’attrait repose en partie sur un choix important d’arômes.

Pour ne pas être évincés d’une bonne partie du marché, les fabricants et distributeurs actuels doivent influer sur l’évolution des normes et régulations européennes et nationales. Pour se faire, ils font d’abord appel aux consommateurs par le biais de pétition notamment l’EFVI, l’initiative Européenne pour le libre vapotage.

Ils s”investissent aussi au niveau national dans une démarche d’autorégulation unique en Europe. Ainsi, à la demande de l’Institut National de la Consommation, l’AFNOR (Association française de normalisation) a créé une commission de normalisation. Cette commission qui réunit tous les acteurs du secteur est chargée d’établir des critères de transparence et de sécurité pour le consommateur. Elle permet aussi d’harmoniser les normes d’analyses, de conceptions et d’utilisation de la cigarette électronique et par conséquent d’encadrer le marché sans passer par la voie de la réglementation. Les fabricants et les distributeurs se retrouvent en contact direct avec les pouvoirs publics, dont la Direction Générale de la Santé et l’Office français de prévention du tabagisme, ce qui donne à ces normes une reconnaissance étatique.

Néanmoins, le respect de ces normes s’effectuera sur la base du volontariat et dépendra donc de la bonne volonté de tous les acteurs du secteur. De plus, une difficulté importante réside dans l’idée de l’établissement d’un consensus entre les acteurs. En effet, tous les acteurs du secteur sont représentés dans cette commission. Les associations de consommateurs y côtoient les syndicats des fabricants et distributeurs, les pouvoirs publics  mais aussi les industriels du tabac. Une nouvelle bataille se profile, celle de la normalisation.

En attendant l’issue de cette normalisation, une partie des acteurs se préparent et des changements apparaissent déjà au sein du marché. Une professionnalisation des réseaux de distribution se dessine avec le développement de franchises et de  partenariats entre les boutiques spécialisées. Ainsi, actuellement, une boutique sur cinq fait partie d’une des vingt enseignes de boutiques franchisées tel J Well, Clopinette ou bien encore Yes store.

Ces enseignes se constituent un réseau solide afin de s’établir durablement sur le marché. En revanche, les petits distributeurs indépendants, qui représentent encore la majorité des boutiques, voient peu à peu leur avenir s’assombrir.

Catherine Saumet