L’Iran, un marché stratégique pour PSA

L’histoire de PSA en Iran est tout à fait singulière : en 2011, l’entreprise automobile occupait 30% du marché automobile iranien. Aujourd’hui, elle n’y est plus présente. Comment expliquer ce bouleversement radical et quelles sont actuellement les opportunités qui s’offrent à PSA pour reconquérir ce qui fut, jusqu’en 2011, le deuxième marché de l’entreprise en termes de volumes ?

Les années fastes 

En 1953, l’opération Ajax, entreprise par les Américains, place Mohammad Pahlavi au pouvoir, qui recevra l’appui des Etats-Unis tout au long de son règne. Le marché automobile se développe à cette période et, naturellement, ce sont les marques américaines qui sont présentes, notamment Chrysler. Mais deux évènements distincts vont venir déstabiliser l’industrie automobile américaine dans les années 1970. D’abord sur le plan économique, le choc pétrolier de 1973 affaiblit les constructeurs d’Outre-Atlantique. Puis, sur le plan politique, l’accroissement de popularité de l’ayatollah Khomeiny, leader religieux et farouche opposant au régime du Shah Pahlavi, finit par chasser les constructeurs américains hors d’Iran.

En 1978, PSA rachète Chrysler Europe et, du même coup, hérite de son positionnement en Iran. En 1979, la révolution islamique provoque la chute du Shah et l’ayatollah Khomeiny prend le pouvoir. Depuis, la place de PSA sur le marché iranien s’étendra en même temps que le marché automobile iranien, qui passe, en 30 ans, de 160 000 voitures produites à 1 680 000. En 2011, PSA produit 478 719 voitures en Iran, ce qui fait de ce pays le deuxième marché de la marque au lion, devant la Chine (404 404 voitures) et loin devant les autres pays. Mais six mois plus tard, cette situation est sur le point de changer radicalement.

General Motors boute PSA hors d’Iran

Fin 2011, PSA est pris à la gorge par ses problèmes financiers et le 29 février 2012, General Motors devient le deuxième actionnaire principal de PSA en achetant 7% du capital de la société française. Quelques jours plus tard, PSA annonce son retrait d’Iran. « Cette décision n’a pas été prise pour répondre à des pressions de GM. Nous faisons face à une situation géopolitique compliquée et les sanctions mises en place, notamment vis-à-vis des banques, ne nous permettent plus de garantir le financement de nos activités sur place » se défend la direction. Depuis 2010, l’ONU a en effet adopté la résolution 1929 qui met en œuvre des sanctions économiques contre l’Iran, mais qui, au départ, ne concernaient pas le secteur automobile : c’est bien General Motors qui a poussé PSA hors d’Iran.

L’entreprise de Detroit, soutenue par l’Etat américain, exerce une pression sur PSA à travers l’ONG United Against Nuclear Iran, fondée par un ancien membre de l’administration Bush et par l’ancien directeur de la CIA. L’ONG, dans deux courriers, enjoint Philippe Varin, alors PDG de PSA, et Daniel Ackerson, PDG de GM, de mettre un terme à l’activité de PSA en Iran: «Peugeot doit aussi être conscient que certaines sanctions américaines peuvent l’affecter, de par son partenariat avec GM » et encore : « Les contribuables américains vont certainement se sentir concernés, étant donné qu’ils ont payé pour le sauvetage par l’Etat de GM en 2008 ». L’UANI conclut la lettre adressée à Philippe Varin en lui demandant expressément de quitter l’Iran.

Mais l’ONG n’est pas la seule alliée de GM. Barack Obama exerce une pression depuis 2011 sur les banques qui voudraient faire des affaires en Iran. Elles sont menacées d’être « blacklistées » par les Etats-Unis de sorte que les entreprises étrangères qui veulent exporter vers l’Iran des biens et qui obtiennent l’autorisation des autorités nationales pour ce faire, n’ont pas la possibilité d’exporter. En effet, les banques étrangères refusent d’effectuer les transactions financières par peur d’être mises à l’index par les Etats-Unis, ce qui entrainerait pour elles une perte d’accès au marché américain et au dollar.

De plus, les Etats-Unis ont renforcé les sanctions contre l’Iran, notamment via l’Executive Order Act 13645 de juin 2013. Ce décret stipule que la fourniture de pièces détachées ou de services à des sociétés iraniennes est sanctionnée, mais, concernant le secteur automobile, la fourniture de véhicules « entiers » n’est pas condamnée. Ceci avantage fortement un constructeur comme GM, qui n’a pas d’activité industrielle dans le pays et qui exporte des véhicules entiers. Mais l’Executive Order Act pénalise directement PSA, qui lui, n’exporte pas de véhicules entiers mais vend des pièces détachées à son partenaire iranien, Iran Khodro. Ce dernier assemble alors les pièces détachées sur place puis vend les véhicules Peugeot.

Pendant ce temps, General Motors s’arrangeait avec les sanctions internationales : entre 2012 et 2014, l’entreprise prenait contact avec le partenaire historique de PSA, Iran Khodro, et importait des voitures en Iran, via l’Azerbaïdjan.

Quelles opportunités pour PSA ?

En novembre 2013, l’accord signé à Genève entre l’Iran et le groupe 5+1 (Chine, Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Russie, Allemagne) limite les activités nucléaires de Téhéran et allège certaines sanctions, dont une partie de celles frappant le marché automobile. Cet accord est renouvelé en juin 2014 pour 4 mois. Les sanctions, notamment américaines, portant sur les banques, empêchent encore la reprise totale de l’activité pour l’industrie automobile mais le marché est sur le point de s’ouvrir à nouveau : quelles sont les opportunités pour PSA ?

Tout d’abord le marché iranien est en rebond : la production a augmenté de 51% entre mars et juin 2014 et Iran Khodro, incapable de faire face seul trop longtemps à cette augmentation de la demande, est à la recherche d’un partenaire occidental. PSA peut s’appuyer sur son passé avec la firme iranienne. Le ministre iranien de l’Industrie Mohammad Reza Nematzadeh a d’ailleurs souhaité “plus de coopération avec les compagnies étrangères”, dont le français Peugeot qui a “une longue expérience de coopération avec l’Iran”. De plus, pendant l’embargo, Iran Khodro continuait de produire des voitures Peugeot, grâce aux pièces détachées qu’elle détenait toujours. PSA est donc le partenaire naturel d’Iran Khodro.

L’entreprise sochalienne pourrait toutefois rencontrer des difficultés pour reconquérir le marché iranien en raison des messages diplomatiques sévères envoyés vers Téhéran par la France depuis 2007. Les échanges commerciaux entre les deux pays ont d’ailleurs chuté, la France n’est plus que le 15e partenaire commercial du pays alors qu’il en était le 4e en 2000. Pourtant, pour que PSA récupère sa position après la levée totale de sanctions, il lui faut un appui politique fort et coordonné.

D’une manière générale, la classe politique reste très prudente et se contredit fréquemment. Philippe Marini, président UMP de la commission des finances du Sénat, est conscient de l’enjeu : « Que les États-Unis soient la seule vraie puissance dans le monde d’aujourd’hui tout le monde le sait. Mais ce n’est pas une raison pour se garantir à soi-même les marchés […] ni pour prendre une longueur d’avance sur tous les autres ». Le Medef a envoyé en février 2014 une délégation de 116 entreprises françaises en Iran afin de nouer des contacts avec le milieu économique. Mais les positions actuelles affichées du gouvernement et de PSA reflètent une position très attentiste : Arnaud Montebourg déclare : « le groupe PSA a décidé de quitter le marché iranien en 2012 […] et il a également confirmé que l’heure n’est pas à la reprise de ses activités commerciales avec ce pays. […] L’activité des usines du groupe PSA en France ne dépend pas de l’implantation ou du retour sur les marchés cités mais bien davantage du marché européen ».

Qu’il soit encouragé ou non par les dirigeants politiques, le retour de PSA en Iran ne semble pas intégré comme une dimension stratégique de la mission du gouvernement français. Pourtant PSA, qui dispose malgré tout de bonnes dispositions sur le plan économique et partenarial avec l’Iran, a besoin d’un soutien coordonné du gouvernement français. General Motors, qui compte sur le puissant appui de l’administration américaine a donc une longueur d’avance. L’Etat français qui, rappelons-le, détient 14% du capital PSA, doit travailler main dans la main avec l’entreprise automobile afin qu’elle retrouve sa place historique en Iran.

Guillaume Meyer