Le Portail de l’IE entame la création d’un panorama des pratiques dans le management de l’information au sein des grandes entreprises françaises. Jeudi 20 Novembre 2014, nous avons pris rendez-vous avec Michel Bernardini, chef d’orchestre du projet Léonard – Responsable Informatique et communication à BNP – PARIBAS Études Économiques.
Pôle d’expertise économique, regroupant des économistes (Risques-Pays, OCDE, économie bancaire), des documentalistes, et une plateforme de veille (Leonard) ; les Etudes Economiques affichent l’ambition « de dessiner les contours d’un scénario économique mondial ». M. Bernardini confesse alors que la « limite entre la simple veille et l’Intelligence Economique est franchie lorsque ces trois métiers sont combinés ».
Dans ce contexte, notre interlocuteur est le bâtisseur d’un projet qui existe depuis maintenant dix ans : Leonard, une plateforme destinée à « fédérer l’expertise des études économiques avec d’autres expertises internes, en les associant à de l’information provenant du web et de la presse quotidienne à caractère économique (Tribune, Les Echos, Le Figaro, Financial Time…) ».
Disponible pour tous les collaborateurs du groupe BNPPARIBAS, c’est une formidable machine qui distribue une information « de qualité, bien catégorisée, et bien présentée », en interne (24 000 utilisateurs, dont 11 500 réguliers, et une newsletter quotidienne balayant les contours de l’actualité économique) via un portail intranet.
Entièrement développée en interne par une combinaison de ressources existantes et performantes (Informaticiens, TAListes, stagiaires aux profils variés,…), Leonard s’est récemment doté d’un réseau social ou d’une fonction collaborative de partage de l’information (WikiLEO) qui a vocation « à faire passer la plateforme du 1.0 au 2.0, puisque l’on va vers une interaction avec les utilisateurs ».
L’idée étant de leurs permettre de «mettre en exergue au sein de communautés qui les intéressent [et qu’ils peuvent créer –NDLR-], et avec d’autres utilisateurs qui partagent ces centres d’intérêts, l’information qu’ils jugent pertinente dans le portail, mais aussi sur internet via des articles ou études qu’ils peuvent uploader sur WikiLEO ».
Cette volonté de faire interagir l’utilisateur avec l’information présente sur ce portail illustre un but essentiel du projet : favoriser « l’intelligence collective ». Forte d’une progression de 3000 à 3500 participants après 14 mois de lancement, ce réseau social de partage de l’information n’est plus un outil marginal.
« En démocratisant l’information-qualité, épurée du bruit que l’on peut trouver sur la toile », Leonard et WikiLEO, destinés à un public de décideurs, symbolisent parfaitement la réussite d’un modèle de Management de l’information au sein d’un grand groupe français.
Michel Bernardini, selon vous, qu’est-ce que cet outil apporte à la politique du Management de l’Information de la BNPPARIBAS (sources ouverte, fin de la culture de l’info non partagée) ?
Premièrement c’est un incontournable au sein de BNPPARIBAS, aux vues des chiffres énoncés précédemment.
Un autre projet existe au sein de BNPPARIBAS, qui est de fédérer tous les réseaux sociaux existants et doter les collaborateurs des mêmes outils. Avec beaucoup de métiers différents et de technologies différentes, un utilisateur d’un pôle n’a pas forcément les bons outils pour dialoguer avec un utilisateur d’un autre pôle.
Aujourd’hui, la motivation de fédérer les outils de la banque existe, et même de mettre une surcouche où l’on pourrait dialoguer malgré des technologies différentes.
Ici, la technologie « mère » serait Connexion d’IBM, et pourrait dialoguer, interpréter d’autres technologies dont SHAREPOINT (logiciel Microsoft collaboratif). L’idée est d’harmoniser les technologies, et Leonard participe pleinement à ce projet, car il a été identifié comme un incontournable pour le besoin d’information du groupe.
Pour autant, allez-vous vers une harmonisation ou une standardisation des pratiques avec ce projet ?
Non. D’ailleurs nous serons à part dans ce projet, puisque l’idée initiale était de faire abstraction des technologies et du document, alors que justement Leonard c’est une association de technologie entre un moteur de recherche (Polyspot), KB Crawl pour la surveillance automatique du web, Temis pour l’analyse sémantique ou de « text-mining » des documents, et MédiaCompil comme agrégateur de contenu en presse écrite.
Pour nous le document est central, c’est le dénominateur commun de nos technologies et des utilisateurs. C’est pourquoi j’étais à 180° de ce qui ce disait [lors des tables rondes du projet –NDLR], car si certains réseaux sont conversationnels, nous [le projet Leonard-NDLR-], nous sommes centrés sur la gestion des connaissances. Et si dans la gestion des connaissances on ne met pas le document en avant, je ne vois pas très bien ce que l’on pourrait mettre d’autre.
Et on nous accepte comme cela, car nous tenons une position stratégique pour la banque.
Existe-t-il plusieurs formes de Management de l’Information (à l’anglo-saxonne, à la française, …) ?
Je ne sais pas ce que c’est qu’un Management de l’Information à l’anglo-saxonne ou à la française. Mais ce que je peux dire, c’est qu’un Management de l’information est bon si tu mets quelque chose à disposition des utilisateurs et que cela est consulté. C’est une vision purement cartésienne, terrienne : « Est-ce qu’il y a un besoin, des consultations ou non ? ».
Pour autant avez-vous le souci d’approcher l’information de manière transversale ou la démarche reste une réponse clientèle ?
Il y a forcément une logique de transversalité, puisque nous brassons tout type d’informations si elles rentrent dans un cadre économique, financier, et sectoriel. On s’intéresse autant à l’informatique qu’aux banques-assurances, à la sidérurgie, aux textiles ; tout type d’informations qui peuvent potentiellement avoir une fonction stratégique pour la banque.
Un bureau d’étude similaire aux Etudes Economiques existe à Londres au cœur de la City…
Alors, il n’est pas similaire, car ce sont des économistes de salle de marché.
Oui, je veux dire que ce bureau d’étude qui a vocation à répondre à des « demandes clients » doit avoir une manière différente de gérer les connaissances comparé à ce qui ce fait ici.
Ils ne font pas de Management de l’information, c’est plus un centre de réflexion sur les chiffres qui tombent, le PIB, l’inflation, qui sert à se projeter dans l’avenir aux travers de leurs analyses.
Alors qu’aux Etudes Economiques de Paris, tout en travaillant sur les mêmes matériaux, nous avons le souci de prendre en compte les aspects structurels (réformes, politiques, lois,…), de s’ancrer dans le temps long. C’est plus de la « recherche ».
Ici, nous sommes loin des salles de marché, et cela nous permet d’avoir une véritable réflexion « à froid ».
Selon vous, quelles sont les prochaines grandes tendances qui vont structurer le Management de l’information –dans 5ans, 10ans, 20ans- (Big data, traitement sémantique des données, archivage, …) ?
Nous, l’archivage informatisé, sans paraître prétentieux, on a commencé à s’en soucier très rapidement. Déjà pour occuper le moins de place possible au mètre carré, car c’est très cher à Paris ; mais surtout par souci de redistribution de l’information le plus rapidement possible. Dès 1988, on a commencé à faire de l’archivage pour répondre à l’exigence de la circulation de l’information.
Le traitement sémantique des données, nous le faisons depuis 2006 via Temis.
Le Big data c’est quelque chose que nous allons traiter prochainement, même si je ne vois pas comment on peut gérer ce phénomène autrement que par le « text-mining ».
Aussi comme ici nous sommes dans la production de papiers de qualité, dans une réflexion « à froid », la logique de chiffres que propose le Big Data nous est un peu étrangère.
Maintenant le Big Data va certainement révolutionner l’Intelligence économique, mais pas forcément pour notre métier, ou pour notre fonction d’Intelligence économique en matière de macroéconomie et d’économie sectorielle et financière.
Pour prolonger sur le Big Data, c’est vrai qu’on n’a jamais eu autant d’information ; que c’est compliqué d’avoir un vrai discernement, et de choisir ou de mettre en avant une information parmi toutes celles qui nous sont présentées. On pourrait facilement noyer nos utilisateurs parmi un « trop plein » documentaire, c’est d’ailleurs compliqué de lutter contre cette tentation de tout mettre à disposition des utilisateurs.
Enfin, est-ce que le fait de classer l’information, de la passer dans un entonnoir, répond à une logique de rentabilisation, d’un accès plus rapide à des données afin de les faire fructifier, ou, à contrario, cette information-là doit être correctement classée et triée parce qu’elle devient stratégique grâce à ce classement (et de facto augmente le potentiel de puissance de celui qui la détient) ?
C’est un peu des deux. Quand j’ai lancé Leonard je l’avais plutôt orienté moteur de recherche, et très rapidement j’ai compris que nos utilisateurs n’étaient pas tous des veilleurs, des documentalistes, et des chercheurs nés. Ce qu’ils cherchaient c’était de l’information catégorisée, et ces gens là achètent le journal ou écoutent la radio parce qu’on y trouve de l’information structurée et facile d’accès. Leonard m’a appris l’importance d’avoir un bon moteur de recherche, mais surtout d’avoir une bonne présentation et une bonne catégorisation de l’information. Donc, petit à petit, j’ai fait développer différentes fonctions qui présentent de l’information en provenance du web, de la presse, et une fonction d’assemblage de l’information via un réseau social doté de communauté (WikiLEO).
Et au fil du temps s’est vérifiée cette importance de présenter de l’information à nos utilisateurs, et pas celle de mettre à disposition un outil avec lequel ils peuvent être le « Géo-trouve-tout », et/ou après de longues recherches, ils trouveraient la pépite.
L’idée est de trouver et mettre en avant cette pépite pour eux, car ils n’ont pas le temps d’être des « chercheurs d’or ». Aujourd’hui, on y arrive grâce à un gros travail de catégorisation des données provenant du web et de la presse via Temis [outil de text-mining –NDLR-], où toute information doit être catégorisée dans des secteurs, ou plutôt un plan de classement que nous avons prédéfini : banque, chimie, politique, assurance, pétrole, etc.
Aujourd’hui on reproduit ce qui est fait sur les sites des « grands médias », on peut même dire que Leonard est un grand média.
Olivier Fisher