Tesla Motors est le premier constructeur automobile américain à avoir opéré une introduction en bourse depuis près de soixante ans. Le cours de l’action de cette start-up a plus que décuplé en quatre ans. En dix ans d’existence, cette entreprise a convaincu tout un secteur de la potentialité des véhicules électriques.
Afin de comprendre cette success-story californienne, Aubry Springuel revient pour nous sur ce qui fait la force de Tesla Motors : au-delà du produit, c’est surtout sa capacité à utiliser sa notoriété et celle d’autrui pour se développer.
En quoi la stratégie de Tesla Motors est-elle si innovante ? Existe-t-il d’autres exemples dans l’industrie automobile ou d’autres secteurs d’activité ?
L’innovation majeure au niveau de la stratégie de Tesla consiste à utiliser la notoriété, la sienne comme celle des autres, comme levier pour accroitre son influence. Voici deux illustrations pour soutenir le caractère novateur de l’influence de Tesla :
D’une part, Tesla a rendu tous ses brevets libres d’exploitation, en juin 2014, dès que sa propre notoriété était bien établie au travers de ses succès financiers (valeur décuplée en bourse) et médiatiques (couverture dans la presse). Cela a amorcé une approche d’open innovation complètement inédite dans le secteur des véhicules électriques et lui donne toutes les chances d’être à l’origine des normes reprises à terme par ses concurrents.
D’autre part, l’utilisation de la notoriété de ses organisations partenaires est systématique à chaque apport capitalistique (Daimler, Toyota) et à chaque accord industriel (Panasonic, Daimler, Toyota). Tesla noue généralement des accords sur tous les plans : la contribution à son capital de ses partenaires est associée à des commandes en tant que grands clients Business To Business. Cela lui permet de les intégrer en tant que références notoires de son écosystème d’affaires (le secteur des véhicules électriques).
Existe-t-il des limites à ce genre de stratégie ?
La stratégie consistant à développer son influence grâce à la notoriété d’autrui est particulièrement risquée, mais aussi très réfléchie chez Tesla. Ainsi, le patron actuel de Tesla, Elon Musk, s’était déjà fait un nom avec Paypal, et met en avant ses réussites simultanées à la tête d’autres entreprises : SolarCity et SpaceX. Le principal risque de cette stratégie apparaît quand un des partenaires sur lesquels l’influence de Tesla repose s’éclipse, comme ce fut le cas ce 22 octobre dernier pour Daimler, qui est sorti du capital de Tesla.
Tout l’édifice sur lequel repose son influence pourrait dès lors être remis en cause si Tesla ne bénéficiait pas d’autres partenaires importants. En l’occurrence, les fondations de l’influence de Tesla doivent se rééquilibrer entre ses autres sources de prescription (Toyota, Panasonic, ses acquis techniques, ses partenaires commerciaux, etc.).
La pratique de l’influence entre organisations semble être très « américaine », voire très « Silicon Valley » ? Existe-t-il une facilité pour les entreprises anglo-saxonnes pour penser à mettre en pratique ce genre de stratégie et, à l’inverse, des faiblesses dans les organisations françaises ?
Le ‘contexte français’ est plus propice à la réussite d’autres stratégies. Par exemple, Bolloré est parvenu à institutionnaliser son Autolib pour en faire le modèle d’auto-partage électrique dans une métropole. Cet exemple de réussite française met en valeur une stratégie d’institutionnalisation, adaptée au ‘contexte français’ actuel. Bolloré, ou ses partenaires étrangers, peuvent s’adapter au ‘contexte entrepreneurial’ de la Silicon Valley. Il n’est pas à proprement parlé ‘anglo-saxon’. Il est marqué par un enthousiasme généralisé face à la nouveauté et à la réussite d’un individu, typiquement celle d’Elon Musk. Ce contexte est propice à un renchérissement – même à une surenchère – passionné dès qu’une idée d’activité nouvelle émerge. Cette recherche de nouveauté et de réussite individuelle favorisent l’investissement, la création de nouveaux marchés, et l’influence basée sur la notoriété d’autrui. Une entreprise comme Tesla a bénéficié de ce contexte-là.
Pour aller plus loin
- « L’Entreprise et l’influence : l’exemple de Tesla Motors et des voitures électriques », d’Aubry Springuel, collection AEGE – Editions La Bourdonnaye, est disponible en versions numérique et papier : toutes les informations ici (version papier: 19,99 euros, ISBN:9782824210391 / version numérique: 6,99 euros, ISBN: 9782824210407)
- A lire également dans la collection AEGE – Editions La Bourdonnaye, concernant l’influence : « Influence et réputation sur Internet : Communautés, crises et stratégies ». (http://aege.fr/publication-5/)