Elisabeth Khelfaoui, chef de projet régional Dalkia-EDF, travaille depuis plus de quinze ans chez EDF. En février 2011 elle imagine le projet EDF Conseil et en janvier 2012 elle lance le premier pilote. Le portail de l’IE l’a rencontrée dans les locaux d’EDF.
Parlez-nous de votre parcours chez EDF et de votre démarche qui vous a amené à créer EDF Conseil.
Je suis chez EDF depuis une quinzaine d’années. Après un parcours à l’international et au service commercial, j’ai connu une petite période de « flottement ». De là a émergé l’idée d’une entité de conseil interne au regard notamment du fonctionnement de l’entreprise. J’étais quelque peu perturbée par le pouvoir des consultants, leur accès à l’information, leur capacité d’influencer les décisions stratégiques…Je me disais que je n’étais sans doute pas la seule et que je pouvais mobiliser d’autres salariés d’EDF pour les amener à faire le travail que l’on demande habituellement à des consultants.
Comment justifier un tel projet au sein d’EDF ?
J’ai commencé par rechercher sur internet quels grands groupes avaient leurs propres cellules de consulting comme Renault, SNCF, Air France… J’ai alors pris l’initiative de les rencontrer. Après avoir échangé avec une dizaine d’entre eux, je me suis faite une première opinion, de ce que cela pourrait apporter à EDF pour ensuite élaborer ma propre analyse. Souvent l’objectif de ces entreprises était de partager, comme par exemple chez Safran ou de proposer à des salariés en fin de carrière comme chez Air France de réaliser des missions de conseil dans leur domaine. Mais c’est également et aussi beaucoup pour partager l’information en interne ! Pour EDF, compte tenu du secteur stratégique : l’énergie et du nombre important de consultants travaillant au sein de l’entreprise, j’ai fait l’exercice de mesurer l’efficacité des missions réalisées : quelle est la valeur créée par rapport aux heures achetées ? Je trouvais dommage de laisser cette matière grise s’échapper car à force de ne pas la piloter nous-mêmes, on ne sait plus travailler ensemble et on parvient même à avoir des réflexes d’auto-cloisonnement de l’information alors que l’on s’ouvre aux autres ! En d’autres termes, la même matière grise est rachetée constamment et il n’y a aucune capitalisation de la connaissance en interne…
Quelles sont les raisons d’une telle initiative ?
Je me suis rendue compte qu’une entreprise moderne ne pouvait pas se passer de ce genre d’entité. Les allemands sont par exemple très en avance à ce niveau et ce genre d’entité est très reconnue et valorisée au sein des entreprises. EDF est une entreprise qui a une longue histoire, par conséquent elle peut avoir parfois du mal à se réinventer. Si en France, le conseil interne est souvent intégré dans les grandes entreprises, elles ne sont pas toujours assez mûres pour bien l’utiliser et cela dépend aussi grandement des dirigeants de l’entreprise…Pour répondre véritablement à la question, je dirais que j’ai toujours pensé naturellement qu’on donnait trop à l’extérieur alors qu’il y a beaucoup de personnes diplômées chez EDF, une belle matière grise qui n’est pas toujours bien utilisée, valorisée au service de l’entreprise…
Comment s’est t-il concrétisé ?
Il fallait bâtir la structure d’EDF Conseil autour de « cerveaux », des personnes qui ressemblent à de « vrais » consultants, apporter de la fraicheur, utiliser des talents et développer les talents par cette vision transverse du groupe qu’allait pouvoir donner le conseil, capitaliser l’intelligence et manager le savoir pour pouvoir le réutiliser. J’ai alors cherché un sponsor, j’ai présenté le projet à mes supérieurs. Le projet a plu. J’ai été ensuite nommée chef de projet. Il fallait alors convaincre l’interne de nous confier les missions qu’ils confiaient à l’externe. En fait, il fallait acquérir de la crédibilité rapidement afin de répondre à la question « pourquoi nous plus que BCG ou un autre « ?
En quoi cette structure sert la stratégie d’EDF ?
Cette structure sert à se réapproprier des méthodologies de travail et d’analyse tout en permettant la réalisation d’études internes qui auraient été confiées à des consultants auparavant. La cellule a très vite remporté de jolies missions et donc la capitalisation, le traitement et la bonne analyse de l’information qui va servir à prendre les décisions. Et c’est là dessus que cette structure sert la stratégie ! Notre équipe d’une douzaine de personnes a permis que cette « matière » reste en interne et soit ainsi réutilisée. Après à peine un an de conseil interne, on a pu se rendre compte que l’on aurait pu écrire le livre « blanc », « vert » ou « noir » d’EDF car on met en lumière toutes les fragilités de l’entreprise, tout ce qu’elle est, sa substance, ses failles, ses forces…et ce en très peu de temps ! Je le sentais déjà mais avec EDF Conseil j’ai pu le « factualiser ». Savoir où se situe l’entreprise, ce qu’elle est, ce qu’elle fait et comment elle le fait en profondeur, çà c’est le début de l’analyse stratégique ! On ne peut penser en termes de stratégies si on n’accepte pas avec lucidité ce qu’est notre entreprise.
Quelle est votre vision d’EDF aujourd’hui ?
EDF est une vieille maison, créée en 1946, elle incarne un superbe projet industriel qui, aujourd’hui encore, reste le leader en France malgré l’ouverture à la concurrence du marché de l’électricité. Son modèle économique a été parfaitement pensé après-guerre mais dépend d’une histoire et a de fait, du mal à se réformer sur certains aspects. Je pense qu’elle est aujourd’hui obligée de se repenser si elle veut conserver son leadership. Et, c’est ce qu’elle va faire. EDF se trouve désormais au début d’une nouvelle ère dans ses modes de management et de fonctionnement. Elle doit pouvoir se moderniser dans ce contexte pour rester ce qu’elle est devenue et ce qu’elle doit devenir. De fait, EDF détient tout ce qu’il faut pour : la matière grise, la connaissance, l’information…Si elle sait les utiliser !
Quels conseils donneriez-vous aux futurs diplômés de l’IE ?
Dans n’importe quelle structure vous rencontrerez des résistances aux changements et à l’ouverture. Qui aurait pensé que je puisse moi sortir une idée telle qu’EDF Conseil et l’amener aussi loin dans une phase de ma carrière peu réjouissante ? J’ai franchi certaines barrières et la structure existe. Quand on a une idée et qu’on a le courage et l’envie, même dans une structure opaque ou fermée, on peut, avec de l’engagement et de l’énergie, faire beaucoup de choses. Le risque de se faire happer est toujours présent. En entreprise, on devient vite plus sécuritaire qu’aventurier alors gardez cette jeunesse de l’esprit ! J’encourage tout le monde à développer et défendre ses idées.
Lors du lancement de ce projet, le secrétaire général du président a immédiatement voulu mettre l’accent sur l’importance des protections de données et sur l’importance d’être sensible à ce type de problématique. L’intelligence économique émerge de plus en plus. On se rend compte que cette approche est vitale et que cela va au delà d’une volonté de protéger jalousement une information. La donnée devient source de pouvoir. Les jeunes ayant cette vision ont tout leur avenir dans un environnement qui comprend encore à peine ce qu’est l’intelligence économique. Encore trop peu de personnes savent ce qu’est le big data par exemple. Dans quelques années on ne pourra plus se le permettre sous peine de condamner l’entreprise. Je suis extrêmement enthousiaste car confiante en cette génération. L’intelligence économique est la dimension de demain qu’il manque encore trop souvent à l’entreprise. L’entreprise a tout d’abord compris qu’il fallait des ingénieurs puis par la suite des commerciaux. La prochaine étape sera de comprendre qu’il faut des cerveaux qui savent ce qu’est une donnée et surtout savent l’utiliser…
Propos recueillis par Hugo Lambert et Margaux Walck