Le Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP) : Risques et enjeux

Le Transatlantic Trade and Investment Partnership est la plus grande négociation bilatérale de l’Histoire. Quel sont les risques et les enjeux de cet accord entre l’Union européenne et les États-Unis?

Le TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership, aussi connu sous le nom de TAFTA Trans-Atlantic Free Trade Agreement) est un accord de commerce et d’investissement entre l’Union européenne et les États-Unis. Il s’agit de la plus grande négociation commerciale bilatérale de l’Histoire, menée entre les deux premières puissances économiques du monde dans le but de créer un marché unique de huit cents millions de consommateurs.
Les droits de douane étant déjà très bas entre ces deux zones, cet accord prévoit d’abaisser les barrières non tarifaires en harmonisant les normes techniques et sanitaires, en supprimant les quotas ou en simplifiant les formalités administratives. Cela facilitera donc l’accès des entreprises européennes au marché américain et réciproquement. Les secteurs concernés sont l’agriculture, la finance, l’industrie, les services, la santé, l’éducation ou encore la propriété intellectuelle. Initialement, le secteur de la culture était inclus mais la France s’y est vivement opposée.
L’objectif est de stimuler la croissance mais également de créer des emplois et de la richesse de part et d’autre de l’Atlantique. L’accord, dont les négociations ont commencé en 2013 et sont toujours en cours, devra être présenté au Conseil européen et au Parlement européen avant fin 2015 puis devra ensuite être ratifié séparément par les
parlements nationaux des vingt-huit États membres de l’UE. Pourquoi le TTIP est-il autant controversé et critiqué au sein de l’Union européenne alors qu’il bénéficie d’une opinion publique plus favorable aux États-Unis ?

Des effets positifs attendus moindres qu’annoncés

Plusieurs économistes et chercheurs européens et américains expliquent que les effets positifs sur la croissance et l’emploi seraient moins importants qu’annoncés, comme pour la création du marché unique de l’Union européenne (UE).
Les études économiques utilisées pour promouvoir le traité sont toutes basées sur le même modèle économique : le Computable General Equilibrium (Modèle d’équilibre général calculable). Or, ce modèle est critiqué entre autres car il considère que les secteurs les plus compétitifs d’une économie absorberont la totalité des ressources des secteurs en déclin. Ainsi, selon ce modèle, un ouvrier des hauts-fourneaux du Nord de la France licencié retrouverait instantanément un emploi dans une SSII de la technopole de Sophia Antipolis.
Des chercheurs de l’Université américaine de TUFTS dans le Massachussetts ont réalisé une étude sur les conséquences du TTIP avec un modèle économique différent intégrant une analyse plus fine des données macroéconomiques, notamment sur la dynamique de l’emploi.
Les conclusions de cette étude montrent au contraire une contraction de la croissance, de l’emploi, des salaires et des recettes fiscales de l’UE. Cela s’explique par le fait que le volume d’échanges commerciaux va augmenter entre deux zones qui échangent des biens du même type impliquant de demander à l’économie européenne d’être encore plus compétitive.
Cette concurrence pourrait s’avérer contreproductive en France dans le contexte actuel de chômage élevé et de faible croissance. Ainsi, les pays scandinaves et la France seraient les plus touchés, avec pour cette dernière une baisse des exportations correspondant à environ 2% de leur produit intérieur brut (PIB), une perte nette d’environ 0,5 % de PIB, une diminution des revenus du gouvernement provenant de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à hauteur de 0,6% du PIB et enfin, la suppression d’environ 130 000 emplois (600 000 à l’échelle de l’UE).
Il existe donc un risque que l’augmentation des importations en provenance des États-Unis se réalise aux dépens du commerce intra-européen. L’Allemagne serait moins affectée car, étant une grande puissance exportatrice, elle pourrait bénéficier de nouveaux débouchés dans un contexte de faible demande en UE.
L’étude démontre également que les pays européens seraient davantage isolés car dépendants des États-Unis et plus vulnérables à toute nouvelle crise financière en provenance de ce pays.

L’enjeu des normes

Des professeurs en sciences économiques et sociales rappellent que c’est la zone la plus riche et la plus forte qui impose ses normes à l’autre. En effet, dans le cadre du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade, devenu l’OMC en 1995), les pays riches ont favorisé la libéralisation des secteurs nécessitant des technologies avancées tout en refusant d’ouvrir les secteurs où ils pouvaient être concurrencés tels que l’agriculture et le textile. Or, les États-Unis forment une zone monétaire intégrée où le PIB par habitant est 40% plus élevé qu’au sein de l’UE et peuvent en outre améliorer la compétitivité de leurs entreprises en dévaluant le dollar. L’UE, quant à elle, est une zone politique et économique hétérogène dirigée par de nombreuses institutions. Elle ne peut pas actionner le levier monétaire en faveur d’une dévaluation car un euro fort favorise les économies du Nord, celles-là même qui ont davantage de pouvoir décisionnel. De plus, les États-Unis disposent des plus grosses entreprises mondiales dans de nombreux secteurs stratégiques tels que l’électronique, l’informatique, la finance ou encore la grande distribution.
D’autre part, les normes européennes sont globalement plus strictes qu’aux États-Unis. C’est notamment le cas pour l’agroalimentaire (OGM, pesticides, additifs alimentaires, etc.), l’environnement (les États-Unis n’ont pas ratifié le protocole de Kyoto) ou encore l’utilisation du principe de précaution (outre-Atlantique, il faut d’abord prouver la nocivité d’un produit avant de le retirer du marché).
Un des risques du TTIP est donc un nivellement par le bas en adoptant les normes américaines. Ces normes communes deviendraient alors des standards mondiaux, ce qui permettrait aux États-Unis de les imposer dans un second temps à l’Asie dans le cadre du « traité transpacifique », aujourd’hui en cours de négociation. Les entreprises européennes et asiatiques seraient alors obligées de supporter des coûts d’adaptation ou de subir la concurrence des entreprises américaines.

Le règlement des litiges public-privé

Un des points les plus controversés du traité est la création de tribunaux d’arbitrage qui autoriseront les entreprises à poursuivre des États en justice si celles-ci considèrent que leurs lois constituent une entrave à leur développement.
Ce type de tribunaux existe déjà comme le Centre International pour le Règlement des différends relatifs aux Investissements (CIRDI), basé à Washington, qui a condamné des États souverains à payer des amendes à des firmes américaines. À titre d’exemple, le Canada a perdu contre le gazier Lone Pine car la province du Québec interdisait l’exploitation du gaz de schiste et l’Uruguay a été attaqué en justice par Philipp Morris pour ses campagnes anti-tabac.
Le risque est donc que ce mécanisme soit utilisé à mauvais escient et que les spécificités propres à chaque pays soient compromises au bénéfice des multinationales.

Le manque de transparence

Enfin, le TTIP est critiqué pour son manque de transparence du fait de l’absence de contrôle démocratique et de débat public sur les négociations en cours. En effet, les représentants élus du peuple ne sont pas invités aux cycles de négociation alors que les lobbys des entreprises multinationales y sont très présents.
Un rapport de l’ONG Corporate Europe Observatory publié le 14 juillet 2015 estime que 88% des « parties prenantes » consultées par la Commission européenne sont des lobbys d’affaires (dont un cinquième ne figure pas dans le registre européen de transparence) quand les groupes d’intérêts publics, comme les ONG ou les associations de consommateurs, ne représentent que 9 % de ces rencontres. En outre, l’accord prévu intègre une technique juridique anglo-saxonne, le living agreement, qui permettra aux parties prenantes de faire évoluer le traité une fois signé.
Mais les lobbys des multinationales ne sont pas les seuls vecteurs d’influence sur les négociations. En effet, l’ambassade des États-Unis à Berlin a proposé de financer les défenseurs du partenariat qui mettaient en place des débats pro-TTIP. Enfin, l’UE peut-elle négocier sereinement cet accord suite aux révélations des activités d’espionnage de la NSA ?

Conclusion

Le TTIP peut paraître éloigné de nos préoccupations quotidiennes. Pourtant ses enjeux sont multiples et fondamentaux car il impactera à la fois les modes de vie et l’économie européenne. Les représentants des multinationales et les technocrates de Bruxelles et de Washington discutent en ce moment des règles qui définiront notre modèle économique et social de demain. L’UE doit veiller à ce que l’accord ne bénéficie pas qu’aux firmes américaines et ne se fasse pas au détriment des citoyens européens.
La France, quant à elle, doit être vigilante quant aux conséquences de ce traité sur son indépendance, sa souveraineté et ses intérêts économiques.
Il s’agit pour elle de protéger son patrimoine industriel et ses entreprises afin de préserver l’emploi. Ce traité ne doit pas remettre en cause ses traditions culturelles en termes d’alimentation, d’éducation et de santé publique, tout comme ses choix dans les domaines du droit social, de la fiscalité, de l’environnement ou encore de la régulation financière.
Il faut pour cela s’emparer du débat en amont afin de peser dans les négociations. En effet, une fois celles-ci achevées, les parlements américains, européens et nationaux se prononceront sur ce traité et il ne sera alors plus possible de revenir en arrière.

Mathieu Cristofini

Membre du Comité de Défense économique