Deux semaines après le second tour des élections présidentielles françaises, les iraniens se rendront eux aussi aux urnes pour élire leur nouveau chef d’État. Un choix décisif pour l’Iran comme pour toute la région. Une élection qui pourrait aussi compliquer la stratégie des entreprises françaises sur place, déjà handicapées par les sanctions bancaires imposées par les Etats-Unis.
Quels sont les enjeux politiques de ces élections ?
Schématiquement, la politique iranienne est aujourd’hui divisée en deux pôles antagonistes : les conservateurs, « gardiens » de la Révolution Islamique, et les réformateurs, plus favorables à une ouverture économique et culturelle du pays. Evidemment, cette catégorisation est plutôt artificielle : il s’agit de tendances plus que de partis. Un parlementaire ou ministre iranien peut être conservateur sur les questions des mœurs et de religion et simultanément être favorable aux investissements étrangers. A contrario, un réformateur peut être favorable à un assouplissement de la législation sur les libertés individuelles mais réticent à l’implantation d’entreprises étrangères dans certains secteurs.
Le camp réformateur du Président Hassan Rohani est à la tête de l’Etat depuis 2013 et, en mai 2016, les réformateurs ont même remporté le second tour des élections législatives, une première depuis 2004.
Rohani : un succès mitigé
Le bilan du mandat d’Hassan Rohani est un bilan en demi-teinte. Son principal succès est sans aucun doute l’accord sur le nucléaire de janvier 2016, qui met fin à 10 ans de tensions internationales et d’isolement politique et économique de l’Iran. Mais le retour des investissements étrangers et la reprise de la croissance n’a pas été à la hauteur des attentes. Le gouvernement iranien a probablement sous-estimé l’impact des sanctions américaines sur le secteur bancaire (indépendantes des questions relatives au nucléaire) qui empêchent la plupart des grands établissements financiers de rétablir des relations en Iran.
La reprise économique est donc encore timide comparée aux ambitions affichées il y a quelques années.
Cependant, comme tous les présidents iraniens depuis 1979, Hassan Rohani effectuera probablement un second mandat. En effet, l’actuel chef de l’Etat n’a pas de de concurrent conservateur suffisamment puissant face à lui. Il reste le favori des prochaines élections, même s’il sera probablement contraint à un second tour pour s’imposer : la vague de popularité qui l’avait porté au pouvoir en 2013 s’est effritée dans la population, déçue en partie par les modestes réformes sur les libertés individuelles et la trop faible reprise économique.
La victoire électorale annoncée du camp réformateur pourrait-elle renforcer… les conservateurs ?
C’est le paradoxe de cette élection : les conservateurs pourraient paradoxalement très bien profiter de cette élection pour consolider leurs positions au sein de l’Etat et du gouvernement iranien. Une négociation tacite et implicite aurait en effet été nouée entre Rohani et le Guide Suprême Ali Khamenei : les conservateurs faciliteraient la réélection de l’actuel chef de l’Etat en ne lui opposant aucun candidat d’envergure sous la condition d’une équipe ministérielle intégrant d’avatange de membres provenant de l’opposition conservatrice.
En effet, les apparences sont trompeuses : même s’ils ont perdu tous les derniers scrutins électoraux, les conservateurs sont en position de force. D’abord, la victoire des réformateurs aux élections législatives de 2016 est très relative. Comme nous l’avons vu, la vie politique iranienne n’est pas structurée par la discipline partisane mais des tendances aux contours souvent flous. De très nombreux parlementaires élus lors de la vague « réformiste » de 2016 peuvent très bien rejoindre des positions beaucoup plus conservatrices sur certains sujets. Le Parlement est donc loin d’être acquis au camp Rohani, surtout après ce mandat en demi-teinte. Or au sein de la République Islamique d’Iran, chaque ministre doit être validé par une majorité parlementaire. Même en cas de réélection, l’actuel chef de l’Etat ne pourra donc pas imposer une nouvelle équipe ministérielle sans négocier avec les conservateurs.
De plus, chaque texte législatif voté par le Parlement doit être validé d’un point de vue constitutionnel et religieux par le « Conseil des Gardiens de la Révolution » avant sa promulgation. Or, sur les douze membres, six sont directement nommé par le Guide Suprême, et six autres par le Parlement et le responsable du système judiciaire (lui même nommé par le Guide Suprême). Ali Khamenei, profondément conservateur, reste donc un acteur incontournable du processus législatif.
Enfin, le décès le 8 janvier dernier de l’ancien président de la République Hachemi Rafsandjani rebat les cartes politiques en Iran et affaiblit le camp réformateur. Personnage emblématique de la Révolution des 1979, homme de confiance de Khomeni et personnage-clef de la guerre Iran-Irak, Hachemi Rafsandjani avait des réseaux politiques et économiques tentaculaires. Plutôt réformateur et favorable à une ouverture de l’Iran vers l’étranger, son statut et ses relations faisaient de lui un personnage central de la vie politique. Son décès est une perte d’influence considérable pour les réformateurs.
Encore très influents dans les institutions politiques, les conservateurs pourront imposer leurs conditions à des réformateurs probablement réélus en mai prochain, mais affaiblis. La récente entrée en lice le 12 avril dernier de l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad (conservateur, mais avec peu de soutiens et l’hostilité du Guide Suprême) ne devrait pas bousculer ce rapport de force.
Avec un renforcement probable du camp conservateur, ces élections pourraient-elles être une mauvaise nouvelle pour les entreprises étrangères comme les groupes français ?
Les conservateurs ne sont pas forcément anti-business. Certes, les personnalités politiques conservatrices sont généralement plus hostiles vis-à-vis des investissements étrangers que leurs homologues réformateurs. Mais en réalité, le rapport des responsables politiques iraniens au monde des affaires dépend essentiellement de leur personnalité ou du secteur concerné. La reprise en main des conservateurs n’est donc pas forcément synonyme de mauvaise nouvelle pour les entreprises françaises tentées par le très attractif marché iranien .
Désormais, c’est le statu quo qui prime : les entreprises sont pour l’instant dans l’expectative en attendant les prochains rendez-vous électoraux. La composition des ministères (du Tourisme, de l’Économie, de l’Industrie…) sera déterminant pour « prendre le pouls » de la tendance.
Les groupes étrangers sont aussi soumis aux choix de politique étrangère de Donald Trump. Le nouveau président américain, particulièrement hostile vis-à-vis de l’Iran lors de sa campagne, remettra-t-il en cause les accords sur le nucléaire ? Un accroissement des tensions est à prévoir, retardant encore pour plusieurs années le décollage économique de l’Iran. Cependant, comme le rappelle Vincent Boucher dans son article « Le casse-tête iranien de Donald Trump » dans le dernier grand dossier de Diplomatie [1], un rapprochement des Etats-Unis avec Téhéran sur le dossier Syrien, notamment via l’entremise de la Russie, n’est pas à exclure.
En attendant les choix politiques à Téhéran et à Washington, les entreprises françaises sont toujours confrontées aux sanctions bancaires américaines qui handicapent fortement les investissements en Iran. L’exemple de BNP Paribas et son amende record de 9 milliards de dollars en 2014 pour avoir facilité les transactions en dollars entre le Soudan, Cuba et l’Iran tétanise encore les grands établissements financiers européens. Pour contourner cet embargo toujours actifs, les entreprises françaises ont plusieurs alternatives :
- Contourner les sanctions en investissant en Iran via certaines de leurs filiales étrangères (comme Carrefour via sa filiale saoudienne) ou en investissant directement sur place les bénéfices réalisés, faute de pouvoir les rapatrier (c’est le cas de Peugeot).
- Bien préparer leurs investissements en Iran, par une démarche approfondie de « due diligence ». Il est en effet difficile de s’implanter en Iran sans nouer de partenariats avec des entreprises locales. Mais connaître son futur partenaire est essentiel, notamment pour éviter les entreprises ayant des liens avec les Gardiens de la Révolution, toujours inscrits sur les « listes noires » de l’administration américaine.
Face à une situation économique et politique houleuse, les entreprises françaises déjà présentes en Iran qui souhaiteraient y investir n’ont qu’une solution : attendre. Même si le climat des affaires s’améliore dans les prochains mois, tout dépendra de la composition des différents ministères iraniens et des choix diplomatiques de la nouvelle administration américaine. La prudence est de mise.
Source:
[1] Diplomatie « géopolitique de l’Iran, la Renaissance ? » Février-Mars 2017