Lorsque la première journée mondiale du Yoga s’est déroulée le 21 Juin 2015, un grand nombre d’observateurs a remarqué qu’il s’agissait d’une opération de soft-power en soulignant la finalité promotionnelle de la culture indienne. Les ambitions de la journée mondiale du Yoga participent d’une stratégie d’influence du gouvernement indien en incluant la culture à des objectifs politiques et économiques sur une échelle planétaire.
C’est en novembre 2014 lors de la création du ministère du Yoga par le Premier ministre Narendra Modi, chargé de la promotion de cette discipline ainsi que de la médecine traditionnelle ayurvédique, de l’homéopathie et de la médecine unani que le yoga devient associé au pouvoir politique indien. Six mois plus tard, le 21 Juin 2015, jour du solstice d’été, des manifestations pour la première journée mondiale du Yoga eurent lieu à travers le monde sous l’égide de l’ ONU. À Delhi, 35 000 personnes se sont rassemblées derrière le Premier ministre Narendra Modi, en battant le record du cours de Yoga le plus grand et du plus cosmopolite au monde. A l’occasion de cette journée, des rassemblements eurent lieu dans 177 pays, et tout particulièrement à New-York où 17 000 personnes se sont rassemblées à Times Square en compagnie de Ban Ki Moon. Le succès et le rayonnement de cette journée du yoga a eu un impact considérable en Inde puisque des cours de yoga figurent désormais au programme des écoles et que 3 millions de fonctionnaires suivent des cours gratuitement dans les administrations.
Pourquoi une telle irruption du yoga sur la scène sociale indienne et internationale ? L'organisation de la journée mondiale du yoga participe d'un projet bien plus vaste que le simple coup de comm'…
Une politique culturelle nationaliste sur fond d'hindouisme
L’élection de Narendra Modi marque un tournant dans l’histoire politique de l’Inde. Le Premier ministre est issu du Bhartiya Janata Party, un parti nationaliste hindou. Le Premier ministre fait de la politique culturelle un moyen pour promouvoir l’idéologie de l’hindutva ou de l’hindouité qui fait de la religion hindoue la seule instance dépositaire de l’identité indienne. Le ministre de la Culture Indienne le Dr Mahesh Sharma est chargé de l’appliquer. Les indiens appartenant aux minorités religieuses se sentent de facto exclus de cette identité et cette idéologie s'est souvent traduite par des initiatives politiques controversées.
À titre d’exemple, le comédien et membre du BJP Gajedra Chauhan a été nommé à la tête du Film and Television Institute of India, une des plus prestigieuses écoles de cinéma en Inde, pour sa proximité idéologique avec le ministre Mahesh Sharma. C’est également sur le terrain de l’éducation et de l’enseignement que s’est déportée la politique d’influence culturelle. Le gouvernement indien veut notamment incorporer dans les manuels scolaires les mathématiques védiques, une méthode algébrique décrite dans les textes hindous les plus anciens, les Véda. Lors de l’inauguration d’un hôpital privé de Bombay au mois d’octobre 2014, le Premier ministre Narendra Modi a prétendu que la chirurgie plastique, le génie génétique et les fécondations in vitro proviennent de la tradition hindoue et sont évoqués dans le Mahabharata.
Cette volonté de subordonner la culture à une idéologie nationaliste a été formulée sous ces termes par le ministre indien de la Culture, Mahesh Sharma en 2014 « Nous purifierons tous les domaines du discours public qui ont été occidentalisés, où la culture et la civilisation indiennes doivent être rétablies, qu’il s’agisse de l’histoire que nous lisons, de notre héritage culturel ou de nos institutions, qui ont été pollués au fil des ans ». Cette promotion de la culture indienne se fait en ôtant tous les éléments provenant de l’extérieur – et notamment d’occident – en ne laissant que peu de choix au citoyen indien. Il s’agit d’une campagne d’influence d’une grande agressivité. Cette politique d’influence fait de la religion hindouiste un critère d’appartenance à la nation indienne au détriment des cultures venant de l’étranger ou bien présentes en Inde mais n’appartenant pas stricto sensu à la religion hindouiste.
Ces événements n’ont pas manqué de faire réagir artistes et intellectuels, craignant un embrigadement général de la jeunesse et de la société civile, comme l’acteur et metteur en scène Sudhanva Deshpande : « Nous vivons sous le feu d’un nationalisme violent et absurde qui constitue une atteinte à notre syncrétisme traditionnel ». Le Premier ministre Indien apparaît comme étant en porte-à-faux vis-à-vis de deux obligations : satisfaire le sentiment nationaliste profond que promeut le BJP tout en satisfaisant les partenaires et les investisseurs occidentaux, attachés au respect des minorités et de l’État de droit.
Pour répondre à ces critiques et rassurer les observateurs soucieux du respect de la laïcité, les organisateurs de la Journée Internationale du Yoga ont souligné sa mission fédératrice auprès des citoyens indiens sans distinction d’origine ou de pratique religieuse. Narendra Modi a assuré dans un tweet que le Yoga a « le pouvoir de rassembler l’Humanité ». L’importance accordée au Yoga dans le contexte actuel de développement économique est alors pour Narendra Modi un moyen de promouvoir son pays sous un jour nouveau. Les valeurs de bien-être et de développement personnel dans lesquels se reconnaissent les catégories les plus aisés des pays occidentaux font du yoga un moyen privilégié de faire connaître l’Inde. Aux États-Unis, le Yoga a connu un véritable essor à partir des années 1960, grâce à l’intérêt par une grande partie de la jeunesse hippie pour la tradition spirituelle indienne. De 2008 à 2012 le nombre de pratiquants y a augmenté de 30 %, atteignant ainsi le nombre 20 millions. Les investisseurs pionniers de la Silicon Valley, influencés par le New-Age et le trans-humanisme, encouragent la pratique d’une sorte de méditation nommée la pleine conscience (mindfulness).La pratique de la mindfulness est soutenue par des personnalités aussi influentes qu’Arianna Huffington, fondatrice du site Huffington Post ou Jeff Weiner, le PDG de LinkedIn. De son côté, Google a créé le programme Search Inside Yourself pour permettre à ses employés de pratiquer le yoga.
La recherche d’investisseurs
Cet intérêt croissant pour le yoga par des entreprises spécialisées en nouvelles technologies est une opportunité pour Narendra Modi d’attirer des investisseurs étrangers.
En février 2014, une étude du cabinet Deloitte à l’initiative de Facebook démontre que si la proportion de la population indienne ayant accès à Internet passait de 15 % à 75%, près de 65 millions d’emplois pourraient être crées, et 85 000 décès en bas âge et par an évités. Dans cette optique, une rencontre entre le Premier ministre Indien et le fondateur de Facebook a eu lieu sur le campus de la société à Menlo Park le 27 septembre 2015. Narendra Modi y a exposé son ambition devant un public composé en grande partie d‘employés d’origine indienne: “Nous avons autant besoin d’autoroutes que d’autoroutes de l’information. Je veux connecter tous les villages du pays au moyen de la fibre optique.” Le Premier ministre indien a indiqué son objectif de voir le PIB de l’Inde passer de 8 à 25 trillions de dollars d’ici la fin de son mandat.
Ce type de rencontres établit des nouvelles relations avec des investisseurs nécessaires au développement économique de l’Inde, mais permet également de jouir d’une influence politique et d’unifier les citoyens expatriés d’origine indienne disséminés à travers le monde. La diaspora indienne compte en effet 25 millions d’individus à travers le monde, ce qui en fait la plus grande au monde après la chinoise. A titre d’exemple, 2,6 millions d’émigrés indiens résident aux émirats Arabes Unis, un cinquième de cette population occupe des postes à haut degrés de qualification. La communauté Indienne y compte pour près de 30 % de la population, ce qui donne à l’Inde une influence considérable. Le Premier ministre indien a par ailleurs visité le Royaume-Uni du 12 au 14 novembre 2015. L’objectif de ce voyage d’État, le point culminant de cette opération de séduction auprès des dirigeants et de la population du Royaume-Uni, fut la tenue d’une grande fête dans l’enceinte du stade de Wembley, en compagnie de 60 000 sujets britanniques d’origine indienne, suivi d’un spectacle de danse et une spectaculaire démonstration pyro-technique. Un site internet a été créé à l’occasion. L’instauration de la journée mondiale du Yoga s’inscrit dans cette ambition de donner à l’Inde une influence internationale en rassemblant les citoyens indiens autour d’une même pratique, tout en incluant des adeptes d’origines diverses, afin d’obtenir la célébration non pas de la puissance mais de l’autorité, c’est-à-dire d’une instance dépositaire de sagesse et non de coercition.[3] La culture, et notamment le Yoga contribue à imposer l’Inde en tant que référence culturelle mondiale, pouvant avoir une influence comparable à celle d’Hollywood ou bien du Japon. La journée mondiale du Yoga contribue à donner à l’Inde une image plus pacifiste et plus accueillante, en permettant de relier une pratique populaire à un État et à ses habitants. Narendra Modi se réapproprie un élément fort de la culture indienne et en fait reconnaître son apport pour la culture et le patrimoine mondial.
– The man who wired the world by Lev Grossman in Time Magazine
– Censure sur le cinéma vérité traduit et publié in Courrier International n° 1272
– « La laïcité est menacée » traduit et publié in Courrier International N°1294
– Google montre la voie de la sagesse traduit et publié in Courrier International N° 1250
– Inde le grand nettoyage culturel in Courrier International N°1302
– Des maths aux relents d’extrême droite in Courrier International.
– In Silicon Valley, Meditation is not fad. It could make your career by Noah Shachtman in Wired.com
– In the Darkness, Speak Up for light Kiran Nagarkar in Outlook
– Narendra Modi Greeted by cheers and chants at Wembley reception by Esther Adley in The guardian
– At Madison Square Garden, Chants, Cheers and Roars for Modi by Vivian Yee in the New York Time.Narendra Modi in the Emirates: Bridging India’s Gulf by Rohan Joshi in The Diplomat.com
– www.ukwelcomemodi.org
– En Inde les nouveaux encyclopédistes in Courrier International n°1333
– http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20150619.AFP1392/chants-et-contorsions-l-inde-prepare-la-journee-internationale-du-yoga-chere-a-modi.html
– http://rstv.nic.in/pm-modi-meets-tech-giants-visits-fb-google-campus.html
– Le Ministre qui voulait « purifier » la société Indienne » in Courrier n° 1303
– http://rstv.nic.in/pm-modi-meets-tech-giants-visits-fb-google-campus.html