Alors que de nombreux groupes délocalisent pour faire face à la concurrence, le groupe Carambar & Co mise sur le patriotisme économique pour booster ses exportations. Le groupe s’est également engagé dans une stratégie offensive de conquête du marché français.
Le groupe Carambar & Co s’est engagé dans une stratégie de relocalisation de sa production en France, moyennant un investissement de 35 millions d’euros. Le groupe avait déjà, en début d’année, rapatrié la fabrication de bonbons d'Espagne et celle de poudre de cacao pour les chocolats Poulain d’Allemagne. Il vient de franchir un pas supplémentaire en rapatriant en France ses activités qui avaient été délocalisées dans des pays produisant à bas coût. Ses activités en République tchèque et en Pologne sont, depuis le 19 novembre, relocalisées dans l’usine française de Strasbourg. Celle-ci accueille désormais deux nouvelles lignes de fabrication pour les chocolats Terry’s, une marque très populaire au Royaume-Uni. Afin de rester compétitive, la direction générale a misé sur une ligne de production très automatisée qui permet à l’usine de produire à des coûts « comparables » à ceux de la République tchèque et de la Pologne. D’ici 2019, le parc des machines de l’usine devrait être modernisé à 85%.
Interviewé par Dernières Nouvelles d’Alsace, le PDG de Carambar & Co, Thierry Gaillard, a expliqué que ces rapatriements font partie de la stratégie de développement du groupe, empreinte de « patriotisme tricolore ». Il a souligné : « Notre projet d’entreprise, c’est de fabriquer français et on va essayer de s’approvisionner dans l’Hexagone pour des ingrédients, comme le lait ».
Faire du « Made in France » une stratégie d’exportation
Carambar & Co est né en mai 2017, du rachat par le fonds d’investissement français Eurazeo de plusieurs marques emblématiques de la confiserie européenne, appartenant au géant américain de l’agro-alimentaire Mondelez : le fameux chewing-gum français Malabar, les très populaires confiseries espagnoles Dulciora, ou les iconiques chocolats à l’orange Terry’s au Royaume-Uni. Mondelez n’avait pas investi dans ces marques à la forte empreinte nationale depuis au moins 10 ans, ne les considérant pas comme stratégiques.
Le pari de Carambar & Co est de coupler à la forte teneur affective de ces marques la production « made in France », perçue comme une garantie de qualité à l’international. L’objectif est de rapatrier toute la production du groupe en France d’ici 2020 en préservant les emplois dans les usines françaises, et de mettre en exergue la qualité de la production en France. Le coup est donc double : le « made in France » permet de redynamiser le secteur industriel français, et apporte un avantage comparatif à l’exportation. La direction espère ainsi une augmentation de son chiffre d’affaires (225 millions d’euros) de 20 % en 5 ans.
La production en France représenterait, de fait, une réelle plus-value à l’export. Comme le souligne une enquête du Moci, les réussites des entreprises françaises « à l’international démontrent que le made in France représente un avantage commercial, tant en France que pour le développement à l’international des entreprises ». Des salons tels que la Made In France Expo (qui s’est tenu du 11 au 12 novembre à Paris) ou les Assises du produire en France (12 septembre 2018) promeuvent la production française couplée à des stratégies de plus en plus offensives. La quatrième édition des Assises a ainsi retenu comme thème la promotion de l’exportation en Asie. Il convient de souligner que, pour le moment, peu d’entreprises se sont lancées dans le « made in France » et que les réussites à l’export concernent souvent des produits de niche. Ce n’est cependant pas toujours le cas, comme en témoigne le secteur automobile français, ou peut-être bientôt Carambar & Co.
La relocalisation, nouvel outil au service du patriotisme économique
Même si la tendance à la relocalisation reste marginale en France, elle semble avoir séduit d’autres entreprises françaises. C’est le cas, par exemple, du fabricant de skis Rossignol qui avait délocalisé une partie de sa production en Chine et qui a décidé de retourner en Haute-Savoie dans son usine historique de Sallanches. Il en est de même pour le fabricant de thés Kusmi Tea ou des chaussures Paraboot.
Ce début de tendance peut s’expliquer par une hausse des coûts de transport qui rendent les délocalisations moins compétitives. L’accès à un environnement productif favorable dans le pays d’origine peut également inciter à la relocalisation en France : si les coûts sont plus élevés, la main d’œuvre peut y être plus qualifiée et les risques commerciaux peuvent être réduits. Comme le note un article de The Conversation, c’est surtout l’automatisation des chaînes de production qui permettent de réduire les coûts et donc de rendre possible un certain patriotisme économique. Carambar & Co témoigne de cette nouvelle tendance avec l’automatisation de son usine à Strasbourg. L’automatisation fut également le choix de Jean Claude Maillac, PDG de l’entreprise de sous-traitance en aéronautique Figeac Aéro, qui a décidé d’investir 37 millions d’euros en 2015 pour développer une usine de production automatisée dans son site historique à Figeac, dans le Lot. Selon la direction, la robotisation de la chaîne de production permettrait ainsi à l’entreprise de rester compétitive (une diminution des coûts de production de 20% étant attendue) sans sacrifier son implantation française.
Une stratégie économique offensive
Au « made in France » tourné vers l’international de Carambar & Co, s’ajoute l’ambition de devenir « le futur champion français de la confiserie et du chocolat », et ainsi de gagner des parts du marché français, aujourd’hui dominé par l’allemand Haribo. L’entreprise a ainsi annoncé le 23 novembre le rachat du concurrent Lutti, autorisé par l’Autorité de la concurrence il y a quelques jours.
Alors que c’est Lutti, détenteur de 12% du marché de la confiserie en France, qui avait d’abord manifesté son intention de racheter la marque Carambar en 2016, lorsque Mondelez cherchait à s’en séparer, c’est l’inverse qui s’est finalement produit. L’entreprise se trouvait pourtant en bonne santé enregistrant un chiffre d’affaires de 115 millions d’euros en 2018. Le rachat de Lutti, qui appartenait à l’allemand Katjes, permettrait à Carambar & Co de disposer de 30% de parts de marché, contre 38% pour Haribo.
Carambar & Co semble ainsi avoir pensé une stratégie à 360°, le groupe étant présent sur plusieurs fronts. En surfant sur la tendance du « made in France », il souhaite en tirer des avantages comparatifs à l’export. Cette stratégie lui permet également de soutenir son marché intérieur, dans un pays où les consommateurs sont de plus en plus soucieux de l’origine des produits qu’ils achètent. Pour parachever sa stratégie, l’entreprise élimine un de ses principaux concurrents par une opération offensive de rachat, seulement un an après sa création.
Nicole Lugo