[Conversation] – Entretien avec M. Jean-Pierre Vuillerme, vice-président Management des Risques chez l’ADIT

M. Jean-Pierre Vuillerme, vice-président Management des Risques au sein de l’ADIT a répondu aux questions du Portail de l’IE pour présenter son parcours, les activités et les besoins d’une telle entreprise.

Pouvez-vous vous présenter (votre parcours, votre carrière) ?

 

JPV : Ingénieur de formation, j’ai commencé dans la vie professionnelle comme enseignant-chercheur à l’Université, ce qui m’a permis de préparer puis de soutenir une thèse de doctorat en chimie. J’appartenais donc au monde de l’enseignement et l’environnement de l’entreprise ne m’était pas familier. J’ai alors souhaité mieux comprendre la réalité industrielle et j’ai sollicité Michelin, car cette entreprise me semblait différente : il y avait dans cette Maison un véritable sens de l’appartenance et une belle appropriation par le personnel des orientations qu’elle prenait. Ce qu’il y a de magique dans cette entreprise, c’est l’attention portée aux Hommes : on cherche à faire grandir les personnes, en cultivant leurs talents, sans être obnubilé par la formation initiale, ce qui explique sans doute la très grande variété des responsabilités qui m’ont été confiées. Le parcours a été original, c’est le moins qu’on puisse dire, d’une responsabilité technique de bureau d’études pour commencer à l’animation d’une direction chargée de l’environnement et de la prévention des risques, en passant par l’équipe en charge du recrutement ingénieurs et cadres, puis par la direction de la communication et des affaires publiques. Sans oublier la direction de la protection du patrimoine, qui nécessite de bien identifier l’objet des convoitises pour être efficace et adapter le niveau de protection aux enjeux. Dans ce domaine, le couplage avec l’intelligence économique ou l’analyse stratégique a été un élément déterminant de l’efficacité opérationnelle. J’ai ensuite rejoint l’ADIT en 2010 pour prendre en charge le pôle management des risques auquel a été confié la création et l’animation du Centre français des affaires de Bagdad. Ce fut une aventure passionnante et complexe, dans un pays difficile.

 

Une présence renforcée des entreprises françaises au Liban pourrait être une solution pour garder une présence efficace dans la région et une capacité de projection en Irak ou en Iran ?

 

JPV : C’est une idée très intéressante. Il y a d’abord une proximité historique et culturelle entre la France et le Liban. C’est un pays courageux, qui a surmonté des épreuves redoutables, qui a été confronté à des destructions massives et qui toujours su se relever. C’est à l’évidence un point d’appui utile — voire un point de départ — pour aborder certains marchés du Moyen-Orient, car il faudra bien s’intéresser à la reconstruction de la Syrie, accompagner les efforts de redressement de l’Irak ou encore garder un œil attentif sur l’évolution de la situation en Iran.

D’autant qu’il existe une diaspora libanaise très impliquée dans les affaires, et très présente dans les pays du Moyen-Orient (en particulier les pays du Golfe), qui peut donc jouer un rôle de relais/influence.

Certaines entreprises ont parfaitement compris les enjeux et sollicitent l’ADIT pour identifier les opportunités d’affaires, apprécier les risques, mieux connaître leurs partenaires d’aujourd’hui et préparer les coopérations de demain. Car l’environnement est complexe, les contraintes importantes, la visibilité incertaine sur l’évolution des relations entre les pays, les listes de sanctions rapidement évolutives. Tout cela crée des incertitudes et expose nos entreprises à des risques qu’elles n’ont pas toujours su apprécier, en particulier en ce qui concerne le choix adéquat de partenaires pour porter le message des entreprises dans la zone. Il est nécessaire par ailleurs d’intégrer par exemple la dimension extraterritoriale du droit américain, portée de façon puissante par le DOJ…

N’attendons pas que les situations soient stabilisées pour aborder ces marchés, il y aura toujours une prime donnée à l’entreprise qui aura eu le courage de planter son drapeau pendant ces périodes difficiles.

 

Pouvez-vous nous parler de l’ADIT ? Comment formez-vous vos consultants ?

 

JPV : L’ADIT, dont l’acronyme signifiait à sa naissance Agence pour le Développement de l’Innovation et de la Technologie, a été créée à l’initiative du gouvernement il y a plus de 25 ans. Progressivement, l’ADIT a développé une expertise remarquée dans l’accompagnement du développement des entreprises à l’international. L’entrée dans le capital d’un actionnaire privé a eu pour effet d’accélérer la croissance de l’ADIT qui est devenue aujourd’hui le leader européen de l’Intelligence Stratégique. L’État reste très attentif à son développement et maintient sa participation au capital aux côtés de BPI France.

L’ADIT dispose d’un fort pouvoir d’attractivité auprès de jeunes diplômés de toutes origines, parmi lesquels, bien sûr, l’EGE, l’IRIS, les Instituts d’Études politiques, les Écoles de commerce ou encore les Écoles d’ingénieurs. Nous recrutons aussi des talents ayant quelques années d’expérience.

La formation initiale aux outils et méthodes — souvent très originales — développées par l’ADIT est une étape essentielle pour permettre un épanouissement de ces jeunes recrues dans des missions passionnantes qui leur font toucher la réalité concrète des problèmes auxquels les entreprises sont exposées.

 

Quelles sont vos attentes pour un recrutement ?

 

JPV : N’oublions jamais que les études que nous délivrons à nos clients/partenaires sont utilisées en appui de leurs prises de décisions stratégiques : leur fiabilité est donc essentielle. Il faut donc, avec patience et détermination, approfondir la connaissance des sujets qui nous sont confiés. Il faut aussi savoir faire la distinction entre rumeur, information et renseignement économique, piloter les recherches des quelques 500 sources humaines que nous faisons travailler dans le monde, croiser l’information de façon rigoureuse, comprendre les emballements — et les ressorts — de la sphère numérique, rechercher le regard des collègues pour valider son raisonnement.

Il faut enfin savoir « coller » aux urgences de nos partenaires car il est rare qu’un questionnement ou qu’une difficulté soient prévisibles très longtemps à l’avance.

Ce contexte est particulièrement exigeant, et la réussite dans nos métiers nécessite des qualités particulières telles que pugnacité, rigueur et la curiosité. Voilà quelques mots-clés qui caractérisent les profils que nous recherchons.

L’intervention de l’ADIT est mondiale, l’acuité du regard, la finesse du jugement, exigent une excellente connaissance des 22 langues que nous pratiquons au quotidien. La pratique courante de langues dites « rares » telles que l’arabe, le turc, le russe, le farsi, le chinois, etc. constitue un atout déterminant dans le processus de recrutement. 

 

Comment protéger les PME en France qui ne disposent pas du budget adéquat ?

 

JPV : Le budget ne doit pas se définir a priori, il doit être la conséquence d’une réflexion stratégique approfondie qui aura permis en amont d’identifier les risques, de repérer les éléments susceptibles d’attirer la convoitise, de se mettre en ordre de marche pour garantir la conformité.

Ceci étant posé, il est évident qu’une PME/PMI dans laquelle le PDG assume toutes les fonctions (recherche, production, vente finances ou RH) n’aura ni temps ni de moyens à consacrer à une orientation dont l’effet n’est pas toujours évident dans le court terme. C’est pourtant vital.

A l’inverse, certains grands groupes (mais pas tous) ont lancé des démarches vertueuses dans ce domaine. Mais force est de constater que la sensibilité sur ces sujets est encore bien insuffisante ; trop souvent les entreprises n’ont pas pris l’exacte mesure de la menace. D’autant que sur le plan de la protection des assets, on est de plus en plus souvent confronté à l’immatériel, les données — dont on ne sait plus où elles sont stockées — qui font l’objet d’attaques sournoises, peu décelables, en provenance d’individus ou de structures à l’abri derrière les frontières.

La réponse pour les PME/PMI pourrait — ou devrait — être trouvée dans un partage de compétences. Il ne manque pas d’experts, jeunes retraités de nos institutions (gendarmerie, police et autres services spécialisés), qui seraient heureux d’apporter leurs compétences. Mais il faudrait pour cela qu’une structure transverse porte la mission qui serait facturée au coup par coup aux entreprises bénéficiaires.

C’est un vaste sujet qui n’a pas encore trouvé de réponse opérationnelle.

Vincent Grimaldi d’Esdra