La première ville flottante au monde en Polynésie Française

La Polynésie Française devrait accueillir la première ville flottante au monde. La construction de cette Silicon Valley de la mer va débuter à l’horizon 2020, pour apporter une réponse à la montée des eaux et devenir la vitrine technologique du développement durable et la philosophie libertarienne.

Derrière ce projet d’île artificielle du futur, il y a le Seasteading Institute fondé en 2008. r Patri Friedman, directeur de l’Institut et ex-employé de Google, petit-fils de l’économiste Milton Friedman et théoricien de la doctrine libérale, est à la manoeuvre. Pour financer et matérialiser sa cité idéale, cet activiste libertarien a le soutien de Peter Thiel, le cofondateur de Paypal qui se dit lui aussi s’inscrire dans la mouvance libertarienne. Le libertarianisme est une philosophie politique visant une société dont la valeur fondamentale est la liberté individuelle en tant que droit naturel. Issue du courant libéral, elle repose sur une dérégulation maximum des échanges économiques et de la société dans son ensemble,. Ces principes de liberté totale en matière économique et sociale ont été longtemps portés aux Etats-Unis par Ron Paul, ancien représentant républicain du Texas, qui fut candidat à la présidentielle de 1988 pour le Parti libertarien. Bien que les scores du parti libertarien ont toujours été faible aux élections, ce mouvement connaît un réel succès auprès du peuple américain. Les partisans libertariens sont aussi favorables à une réduction de l'État à ses prérogatives régaliennes, voire à sa disparition totale (c’est notamment ce que vise cette utopie dans l’océan pacifique).

Les libertariens sociaux ont eu leur apogée au moment de mai 68 et du flower power venu de Californie, où les hippies et les communautés libertaires ont expérimenté l’autogestion, la maîtrise des rapports sociaux anti-autoritaires, l’épanouissement personnel individuel et la liberté sexuelle. Cet esprit anti-conformiste, rebelle envers l’Etat et les structures collectives, à été récupéré à travers le rêve néolibéral de la Silicon Valley des libertariens économiques, notamment par les GAFAs (Google, Apple, Facebook, Amazon) et les NATUs (Netflix, Airbnb, Tesla, Uber) entre autres. Diverses expériences économiques sont d’inspiration libertarienne comme l’encyclopédie libre et coopérative Wikipedia ou bien la monnaie virtuelle décentralisée Bitcoin. L’espoir libertarien le plus prometteur est le récent processus technique de la “blockchain” visant à réaliser toutes sortes d’échanges entre individus, sans intermédiaire ni entité centrale, et bien sûr sans taxes possibles et sans contrôle étatique. Baigné depuis sa tendre enfance dans le libertarianisme, la Californie à toujours souhaité s’émanciper du pouvoir central de Washington. Le “Golden State” est d'ailleurs à lui tout seul la sixième puissance économique mondiale. Cet idéal libertaire s’exprime au travers des villes privées qui fleurissent aux Etat-Unis, mais aussi par des programmes d’envergure, comme The Citadel, The Venus Project, ou bien le Free State Project, plus jeune et 52ème État américain créé le 13 avril 2015.

 

Malgré la politique libérale et avantageuse pour les industries de pointe de la baie de San Francisco, les leaders de la Silicon Valley semblent se tourner vers les îles du Pacifique. En effet, les entreprises californiennes de tendance libertarienne souhaitent paradoxalement créer leur propre État au milieu du plus grand océan. Outre le fait que les eaux du Pacifique sont une solution pour optimiser le refroidissement et diminuer les coûts de climatisation des serveurs afin de maximiser les bénéfices, ces individus qui se revendiquent de l’anarcho-capitalisme désirent accéder à l’indépendance et l’auto-détermination financière en créant leur propre paradis fiscal au milieu des archipels paradisiaques du Pacifique. Même si la première tentative prématurée de ville flottante, Oceana, The Atlantis Project, a été avortée en 1994 par manque de moyens, désormais les financements sont au rendez-vous et les libertariens ont le modèle de la Principauté de Sealand. Cette micronation réussie construite au large de l’estuaire de la Tamise est devenue le paradis internet extraterritorial numéro 1 au monde pour les crypto-anarchistes.

 

Cet idéal libéral se baptise “Seasteading”, signifiant château de mer. Seasteading est un mot valise anglophone désignant le projet de création de villes permanentes sur la mer. Ambitionnant de s’implanter dans les zones maritimes qui ne sont  revendiquées par aucun gouvernement pour s'affranchir de l’Etat, cet institut s’est finalement rabattu sur cette collectivité d’outre-mer française. D’ailleurs les Etats-Unis d’Amérique militent pour l’indépendance de la Polynésie. Ils ont d’ailleurs réussi à obtenir l’adoption d’un résolution à l’assemblée générale de l’ONU concernant l’inscription de la Polynésie Française sur la liste des territoires à décoloniser. Même si les Américains bataillent pour étendre leur zone d’influence dans le pacifique, en vertu de l’article 73 de la charte des Nations Unies relatif aux territoires concernant la Polynésie Française, la majorité des polynésiens souhaitent rester français. D’ailleurs, l'ancien ministre polynésien du tourisme Marc Collins a ainsi déclaré au quotidien The Guardian que "les Tahitiens en ont assez d'entendre parler de méga-projets qui ne mènent nulle part". Et d'ajouter: "Il y a une prédisposition de la population à être prudente.". Il demeure que le Seasteading Institute à réussi à négocier un accord visant à l’installation d’une ville flottante durable en Polynésie Française avec une relative liberté d’installation, d’autonomie de gestion et d’indépendance de la gouvernance.

 

Ce protocole d’entente signé le 13 janvier 2017 entre la Polynésie Française, représenté par son président Edouard Fritch (successeur de Gaston Flosse), et le directeur exécutif de l’association libertarienne “Seasteading”, Randoph Hencken, à San Francisco, prévoit la création d’un prototype de ville flottante à l’horizon 2020. Cet échantillon de “Floating Island Project” est estimé à 50 millions de dollars prévoyant deux ou trois plates-formes flottantes reliées entre elles et ancrées au fond des eaux calmes d’un lagon. Cette première ébauche de ville accueillera entre 200 à 300 résidents pour commencer. Seront également construits des logements, des magasins, des fermes aquacoles et des centres de recherche pour minimiser l’impact écologique. En effet, ce programme vise à tester, grandeur nature, l’architecture et le fonctionnement de ces îlots artificiels qui produiront leur propre énergie et traiteront eux-mêmes leurs déchets (l’île représentant 7500 m²). Le projet est déjà financé à hauteur de 100% par l’Institut grâce aux dons de Peter Thiel, dont la vente d’une partie de ses parts du groupe “Paypal” lui a rapporté une fortune d’1,5 milliards de dollars. Cette île 100% artificielle et 100% autonome, aussi bien politiquement que énergétiquement, serait  une potentielle réponse et solution à la montée des eaux qui menace 40 millions de personnes dans le monde et qui pourrait faire disparaître un tiers de la Polynésie d’ici 2100.

 

Pour rassurer la population locale et l’impliquer dans ce projet futuriste, une semaine de conférences et d’ateliers à Papeete ont été organisés en octobre 2017. Les étudiants et les entreprises locales ont échangé avec les experts internationaux liés au Seasteading Institute, l’organisation qui porte le projet d’îles flottantes en Polynésie. Cela été l’occasion pour les Polynésiens de découvrir les idéaux et les technologies de la ville verte et intelligente, le biomimétisme, la blockchain ou les nouvelles formes de gouvernance portées par les libertariens. D’ailleurs ces derniers ont triomphé en recrutant l’ex-ministre polynésien du tourisme Marc Collins qui est devenu le directeur de la nouvelle société “Blue Frontiers”, créée par le Seasteading Institute. Cette structure chargée de réaliser les études préliminaires locales avant de valider le projet d’île flottante est pourtant immatriculée à Singapour . Blue Frontiers a facilement levé plusieurs centaines de millions de francs auprès d’investisseurs privés pour financer les travaux préparatoires, et prépare la sortie d’un jeu vidéo sur les îles flottantes fin mai 2018 en partenariat avec l’Ecole Poly 3D. D’après un communiqué de Blue Frontiers, ce jeu vidéo s'inspirera des modèles tels que SimCity et The Sims sur la gestion intelligente des ressources, la protection de l’environnement, le développement durable, la création de nouvelles sociétés. L’objectif est de sensibiliser la population mondiale et locale aux dangers que la montée des eaux représente pour les îles polynésiennes et aussi de faire accepter le projet, car la mobilisation locale contre les îles flottantes s’intensifient. En effet, les habitants de Mataiea, où devrait se construire la ville flottante dans le lagon, ont réalisé une marche de protestation organisée par le collectif de pêcheurs de Mataie, “Feia Rava’ai No mataiea” qui a pour but de défendre leur lagon, synonyme de garde-manger pour la population locale.

Par Jean-Charles Carquillat